1 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Erreurs sur l’Allemagne (1er mai 1940)
1 qu’en telle matière, tout jugement massif manque de sérieux, et traduit quelque étourderie. 1. Des hommes aussi divers et
2 tres encore, nous affirment que l’hitlérisme sort de Luther. Certains d’entre eux nuancent leur jugement. Le cliché reste.
3 tiques l’on peut reprocher à Luther, avec 400 ans de recul. Je vois bien que, sur le papier l’on peut déduire de ces erreu
4 Je vois bien que, sur le papier l’on peut déduire de ces erreurs que Luther conduit à Hitler : il suffit, pour y arriver,
5 her conduit à Hitler : il suffit, pour y arriver, d’ oublier quelques faits importants. Il suffit d’oublier, par exemple, q
6 r, d’oublier quelques faits importants. Il suffit d’ oublier, par exemple, que le Führer autrichien n’est pas né luthérien
7 ord en Bavière, pays catholique ; que la doctrine de Luther, là où elle a triomphé sans résistance notable, c’est-à-dire e
8 e ; qu’enfin le totalitarisme n’est pas l’apanage de la seule Allemagne, à demi luthérienne seulement, mais qu’il a triomp
9 n songe que le pasteur Niemöller, vrai descendant de Luther, est en prison. 2. Les socialistes et beaucoup de démocrates a
10 : la masse a été trompée par ses chefs. Un séjour d’ une année en Allemagne, de 1935 à 1936, m’a conduit à des conclusions
11 ar ses chefs. Un séjour d’une année en Allemagne, de 1935 à 1936, m’a conduit à des conclusions fort différentes. J’ai pu
12 idéraient le nouveau régime comme étant le régime de la masse ; que la plupart des socialistes le toléraient fort bien ; e
13 toléraient fort bien ; et qu’un très grand nombre d’ anciens chefs communistes avaient revêtu quelque grade dans le parti h
14 ar l’ambition réelle du Führer, croyait-il, était d’ appliquer le programme communiste. (Je donne cette opinion pour ce qu’
15 ait signé par Émile Vandervelde, ancien président de la IIe Internationale. Le second article, paru dans une feuille commu
16 econd article, paru dans une feuille communisante de Bruxelles, m’accusait froidement d’être vendu au régime hitlérien, po
17 communisante de Bruxelles, m’accusait froidement d’ être vendu au régime hitlérien, pour avoir soutenu que des communistes
18 que des communistes approuvaient Hitler. L’auteur de cette diatribe était Mme Jeanne Vandervelde, femme du précédent. Son
19 ndervelde, femme du précédent. Son journal refusa d’ insérer ma réplique. Six mois plus tard, le pacte hitléro-stalinien la
20 consiste à voir dans l’hitlérisme une tyrannie «  de droite », détestée par les masses. « Le totalitarisme, écrit M. Muret
21 s’y sont pas trompés. » Sur quoi l’auteur accuse d’ aveuglement les socialistes français qui, eux, s’y trompent encore. Ma
22 , eux, s’y trompent encore. Mais que penser alors de l’aveuglement des bourgeois qui s’obstinèrent jusqu’en septembre 1939
23 ritique justement M. Muret, ne sont coupables que d’ avoir partagé l’erreur fatale et prolongée des bourgeois de divers pay
24 artagé l’erreur fatale et prolongée des bourgeois de divers pays. Si nous prétendons défendre le christianisme, agissons d
25 tiens, et commençons par dénoncer non les erreurs d’ autrui, mais bien les nôtres. Surtout s’il se trouve qu’en fait, ce so
26 fait, ce sont exactement les mêmes erreurs. 4. Si d’ aucuns remontent à Luther, d’autres s’en vont chercher encore plus loi
27 s s’en vont chercher encore plus loin les racines de l’hitlérisme. M. Edmond Jaloux les trouve, pour sa part (voir la Gaz
28 zette du 24 avril), dans le romantisme et le goût de la mort qui caractérisent les vieux poèmes germaniques. À quoi s’oppo
29 s, pour autant qu’ils ne sont pas les traductions de chants islandais ou scandinaves, sont des imitations de légendes lang
30 nts islandais ou scandinaves, sont des imitations de légendes languedociennes et bretonnes, donc celtiques. Hubert, le mei
31 l pas que dans la mythologie des Celtes, « l’idée de la mort domine tout, et tout la découvre »? On voit le danger d’aller
32 ne tout, et tout la découvre »? On voit le danger d’ aller chercher dans un passé que l’on connaît mal les causes d’une rév
33 her dans un passé que l’on connaît mal les causes d’ une révolution dont les effets ne sont que trop connus. Le seul avanta
34 effets ne sont que trop connus. Le seul avantage de ce procédé historique et littéraire, c’est qu’il dispense de mentionn
35 dé historique et littéraire, c’est qu’il dispense de mentionner des causes prochaines, beaucoup plus claires, solides et c
36 aires, solides et convaincantes. Ces causes sont, de toute évidence : la guerre, le traité de Versailles, la grande misère
37 es sont, de toute évidence : la guerre, le traité de Versailles, la grande misère de l’inflation et du chômage, l’échec de
38 guerre, le traité de Versailles, la grande misère de l’inflation et du chômage, l’échec de la conférence du désarmement, e
39 ande misère de l’inflation et du chômage, l’échec de la conférence du désarmement, enfin et surtout les exemples du commun
40 du fascisme italien. Peut-être aussi la mollesse de la politique franco-anglaise jusqu’à Munich, qui ménageait Hitler à t
41 trouvent impliquées des nations que l’on aime et de chères croyances… Mais quoi, la guerre présente nous rappelle au séri
42 , qui n’est pourtant pas luthérienne. Je m’excuse de tant d’évidences, et d’avoir à les rappeler à l’attention d’esprits s
43 est pourtant pas luthérienne. Je m’excuse de tant d’ évidences, et d’avoir à les rappeler à l’attention d’esprits si distin
44 luthérienne. Je m’excuse de tant d’évidences, et d’ avoir à les rappeler à l’attention d’esprits si distingués. a. Roug
45 vidences, et d’avoir à les rappeler à l’attention d’ esprits si distingués. a. Rougemont Denis de, « Erreurs sur l’Allem
46 on d’esprits si distingués. a. Rougemont Denis de , « Erreurs sur l’Allemagne », Gazette de Lausanne, Lausanne, 1 mai 19
47 nt Denis de, « Erreurs sur l’Allemagne », Gazette de Lausanne, Lausanne, 1 mai 1940, p. 1.
2 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « À cette heure où Paris… » (17 juin 1940)
48 À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’ un nuage, et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sent
49 sait : si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’ être un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éte
50 e n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur avait prophétisé :
51 devant le sentiment, devant ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues
52 le sentiment, devant ce qui fait la valeur de la vie . Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plu
53 ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde
54 nde : Il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’ aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irre
55 d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais
56 es. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’ irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut co
57 é à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la fo
58 les servants des Panzerdivisionen. Quelque chose d’ indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tr
59 appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant victorieux : Tout ce qu’il veut saisir se change à son
60 u’il veut saisir se change à son approche — Midas de l’ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse. N’importe
61 du, en pierraille lépreuse. N’importe quel badaud d’ un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un coucha
62 rraille lépreuse. N’importe quel badaud d’un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant sur Sai
63 e juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’ un couchant sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la fo
64 sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de m
65 rmain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sa
66 isant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage
67 foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plu
68 rc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et pl
69 aux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu
70 e grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les t
71 s pas un conquérant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette Ville était peut-être nécessaire pour faire com
72 ant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette Ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde
73 bles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois
74 s avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils
75 e. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que le jour de la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun tri
76 ls font. » Le 15 juin 1940. b. Rougemont Denis de , « À cette heure où Paris… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 17 juin
77 nt Denis de, « À cette heure où Paris… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 17 juin 1940, p. 1.
3 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). New York alpestre (14 février 1941)
78 ne m’avait dit que New York est une île en forme d’ un gratte-ciel couché. C’est la ville la plus simple du monde. Douze a
79 du monde. Douze avenues parallèles, dans le sens de la longueur, qui est d’une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinq
80 parallèles, dans le sens de la longueur, qui est d’ une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kil
81 s le sens de la longueur, qui est d’une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kilomètres coupant
82 gtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kilomètres coupant les avenues à angle droit. Au milieu, un pa
83 ant les avenues à angle droit. Au milieu, un parc de dix kilomètres carrés. C’est tout, c’est la cité de Manhattan… Mais l
84 dix kilomètres carrés. C’est tout, c’est la cité de Manhattan… Mais les faubourgs, au-delà du fleuve et du bras de mer qu
85 Mais les faubourgs, au-delà du fleuve et du bras de mer qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien plus vastes,
86 es, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait di
87 t plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plu
88 ées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’ autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New Yor
89 l couchant flambait les hauteurs des gratte-ciel, de cette couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes des parois roche
90 des parois rocheuses alors que la vallée s’emplit d’ une ombre froide, et j’étais si bien au fond d’une gorge, dans cette r
91 it d’une ombre froide, et j’étais si bien au fond d’ une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpr
92 étais si bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la m
93 e mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventure, viennent frapper les verticalités granitiques et a
94 Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’ aventure, viennent frapper les verticalités granitiques et argentées d
95 frapper les verticalités granitiques et argentées de l’Empire State, du Centre Rockefeller, du Chrysler, de cent autres de
96 Empire State, du Centre Rockefeller, du Chrysler, de cent autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais ne se lassen
97 u Centre Rockefeller, du Chrysler, de cent autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais ne se lassent pas de désign
98 és célèbres que les New-Yorkais ne se lassent pas de désigner, comme nous énumérons nos Alpes quand nous en contemplons la
99 ous en contemplons la chaîne, et qui leur servent de repères pour se diriger dans la ville. Le vent fou, l’air ozone, et l
100 ark, au milieu des prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici 
101 s prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient
102 s sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secre
103 ’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capab
104 plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporte
105 de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-
106 n : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les
107 étaient capables de supporter le formidable poids d’ un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tra
108 de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranches, polis et l
109 ules des plus riches buildings, reliques scellées d’ une antiquité souterraine. Bien des aspects physiques et moraux de la
110 souterraine. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la P
111 . Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proc
112 imat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’ extrême civilisation matérielle demeure hanté par on ne sait quelle sa
113 sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’ extrême densité humaine demeure baigné d’une atmosphère irrévocablemen
114 ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné d’ une atmosphère irrévocablement désertique. Les Américains des plaines
115 ocablement désertique. Les Américains des plaines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanit
116 laines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici le climat et les rapport
117 st, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici le climat et les rapports humains. Ils
118  européenne »… Mais moi, je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. New York, janvier 1941.
119 s moi, je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. New York, janvier 1941. c. Rougemont Deni
120 ré. New York, janvier 1941. c. Rougemont Denis de , « New York alpestre », Gazette de Lausanne, Lausanne, 14 février 194
121 ougemont Denis de, « New York alpestre », Gazette de Lausanne, Lausanne, 14 février 1941, p. 1.
4 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La route américaine (18 février 1941)
122 ne (18 février 1941)d L’Européen parle parfois de sa conception de la vie. Aux États-Unis, on parle tous les jours de l
123 41)d L’Européen parle parfois de sa conception de la vie. Aux États-Unis, on parle tous les jours de l’american way of
124 L’Européen parle parfois de sa conception de la vie . Aux États-Unis, on parle tous les jours de l’american way of life, l
125 e la vie. Aux États-Unis, on parle tous les jours de l’american way of life, littéralement : de la route américaine de la
126 jours de l’american way of life, littéralement : de la route américaine de la vie. Ce qui est pour nous concept, forme ar
127 y of life, littéralement : de la route américaine de la vie. Ce qui est pour nous concept, forme arrêtée, devient chez eux
128 ife, littéralement : de la route américaine de la vie . Ce qui est pour nous concept, forme arrêtée, devient chez eux chemin
129 t indéfini. C’est pourquoi je prendrai les routes d’ Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. O
130 les routes d’Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère des pionniers, l’
131 close l’ère des pionniers, l’ère des défricheurs de savanes qui firent reculer la frontière de décade en décade, à traver
132 cheurs de savanes qui firent reculer la frontière de décade en décade, à travers le Far West, jusqu’à ce qu’ils eussent re
133 vait plus rien ajouter aux plus hauts gratte-ciel de New York, à ces grandiloquents témoins de la crise de 1929, où les af
134 te-ciel de New York, à ces grandiloquents témoins de la crise de 1929, où les affaires périssent et les bureaux se vident
135 ew York, à ces grandiloquents témoins de la crise de 1929, où les affaires périssent et les bureaux se vident au-dessus du
136 grand malaise étreignait l’âme américaine, prise de nausée dès qu’elle ressent l’approche d’une limite infranchissable. O
137 e, prise de nausée dès qu’elle ressent l’approche d’ une limite infranchissable. Où s’élancer encore ? Comment sortir de ce
138 anchissable. Où s’élancer encore ? Comment sortir de cet embouteillage de richesses matérielles ? Il restait à construire
139 ncer encore ? Comment sortir de cet embouteillage de richesses matérielles ? Il restait à construire des routes. Depuis di
140 rades américaines allongent sans répit leur ruban de béton, semblables à la trace d’un grand fer à repasser au travers des
141 répit leur ruban de béton, semblables à la trace d’ un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des te
142 tinent. Personne n’en parle. On n’a pas eu besoin de changer de régime pour le réaliser. Les autostrades américaines ne so
143 sonne n’en parle. On n’a pas eu besoin de changer de régime pour le réaliser. Les autostrades américaines ne sont pas une
144 ntre le chômage. Elles sont le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, et qui voit grand sans se
145 le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’ un peuple libre, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un spec
146 onserver, ici ou là, un grand arbre isolé, témoin de la Prairie. Trois pistes blanches délimitées par des lignes jaunes et
147 noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de droite à gauche, de gauche à droite, entre 100 et 130 à l’heure, des
148 elles se déplacent lentement, de droite à gauche, de gauche à droite, entre 100 et 130 à l’heure, des millions de larges v
149 droite, entre 100 et 130 à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle aisance dans la vitesse, l’absence de seco
150 res. Une telle aisance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’obstacles, l’enivrante continuité du déferlement génér
151 isance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’ obstacles, l’enivrante continuité du déferlement général, tout cela vo
152 cela vous donne après quelques minutes l’illusion d’ une puissance immobile qui vaincrait la distance par le charme, attira
153 le charme, attirant les villes à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’une curiosité rêveuse. Mais soudain le regar
154 lles à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’ une curiosité rêveuse. Mais soudain le regard est pris par un panneau
155 aillé à bout portant par cent, par mille panneaux de toutes formes et couleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan e
156 il s’éduque et se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le t
157 e et se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le texte) dont
158 déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le texte) dont les phrases fr
159 superhighways. « Perdez une minute, épargnez une vie  !… Gardez votre droite… Dépassez à gauche… Avez-vous pensé à l’annive
160 passez à gauche… Avez-vous pensé à l’anniversaire de votre femme ?… Donnez-lui un aspirateur Smith… Des bonbons Johnson… I
161 Ici, trois tués par jour… Lisez la Bible… Cabines de touristes à 100 yards… Ferry-boat du Delaware en grève… Faites un dét
162 êtez-vous à l’Hôtel Franklin… Ralentissez, légion de daims… Les partis se réconcilient… autour d’un verre de Champagne Ren
163 gion de daims… Les partis se réconcilient… autour d’ un verre de Champagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’huil
164 ms… Les partis se réconcilient… autour d’un verre de Champagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’huile ?… L’État
165 ampagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’ huile ?… L’État de Pennsylvanie vous souhaite la bienvenue… Et limite
166 mite votre vitesse à cinquante miles… 500 dollars d’ amende ou un an de prison… ou les deux ensemble… Dieu bénisse l’Amériq
167 à cinquante miles… 500 dollars d’amende ou un an de prison… ou les deux ensemble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je ferme les
168 couvert les 400 kilomètres qui séparent le centre de New York de Washington, en traversant deux villes énormes : Philadelp
169 vitesse rétrécit l’espace américain ; les routes de la vitesse lui créent enfin des cadres. Quand cette surface sera suff
170 ganisée, vers quoi se tournera l’effort collectif de ce peuple ? Peut-être vers la profondeur, vers la culture, vers ces p
171 véritable : celui que chacun porte en soi, celui de l’âme inépuisable. Ce jour-là, les glorieux highways aboutiront enfin
172 aboutiront enfin à l’Homme. d. Rougemont Denis de , « La route américaine », Gazette de Lausanne, Lausanne, 18 février 1
173 gemont Denis de, « La route américaine », Gazette de Lausanne, Lausanne, 18 février 1941, p. 1.
5 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Souvenir de la paix française (15 mars 1941)
174 Souvenir de la paix française (15 mars 1941)e Périgny… C’était bien ce nom-là 
175 était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre el
176 nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’ un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaie
177 te. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de
178 une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’ un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du platea
179 élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du plateau de la Brie. Je montais vers Pé
180 champs de roses et des blés aux bords du plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par un sentier fort raide entre les
181 entier fort raide entre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on par
182 boutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle
183 ns la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ ardoises ne dépassent pas les façades nues, brunies par l’âge, palmées
184 même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les ro
185 nt ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’ une ferme au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’appar
186 au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’apparaît si discrète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’est q
187 tin. Je longeais cette rue silencieuse, imaginant d’ y vivre un jour, dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au
188 s routes prend à droite, vers la plaine, escortée de quelques maisons ; l’autre s’incline lentement vers la vallée, dans l
189 blés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’ un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets
190 is là fasciné comme par la découverte d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imagi
191 e d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imaginant une idylle muette. Celui qui re
192 tils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ. En passant au carrefour, il s’est dit : Peut-être est-elle
193  : Peut-être est-elle à Mandres ; c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du
194 a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffit. Je suis redescendu vers la vall
195 e signe suffit. Je suis redescendu vers la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisa
196 iers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noi
197 dron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. J’ai su, plus
198 ait mes adieux à la France. e. Rougemont Denis de , « Souvenir de la paix française », Gazette de Lausanne, Lausanne, 15
199 à la France. e. Rougemont Denis de, « Souvenir de la paix française », Gazette de Lausanne, Lausanne, 15 mars 1941, p. 
200 is de, « Souvenir de la paix française », Gazette de Lausanne, Lausanne, 15 mars 1941, p. 1.
6 1946, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)
201 Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)f g Monsieur,
202 nsieur, quel bon vent vous amène ? J’avais besoin de me retrouver dans une atmosphère française ; la production littéraire
203 venu en Suisse directement ? Oui, à part un arrêt de quelques jours à Paris. Votre impression de la capitale française ? J
204 arrêt de quelques jours à Paris. Votre impression de la capitale française ? J’ai été frappé par son extraordinaire beauté
205 était-ce pas le contraste avec ces grands diables d’ Américains ? Non, car en Suisse je n’ai rien éprouvé de semblable. À P
206 ricains ? Non, car en Suisse je n’ai rien éprouvé de semblable. À Paris c’était véritablement oppressant… Remontons le cou
207 tait véritablement oppressant… Remontons le cours de votre voyage. Puis-je vous demander où vous aviez vos assises en Amér
208 ps où la Suisse vous avait en quelque sorte perdu de vue ? J’ai surtout habité New York, à part les quatre mois que j’ai p
209 e les conférences n’étaient pas un très bon moyen de propagande. Les Américains en écoutent énormément, et les oublient le
210 n avec Mme Maurice Muret, qui s’intitule Le Cœur de l’Europe et qui eut un grand succès. C’est le seul ouvrage que les A
211 effet. Qu’y enseigniez-vous ? J’avais une chaire de philosophie-sociologie. Mes collègues, de Strasbourg, Rouen, la Sorbo
212 chaire de philosophie-sociologie. Mes collègues, de Strasbourg, Rouen, la Sorbonne, etc. étaient charmants. La vie intell
213 g, Rouen, la Sorbonne, etc. étaient charmants. La vie intellectuelle était donc fort active à New York ? Au point que trois
214 New York ? Au point que trois maisons françaises d’ édition s’y sont fondées pendant la guerre. J’ajoute que l’École des h
215 des hautes études a lancé une revue, Renaissance. De là, j’ai passé au ministère américain de l’information de guerre, où
216 issance. De là, j’ai passé au ministère américain de l’information de guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de
217 ’ai passé au ministère américain de l’information de guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de l’Amérique parle
218 ain de l’information de guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de l’Amérique parle aux Français », retransmise
219 guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de l’Amérique parle aux Français », retransmise par Londres. Il me falla
220 chaque jour 20 à 30 pages, soit un quart d’heure de nouvelles et autant de commentaires, dans un bruit trépidant et en s’
221 ges, soit un quart d’heure de nouvelles et autant de commentaires, dans un bruit trépidant et en s’inspirant des directive
222 et en s’inspirant des directives des chefs locaux de Londres et des Américains. C’était extrêmement fatigant et j’ai aband
223 mythes grecs : Doctrine fabuleuse  ; un recueil d’ articles intitulé Vues sur l’Amérique  ; et 18 Lettres sur la bombe
224 anglais, en danois, en hollandais, en espagnol), d’ un style du genre voltairien, dans lesquelles je montre que les armées
225 tairien, dans lesquelles je montre que les armées de masse sont devenues inutiles et que la guerre militaire est morte, et
226 du diable et Les Personnes du drame . D’autres de mes ouvrages seront traduits. En outre, on va rééditer à Paris Polit
227 uits. En outre, on va rééditer à Paris Politique de la personne , Penser avec les mains et L’Amour et l’Occident . Vou
228 consacrer entièrement à mes livres. Quelques-unes de vos lettres sur la bombe atomique ont paru dans Le Figaro  ? Oui, el
229 andale dans certains milieux, mais aussi beaucoup d’ approbations enthousiastes. Savez-vous si les Soviets ont, pu s’empare
230 z-vous si les Soviets ont, pu s’emparer du secret de la bombe atomique ? Non, et nul ne le sait, je crois, en Amérique. Ma
231 ue. Mais une polémique ardente, sur l’opportunité de le livrer, alimente encore quotidiennement la chronique, là-bas. Avez
232 qui a ses valeurs à elle. Peut-on employer ce mot de civilisation pour un peuple si neuf ? Disons que leur conception de l
233 ur un peuple si neuf ? Disons que leur conception de la vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quoti
234 peuple si neuf ? Disons que leur conception de la vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quotidiens.
235 tion de la vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture proprement di
236 vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture proprement dite, mais b
237 n de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture proprement dite, mais bien une civilisation scientifique, non
238 s bien une civilisation scientifique, non exempte d’ un certain pédantisme. Des armées de savants étudient par exemple la m
239 , non exempte d’un certain pédantisme. Des armées de savants étudient par exemple la meilleure façon de s’alimenter, et la
240 e savants étudient par exemple la meilleure façon de s’alimenter, et la font enseigner aux écoliers. C’est d’ailleurs une
241 très belle race qui est en train de se former, et de gens extrêmement gentils. Y a-t-il bien, à votre avis, une puérilité
242 caine ? Et quel jugement porter sur les histoires d’ un pittoresque extravagant qui nous viennent de là-bas ? Puérils, ils
243 s yeux sur certains autres (par exemple, la manie de nous battre). À côté d’eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont
244 es (par exemple, la manie de nous battre). À côté d’ eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont évidemment très simplis
245 simplistes dans ce qu’ils impriment, et manquent d’ esprit critique. Quant à leurs loufoqueries, ne croyons pas qu’ils les
246 s qu’ils les prennent au sérieux : c’est un genre d’ humour qui leur plaît, et ils ne font que s’en amuser. Si on les compa
247 y est toujours vrai quelque part. C’est un résumé de la planète. On se sent à New York, en particulier, si cosmopolite auj
248 nt, il faudrait que le plus grand nombre possible d’ Européens eussent l’occasion de quitter leur « province » pour s’y ren
249 nd nombre possible d’Européens eussent l’occasion de quitter leur « province » pour s’y rendre. N’ont-ils donc rien à crai
250 » pour s’y rendre. N’ont-ils donc rien à craindre de l’américanisme ? Pour ce qui est du matérialisme, avec son culte du c
251 est du matérialisme, avec son culte du confort et de la machine, son admiration pour le progrès technique, les Américains
252 pas grand-chose à nous apprendre, et c’est là une de leurs grandes ressemblances (il y en a beaucoup) avec les Suisses. No
253 up) avec les Suisses. Non, plutôt que l’influence de la standardisation matérielle, c’est la standardisation de la pensée
254 ndardisation matérielle, c’est la standardisation de la pensée qui me paraît très dangereuse. De la pensée et des jugement
255 ation de la pensée qui me paraît très dangereuse. De la pensée et des jugements moraux : par la synchronisation de la pres
256 et des jugements moraux : par la synchronisation de la presse ; par le prestige incroyable d’Hollywood, qui donne le ton,
257 isation de la presse ; par le prestige incroyable d’ Hollywood, qui donne le ton, et où l’Amérique semble copier l’image qu
258 l’Amérique semble copier l’image qu’elle s’y fait d’ elle-même ; par la baisse du niveau intellectuel auquel les éditeurs c
259 uel auquel les éditeurs contribuent en ne faisant de gros tirages que pour les ouvrages médiocres. Quand un livre a du suc
260 out à notre honneur ! L’Europe reste le continent de la création. L’Amérique ne crée pas. Elle est plutôt complémentaire d
261 rique ne crée pas. Elle est plutôt complémentaire de l’Europe. Cela permettrait entre elles une entente fructueuse et soli
262 e et solide. Et, à ce propos, on a tort en Europe de craindre l’impérialisme américain. J’ai peur, quant à moi, qu’il ne s
263 timide ! Car les Américains redoutent énormément d’ avoir l’air impérialiste. Et cette politique pourrait avoir d’assez gr
264 r impérialiste. Et cette politique pourrait avoir d’ assez graves conséquences pour l’Europe…1 1. L’entretien se termine
265 entretien se termine par un commentaire conclusif de l’interviewer : « Nous devons arrêter là cette interview ; nous ne do
266 view ; nous ne doutons pas que les considérations de l’écrivain neuchâtelois — que nous espérons n’avoir point trahies en
267 ont vivement nos lecteurs. » f. Rougemont Denis de , « [Entretien] Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nou
268 is de, « [Entretien] Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 4 mai
269 emont, de passage en Europe, nous dit… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 4 mai 1946, p. 3. g. Ces propos, recueillis par
270 es propos, recueillis par C.-P. B., sont précédés de l’introduction suivante : « Après une absence de quelque six années M
271 de l’introduction suivante : « Après une absence de quelque six années M. Denis de Rougemont est revenu au pays de Neuchâ
272 x années M. Denis de Rougemont est revenu au pays de Neuchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n’est d’ailleurs qu
273 automne. Il a bien voulu nous accorder la primeur d’ une interview, ce dont nous le remercions ici très vivement. »
7 1947, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (5 décembre 1947)
274 t Me Duperrier : — Rougemont s’est mis au service d’ une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a parlé à la radio, com
275 vient un réquisitoire, et l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramare, mais alors il n’y a pas
276 acquitter Oltramare, mais alors il n’y a pas lieu de me dénoncer, tout ce discours retombe à plat, et notre avocat perd la
277 avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’ esprit qui peut admettre que j’aie vraiment agi comme Oltramare ? Nous
278 ais par ce procédé l’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Dup
279 ’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’ un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Duperrier — celui qui a
280 Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’ avoir consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La seule quest
281 euse qui se posait, notre avocat s’est bien gardé de la formuler, c’est celle du contenu des émissions. Oltramare a parlé
282 ramare a parlé en faveur des nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pou
283 es nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pour les démocraties, donc po
284 ue je faisais en Amérique exactement le contraire d’ Oltramare à Paris. Si Me Duperrier ne sent pas la différence, essayons
285 Me Duperrier ne sent pas la différence, essayons de l’éclairer par une fable. Supposons que j’aie tant et si bien parlé à
286 uger sommairement, et Me Duperrier se voit chargé d’ office de ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que
287 airement, et Me Duperrier se voit chargé d’office de ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que j’ai fait
288 ctement le contraire. On me fusille et on le pend d’ office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà !… les Américains o
289 traire. On me fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà !… les Américains ont gagné la gu
290 fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà !… les Américains ont gagné la guerre. La Suiss
291 orné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pour avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de m
292 r avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exactement inverse. Je garde le droit d
293 un prétexte exactement inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de
294 t inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette af
295 de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette affaire, mon livre en main, selon votre conscience
296 ffaire, mon livre en main, selon votre conscience de citoyens de la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dite
297 livre en main, selon votre conscience de citoyens de la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dites avec moi q
298 s des morts, ou je ne sais quels esclaves honteux de vivre. h. Rougemont Denis de, « Consolation à Me Duperrier sur un
299 esclaves honteux de vivre. h. Rougemont Denis de , « Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu », Gazette de Lausa
300 ion à Me Duperrier sur un procès perdu », Gazette de Lausanne, Lausanne, 5 décembre 1947, p. 3. i. Le texte est précédé d
301 e est précédé du chapeau suivant : « Mis en cause de singulière manière au procès Oltramare par Me Duperrier, Denis de Rou
302 e Duperrier, Denis de Rougemont répond sur le ton de la plaisanterie dans le dernier Bulletin de la Guilde du livre. Voici
303 e ton de la plaisanterie dans le dernier Bulletin de la Guilde du livre. Voici la conclusion de ses réflexions narquoises 
304 lletin de la Guilde du livre. Voici la conclusion de ses réflexions narquoises ; elles intéresseront tous ceux, fort nombr
305 qui ont jugé… surprenant le procédé du défenseur d’ Oltramare. »
8 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les écrivains romands et Paris (10 septembre 1949)
306 imité du monde germanique. Mais nous n’avons rien de ce qu’il faut pour assurer le succès d’une œuvre : publicité, mouveme
307 vons rien de ce qu’il faut pour assurer le succès d’ une œuvre : publicité, mouvement autour d’un livre ou d’un auteur, app
308 succès d’une œuvre : publicité, mouvement autour d’ un livre ou d’un auteur, appuis sociaux, politiques ou financiers. Je
309 œuvre : publicité, mouvement autour d’un livre ou d’ un auteur, appuis sociaux, politiques ou financiers. Je ne sais trop s
310 rands », et ils sont à Paris. Nous faisons partie de la littérature française. Or, il se trouve que la France est un pays
311 uve que la France est un pays centralisé, dans sa vie littéraire aussi. Pourquoi s’insurger, nous seuls, contre ce fait ? I
312 demandant s’il existe pour lui « une possibilité de salut » comme écrivain, « un public, des appuis », etc., dans sa chèr
313 hère Bretagne natale ? Peut-être avez-vous raison de considérer la situation des écrivains romands comme un cas tout à fai
314 Paris, mais c’est le départ qui importe. Combien de grandes œuvres ont-elles été écrites, et publiées, au lieu même et da
315 ? J’en vois si peu, et je trouve en revanche tant d’ exemples éclatants des bienfaits littéraires de l’exil, — d’Ovide à Ri
316 nt d’exemples éclatants des bienfaits littéraires de l’exil, — d’Ovide à Rilke ou à T. S. Eliot, de Dante à Paul Claudel o
317 éclatants des bienfaits littéraires de l’exil, —  d’ Ovide à Rilke ou à T. S. Eliot, de Dante à Paul Claudel ou à James Joy
318 es de l’exil, — d’Ovide à Rilke ou à T. S. Eliot, de Dante à Paul Claudel ou à James Joyce — que j’en viens à me demander
319 a plus bénéfique à la fois) n’est pas précisément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même e
320 ique à la fois) n’est pas précisément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même et surtout si
321 sément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même et surtout si l’on doit tirer de ce milieu,
322 ovince natale. Même et surtout si l’on doit tirer de ce milieu, de cette province, le meilleur de son inspiration. j. R
323 Même et surtout si l’on doit tirer de ce milieu, de cette province, le meilleur de son inspiration. j. Rougemont Denis
324 irer de ce milieu, de cette province, le meilleur de son inspiration. j. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête]
325 eilleur de son inspiration. j. Rougemont Denis de , « [Réponse à une enquête] Les écrivains romands et Paris », Gazette
326 nquête] Les écrivains romands et Paris », Gazette de Lausanne, Lausanne, 10 septembre 1949, p. 12. k. L’enquête à laquell
327 hapeau suivant : « Récemment, notre correspondant de Paris, Jean-Pierre Moulin, a posé dans nos colonnes les trois questio
328 a réalité romande ou même helvétique des éléments d’ appréciation suffisants pour alimenter une littérature qui ne soit pas
329 et strictement « locale » ? 2. A-t-il des chances d’ être compris par ses compatriotes ? Trouvera-t-il un public ? Des appu
330 aris n’est-il pas, en même temps qu’une tentative de retrouver ailleurs ce que l’on ne trouve pas dans son pays, une fuite
331 ite, loin de ce que Ramuz appelle “le train-train d’ une vie moyenne où l’exception, n’a point de part” ? Après les réponse
332 oin de ce que Ramuz appelle “le train-train d’une vie moyenne où l’exception, n’a point de part” ? Après les réponses de J.
333 train d’une vie moyenne où l’exception, n’a point de part” ? Après les réponses de J.-E. Chable, Robert de Traz, Marcel Ro
334 xception, n’a point de part” ? Après les réponses de J.-E. Chable, Robert de Traz, Marcel Rosset, Frédéric Barbey, Maurice
335 irard, Jean Nicollier, Suzanne Delacoste et celle de Clarisse Francillon, publiées ces dernières semaines, voici l’avis de
336 on, publiées ces dernières semaines, voici l’avis de Paul Chaponnière, Jacques Mercanton, Denis de Rougemont et de Corinna
337 onnière, Jacques Mercanton, Denis de Rougemont et de Corinna Bille. D’autres suivront la semaine prochaine. […] Ce sont la
338 oncision et la vigueur qui distinguent la réponse de M. Denis de Rougemont. Si ce Suisse très cosmopolite reconnaît, à son
339 lite reconnaît, à son tour, que notre pays manque de ce qui est indispensable au succès d’une œuvre littéraire, il ne se r
340 pays manque de ce qui est indispensable au succès d’ une œuvre littéraire, il ne se répand point en lamentations. Au contra
9 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)
341 1949)l m Votre lettre est la meilleure preuve de l’urgence de notre congrès. Elle dit tout haut ce que pensent des mil
342 Votre lettre est la meilleure preuve de l’urgence de notre congrès. Elle dit tout haut ce que pensent des millions. Et ell
343 e le dit sans précautions, avec la calme outrance de la désillusion. Elle dit deux mots : trop tard. D’autres nous disent 
344 une hâte « imprudente », la différence n’est pas de jugement politique, mais d’expérience humaine, et surtout de souffran
345 différence n’est pas de jugement politique, mais d’ expérience humaine, et surtout de souffrance. Vous avez trop souffert
346 politique, mais d’expérience humaine, et surtout de souffrance. Vous avez trop souffert la longue horreur des camps pour
347 a longue horreur des camps pour croire au sursaut de l’humain qui pourrait seul sauver l’Europe. Les autres dorment. Ils n
348 as encore vu qu’on ne leur laissera plus le temps d’ être prudents. Trop tard, dites-vous. « L’Europe n’existe plus ». Les
349 a tout notre espoir, bien plus, il y a le ressort de notre action. Je voudrais vous montrer que ce presque est une réalité
350 t « ouverte ». C’est qu’il y a donc encore un peu d’ Europe vivante. L’Europe existe encore, là où le cri des hommes n’est
351 ouffé dans leur bouche, ou dans les sources mêmes de leur révolte. Vous allez me dire : « Ce n’est qu’une survivance. En r
352 ivance. En réalité, les jeux sont faits. Le droit de parler nous est encore laissé, mais c’est qu’il n’a plus d’importance
353 nous est encore laissé, mais c’est qu’il n’a plus d’ importance. La possibilité d’agir nous est ôtée. » Venez donc à Lausan
354 c’est qu’il n’a plus d’importance. La possibilité d’ agir nous est ôtée. » Venez donc à Lausanne, et nous en discuterons. (
355 te encore, là où le dialogue existe.) Vous parlez de la « dernière illusion de l’Europe ». J’en vois une autre, et votre l
356 ue existe.) Vous parlez de la « dernière illusion de l’Europe ». J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’une man
357 . J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’ une manière émouvante. C’est l’illusion causée par la désillusion. Ell
358 andue, elle est si fascinante qu’elle risque bien de provoquer, comme tout vertige, la chute qu’elle imagine. Cette illusi
359 vertige, la chute qu’elle imagine. Cette illusion d’ optique consiste à voir une toute petite Europe ruinée entre deux colo
360 ses agressifs. Secouons-nous, détournons les yeux de cet abîme d’angoisse, et calculons. Le tableau change en un clin d’œi
361 . Secouons-nous, détournons les yeux de cet abîme d’ angoisse, et calculons. Le tableau change en un clin d’œil. À l’ouest
362 leau change en un clin d’œil. À l’ouest du rideau de fer, nous sommes 300 millions : c’est deux fois plus que l’Amérique,
363 s satellites. Sur ces 300 millions, dix pour cent de communistes ? Mais sur les 100 millions de satellites, quatre-vingt-d
364 r cent de communistes ? Mais sur les 100 millions de satellites, quatre-vingt-dix pour cent qui ne sont pas communistes. U
365 us des fausses symétries. La symétrie est une loi de la paresse, autant qu’un procédé de construction. Dans toutes les cho
366 e est une loi de la paresse, autant qu’un procédé de construction. Dans toutes les choses humaines, elle est une illusion.
367 sion. Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’Europe. Ce n’est pas la même union que les Russes nous imposeraient
368 érique veut l’Europe unie, parce qu’elle a besoin de nous en tant qu’Européens, autonomes, et même concurrents, non pas en
369 claves coûteux à entretenir. Et nous avons besoin de l’Amérique, en retour ; nous n’avons pas besoin des Russes. Les Améri
370 s besoin des Russes. Les Américains seront forcés de nous forcer à l’union ou de nous abandonner, si nous n’arrivons pas,
371 ricains seront forcés de nous forcer à l’union ou de nous abandonner, si nous n’arrivons pas, d’ici deux ans, à nous fédér
372 x ans, à nous fédérer librement. Il ne dépend que de nous d’y réussir. Les jeux ne sont donc pas faits. Il nous reste deux
373 nous fédérer librement. Il ne dépend que de nous d’ y réussir. Les jeux ne sont donc pas faits. Il nous reste deux ans. No
374 oit perdue, si elle cède au vertige, à l’illusion d’ urne impuissance qui alors seulement deviendra vraie. Cher ami, vous a
375 endra vraie. Cher ami, vous avez quelques raisons d’ être plus pessimiste que d’autres. Tous ceux qui ont lu votre livre l’
376 t invité à la conférence, est indemne du reproche d’ avoir vendu vos peuples. Mais je pense que vous avez tort de proposer
377 ndu vos peuples. Mais je pense que vous avez tort de proposer qu’on choisisse un Grand Homme. Vous n’y croyez sans doute p
378 : « Ou bien un enfant… » Nous voici dans le temps de l’Avent, dans les nuits les plus longues de l’année. Cherchons ensemb
379 temps de l’Avent, dans les nuits les plus longues de l’année. Cherchons ensemble à distinguer les signes. Les Mages aussi
380 nfant qui a sauvé le monde. l. Rougemont Denis de , « L’Europe est encore un espoir », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8
381 is de, « L’Europe est encore un espoir », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8 décembre 1949, p. 1. m. Rougemont répond ici à
382  1. m. Rougemont répond ici à une lettre ouverte de Virgil Gheorghiu parue dans le même numéro, à l’occasion de l’ouvertu
383 Gheorghiu parue dans le même numéro, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence européenne de la culture, qui se tint à
384 dans le même numéro, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence européenne de la culture, qui se tint à Lausanne du 8 a
385 casion de l’ouverture de la Conférence européenne de la culture, qui se tint à Lausanne du 8 au 12 décembre 1949.
10 1953, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)
386 « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)n Déjà les pasteurs et les prê
387 s et les prêtres se préparent à parler du message de Noël aux hommes de bonne volonté, répétant avec M. Romains une grave
388 préparent à parler du message de Noël aux hommes de bonne volonté, répétant avec M. Romains une grave erreur de traductio
389 olonté, répétant avec M. Romains une grave erreur de traduction. Car l’Évangile dans le texte original dit simplement : Pa
390 it simplement : Paix sur la terre, bonne volonté ( de Dieu) envers les hommes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et
391 olonté (de Dieu) envers les hommes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre
392 mes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, e
393 be, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la pe
394 et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des
395 ndémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de l’a
396 roques qui président aux rapports des nations, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l
397 ux rapports des nations, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que nous
398 et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que nous comprenions que les homm
399 et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bon
400 t que subir leur condition. n. Rougemont Denis de , « [Réponse à une enquête] Ce qu’ils pensent de Noël… », Gazette de L
401 s de, « [Réponse à une enquête] Ce qu’ils pensent de Noël… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 24 dé
402 ne enquête] Ce qu’ils pensent de Noël… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 24 décembre 1953, p. 7.
11 1954, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)
403 Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)o Le rej
404 Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)o Le rejet de la CED par un
405 is de Rougemont (20 septembre 1954)o Le rejet de la CED par un seul pays vient de jeter tous les autres dans une crise
406 montrant ainsi, une fois de plus, que les nations de l’Europe sont solidaires en fait, pour le meilleur quand elles le rec
407 européens gardent une ferme orientation. L’échec de la CED n’est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’une diplomati
408 me orientation. L’échec de la CED n’est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’une diplomatie qui tentait de « faire l
409 ED n’est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’ une diplomatie qui tentait de « faire l’Europe » à la sauvette, sans p
410 fédérale, mais celui d’une diplomatie qui tentait de « faire l’Europe » à la sauvette, sans poser la question dans son amp
411 ée dans ces lieux indécents que sont les couloirs de parlements, mais dans les esprits et les cœurs. Et le reste suivra —
412 reste suivra — l’armée, l’économie — quand chacun de nos peuples aura compris qu’il s’agit de se sauver tous ensemble ou d
413 d chacun de nos peuples aura compris qu’il s’agit de se sauver tous ensemble ou de périr isolément. o. Rougemont Denis
414 ompris qu’il s’agit de se sauver tous ensemble ou de périr isolément. o. Rougemont Denis de, « Rejet de la CED : l’avis
415 mble ou de périr isolément. o. Rougemont Denis de , « Rejet de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne
416 érir isolément. o. Rougemont Denis de, « Rejet de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne,
417 . Rougemont Denis de, « Rejet de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne, 20 septembre 1954,
418 de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne, 20 septembre 1954, p. 4.
12 1957, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)
419 Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)p Monsieur le rédacteur en
420 sieur le rédacteur en chef, Je vous serais obligé de rassurer vos lecteurs : la photo jointe à l’article « Au Pentagone :
421 rticle « Au Pentagone : Duncan Sandys » ( Gazette de Lausanne des 2-3 février 1957) n’est pas celle du ministre britanniqu
422 ier 1957) n’est pas celle du ministre britannique de la Défense. Elle représente un homme anxieux, aux traits tendus par l
423 é « piqué » par le photographe non point au terme d’ une mission brillamment réussie, mais plutôt pendant le cours d’un épu
424 brillamment réussie, mais plutôt pendant le cours d’ un épuisant congrès, comme fut le Congrès européen de la culture, qui
425 n épuisant congrès, comme fut le Congrès européen de la culture, qui se tint à Lausanne en décembre 1949. Mon ami Duncan S
426 s sentiments bien cordiaux. p. Rougemont Denis de , « Une lettre de Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne (supplémen
427 cordiaux. p. Rougemont Denis de, « Une lettre de Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), La
428 de, « Une lettre de Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 16–17 février 1957, p. 11
13 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Fédéralisme et culture (3-4 mars 1962)
429 sme et culture (3-4 mars 1962)q r Deux erreurs de méthode menacent toute tentative de réveil culturel en Suisse romande
430 Deux erreurs de méthode menacent toute tentative de réveil culturel en Suisse romande : l’esprit de clocher et l’esprit d
431 e de réveil culturel en Suisse romande : l’esprit de clocher et l’esprit d’administration. L’esprit de clocher tend à conf
432 Suisse romande : l’esprit de clocher et l’esprit d’ administration. L’esprit de clocher tend à confondre l’amour fédéralis
433 de clocher et l’esprit d’administration. L’esprit de clocher tend à confondre l’amour fédéraliste de la diversité avec la
434 t de clocher tend à confondre l’amour fédéraliste de la diversité avec la sauvegarde organisée, et si possible officielle,
435 sauvegarde organisée, et si possible officielle, de nos particularismes les plus désuets. Il voudrait que chacune de nos
436 arismes les plus désuets. Il voudrait que chacune de nos cités se suffise à elle-même dans tous les domaines : université,
437 iversité, radio, publications, etc. Et plutôt que de reconnaître que cela n’est pas possible, en plus d’un cas, il pousse
438 reconnaître que cela n’est pas possible, en plus d’ un cas, il pousse à préférer des solutions médiocres, mais « bien de c
439 e à préférer des solutions médiocres, mais « bien de chez nous », aux avantages que pourrait procurer une coopération sans
440 u pays. Votre congrès ayant pour premier objectif de surmonter cette tendance défensive, faussement traditionnelle et auta
441 faussement traditionnelle et autarcique, inutile d’ insister sur ce point. Mais c’est une autre erreur, inverse de la prem
442 ur ce point. Mais c’est une autre erreur, inverse de la première, qui ne cessera de vous tenter : celle de l’organisation
443 re erreur, inverse de la première, qui ne cessera de vous tenter : celle de l’organisation rationnelle d’activités qui par
444 a première, qui ne cessera de vous tenter : celle de l’organisation rationnelle d’activités qui par essence, ne le sont pa
445 vous tenter : celle de l’organisation rationnelle d’ activités qui par essence, ne le sont pas. Tout le secret du fédéralis
446 . Tout le secret du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralis
447 t du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé et ce qui mar
448 trop petites pour se payer chacune un laboratoire de recherches nucléaires, pour ne prendre que cet exemple. Mais qu’on ne
449 ites pour que s’y développent à foison des écoles de peintres, des galeries d’exposition, des troupes d’acteurs, des group
450 ent à foison des écoles de peintres, des galeries d’ exposition, des troupes d’acteurs, des groupes d’écrivains, voire des
451 peintres, des galeries d’exposition, des troupes d’ acteurs, des groupes d’écrivains, voire des petites revues qui exprime
452 d’exposition, des troupes d’acteurs, des groupes d’ écrivains, voire des petites revues qui expriment ces groupes avec l’i
453 sont tout de même devenues des foyers rayonnants de créations du premier ordre. Et cela, je crois, pour les deux raisons
454 : premièrement, la passion créatrice un peu folle de jeunes gens qui se groupaient en écoles, autour d’un maître du métier
455 e jeunes gens qui se groupaient en écoles, autour d’ un maître du métier ; secondement le sens de la dépense magnifique, le
456 utour d’un maître du métier ; secondement le sens de la dépense magnifique, le goût de la nouveauté et du somptueux, qui c
457 ndement le sens de la dépense magnifique, le goût de la nouveauté et du somptueux, qui caractérisent tant de princes et de
458 u somptueux, qui caractérisent tant de princes et de grands marchands de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cet
459 actérisent tant de princes et de grands marchands de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cette passion créatrice
460 nds de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cette passion créatrice et de ce sens du mécénat, nul comité de coord
461 lair qu’à l’absence de cette passion créatrice et de ce sens du mécénat, nul comité de coordination ne pourra jamais reméd
462 on créatrice et de ce sens du mécénat, nul comité de coordination ne pourra jamais remédier. Les comités ne peuvent faire,
463 es et par des petits groupes qui ne craignent pas de passer pour extravagants ou excessifs. Les comités sont par définitio
464 prudents et économes : leur rôle est normalement de rationaliser les activités dont ils s’occupent, pour les rendre plus
465 es ou plus rentables. Mais la culture vivante vit d’ imprudence, et prospère dans le gaspillage des forces et des sommes. J
466 s soyons encore, en Suisse romande, aux antipodes de ce climat d’excitation intellectuelle et artistique. Nos habitudes ut
467 re, en Suisse romande, aux antipodes de ce climat d’ excitation intellectuelle et artistique. Nos habitudes utilitaires, no
468 nitiatives hardies et protégeant en revanche trop de médiocrité pour peu qu’elles aient été un jour inscrites à quelque bu
469 lles aient été un jour inscrites à quelque budget d’ État, et sous prétexte de répartition géographique équitable — ce qui
470 éralisme — c’est tout cela qui mérite aujourd’hui d’ inquiéter les amis de la culture, et c’est aussi tout cela qui menace
471 cela qui mérite aujourd’hui d’inquiéter les amis de la culture, et c’est aussi tout cela qui menace dans ses sources notr
472 tre Suisse fédéraliste. Mais ce n’est pas le fait de supprimer nos douanes qui mettrait en danger nos « raisons d’être » !
473 nos douanes qui mettrait en danger nos « raisons d’ être » ! C’est bien plutôt le fait de ne plus s’intéresser qu’au nivea
474 os « raisons d’être » ! C’est bien plutôt le fait de ne plus s’intéresser qu’au niveau de notre vie matérielle, de traiter
475 ait de ne plus s’intéresser qu’au niveau de notre vie matérielle, de traiter la culture en mendiante, de refuser de la fair
476 ’intéresser qu’au niveau de notre vie matérielle, de traiter la culture en mendiante, de refuser de la faire participer à
477 e matérielle, de traiter la culture en mendiante, de refuser de la faire participer à une prospérité économique sans précé
478 e, de traiter la culture en mendiante, de refuser de la faire participer à une prospérité économique sans précédent. Nos r
479 prospérité économique sans précédent. Nos raisons d’ être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédé
480 économique sans précédent. Nos raisons d’être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédéralisme, j
481 s raisons économiques. Le fédéralisme, j’ai tenté de vous le montrer une fois de plus, vit des mêmes réalités spirituelles
482 es, et prend ses sources dans les mêmes attitudes de pensée que la culture créatrice. On ne sauvera pas l’un sans l’autre.
483 vera pas l’un sans l’autre. q. Rougemont Denis de , « Fédéralisme et culture », Gazette de Lausanne (supplément littérai
484 ont Denis de, « Fédéralisme et culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 3–4 mars 1962, p. 13. r.
485 t par le chapeau suivant : « Grâce à l’obligeance de M. Denis de Rougemont, nous publions un extrait de l’important exposé
486 e M. Denis de Rougemont, nous publions un extrait de l’important exposé qu’il présentera aujourd’hui au congrès pour une c
14 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rectification (9 mars 1962)
487 1962)s Monsieur le directeur, Le compte rendu de ma conférence de samedi dernier au palais de Rumine appelle deux rect
488 ur le directeur, Le compte rendu de ma conférence de samedi dernier au palais de Rumine appelle deux rectifications. En ef
489 endu de ma conférence de samedi dernier au palais de Rumine appelle deux rectifications. En effet, « l’essentiel » de mon
490 le deux rectifications. En effet, « l’essentiel » de mon discours ne consistait nullement, comme l’écrit votre collaborate
491 rit votre collaborateur, à « vitupérer » l’esprit de clocher, dont j’ai très peu parlé, ou le matérialisme, mentionné dans
492 ule phrase, mais bien à insister sur la nécessité de sauvegarder à la fois et en pratique les droits de l’union et ceux de
493 e sauvegarder à la fois et en pratique les droits de l’union et ceux des autonomies locales, les droits de l’organisation
494 ’union et ceux des autonomies locales, les droits de l’organisation et ceux de la création. La moitié d’une vérité n’est q
495 ies locales, les droits de l’organisation et ceux de la création. La moitié d’une vérité n’est qu’une sottise, surtout lor
496 l’organisation et ceux de la création. La moitié d’ une vérité n’est qu’une sottise, surtout lorsqu’il s’agit de fédéralis
497 té n’est qu’une sottise, surtout lorsqu’il s’agit de fédéralisme ! Me faire dire que « tout le secret du fédéralisme » rés
498 tout le secret du fédéralisme » réside dans l’art de distinguer ce qui marcherait mieux en restant… anarchique, c’est donc
499 c me faire dire une sottise, dont je suis heureux de ne pas être l’auteur. Voici mon texte : « Tout le secret du fédéralis
500 « Tout le secret du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralis
501 t du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé, et ce qui ma
502 spersé, voire anarchique ». s. Rougemont Denis de , « Rectification », Gazette de Lausanne, Lausanne, 9 mars 1962, p. 2.
503 . Rougemont Denis de, « Rectification », Gazette de Lausanne, Lausanne, 9 mars 1962, p. 2.
15 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)
504 es avec le Marché commun, on croirait que l’union de l’Europe se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’intérêts
505 que l’union de l’Europe se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’intérêts commerciaux. J’estime donc opportun de
506 se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’ intérêts commerciaux. J’estime donc opportun de rappeler les vraies di
507 et d’intérêts commerciaux. J’estime donc opportun de rappeler les vraies dimensions du problème, et en insistant sur ses a
508 nt sur ses aspects culturels et mondiaux. Je pars d’ un raisonnement assez simple, en trois points : 1. L’union entre des p
509 es ne saurait se faire en général que sur la base de quelque unité préexistante ; 2. Or, l’Europe que l’on tente aujourd’h
510 ante ; 2. Or, l’Europe que l’on tente aujourd’hui d’ unir est d’abord une entité culturelle ; 3. Il en résulte que l’on ne
511 re l’Europe » qu’en conformité avec le génie même de sa culture, qui est celui de l’union dans la diversité. On va voir qu
512 é avec le génie même de sa culture, qui est celui de l’union dans la diversité. On va voir que cette thèse « culturelle »
513 définie. ⁂ La première proposition n’entraîne pas de longs commentaires. Il est évident que des peuples, ne songent à s’un
514 nsolider par des institutions communes leur unité de base, lorsque celle-ci se trouve menacée par des forces de division,
515 lorsque celle-ci se trouve menacée par des forces de division, internes ou externes. La seconde proposition n’est pas auss
516 te pour chacun. Cependant, il n’est pas difficile de l’établir. Quand je dis que l’Europe est d’abord une entité culturell
517 à deux faits majeurs que chacun connaît. Un fait de nature : l’Europe est le plus petit de tous les continents (4 % des t
518 t. Un fait de nature : l’Europe est le plus petit de tous les continents (4 % des terres du globe), et le plus pauvre en m
519 le plus pauvre en matières premières. Et un fait d’ histoire : cette minuscule Europe a dominé successivement sur tous les
520 et qu’elle ne tire pas son origine et sa vitalité de notre nature, mais bien de nos cerveaux, donc de notre culture. L’éco
521 origine et sa vitalité de notre nature, mais bien de nos cerveaux, donc de notre culture. L’économie moderne est dominée p
522 de notre nature, mais bien de nos cerveaux, donc de notre culture. L’économie moderne est dominée par la technique, laque
523 née par la technique, laquelle est née du mariage de nos sciences spéculatives et de notre volonté de transformer la natur
524 st née du mariage de nos sciences spéculatives et de notre volonté de transformer la nature, lesquelles sont nées de nos p
525 de nos sciences spéculatives et de notre volonté de transformer la nature, lesquelles sont nées de nos philosophies et de
526 té de transformer la nature, lesquelles sont nées de nos philosophies et de notre religion dominante, lesquelles nous sont
527 ture, lesquelles sont nées de nos philosophies et de notre religion dominante, lesquelles nous sont venues d’Athènes et de
528 e religion dominante, lesquelles nous sont venues d’ Athènes et de Jérusalem à travers Rome et son empire, englobant avec l
529 minante, lesquelles nous sont venues d’Athènes et de Jérusalem à travers Rome et son empire, englobant avec les Méditerran
530 erranéens des Germains, des Celtes et des Slaves. De cette culture commune, mais de ses sources variées, voire souvent con
531 tes et des Slaves. De cette culture commune, mais de ses sources variées, voire souvent contradictoires, proviennent à la
532 oires, proviennent à la fois l’unité fondamentale de nos peuples et les extraordinaires diversités qu’ils juxtaposent sur
533 and ces diversités tournent en divisions, l’unité de base et la vitalité de l’ensemble sont en péril. Alors paraît le beso
534 nent en divisions, l’unité de base et la vitalité de l’ensemble sont en péril. Alors paraît le besoin d’union. Les forces
535 l’ensemble sont en péril. Alors paraît le besoin d’ union. Les forces de division qui ont miné l’Europe depuis un siècle,
536 péril. Alors paraît le besoin d’union. Les forces de division qui ont miné l’Europe depuis un siècle, et qui ont risqué de
537 miné l’Europe depuis un siècle, et qui ont risqué de la faire périr à deux reprises en 1914 et en 1939, se résument dans l
538 s le terme nationalisme. Elles sont, elles aussi, d’ origine culturelle en dernière analyse. Mais l’opinion publique et les
539 lites responsables ont peine à prendre conscience de leur nocivité tant que celle-ci ne se manifeste qu’au niveau des idéo
540 isme des autres s’oppose aux intérêts économiques de ma nation, que je sois industriel, ouvrier, paysan ou politicien, je
541 ue chose ne marche pas. C’est alors que j’accepte de prendre au sérieux les « utopistes » qui me parlaient depuis longtemp
542 s « utopistes » qui me parlaient depuis longtemps de mesures d’union supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’Euro
543 es » qui me parlaient depuis longtemps de mesures d’ union supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’Europe a commen
544 union supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’Europe a commencé dans le domaine économique, avec la CECA de Jean
545 Marché commun des Six, provoquant en écho la Zone de libre-échange des Sept, la candidature britannique, et l’intérêt subi
546 bitement anxieux des Américains. Ce début concret de la construction européenne étant ainsi replacé et situé dans le conte
547 nne étant ainsi replacé et situé dans le contexte de notre évolution, la question qui se pose est de savoir s’il faut et s
548 e de notre évolution, la question qui se pose est de savoir s’il faut et s’il suffit, pour « faire l’Europe », que toutes
549 dont les auteurs ne sont d’ailleurs pas dépourvus d’ arrière-pensées politiques. ⁂ Même en admettant que l’unification écon
550 especter dans cette hypothèse quelques conditions de succès qui me paraissent absolument vitales. Il faudrait notamment ex
551 unification économique ne détruise pas les bases de l’Europe, mais y puise au contraire ses meilleures énergies ; qu’elle
552 le mondiale. Commentons brièvement ces conditions de succès : elles nous ramènent aux problèmes culturels. L’Europe du pla
553 s culturels. L’Europe du plan économique a besoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable d
554 L’Europe du plan économique a besoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriqu
555 plan économique a besoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriquer en série
556 ers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriquer en série au prix de l’éducation générale ou humaniste.
557 ait l’URSS. Mais ce serait tuer la poule aux œufs d’ or. La technique, inventée par l’Europe, puise ses forces inventives d
558 al, théologique, scientifique et même esthétique, de la culture européenne. Renoncer à transmettre les principes et mesure
559 . Renoncer à transmettre les principes et mesures de cette culture générale, ce serait stériliser les sources mêmes de l’i
560 générale, ce serait stériliser les sources mêmes de l’invention technique, favoriser le matérialisme plat, américaniser o
561 , américaniser ou russifier l’Europe au pire sens de ces expressions, et finalement détendre les ressorts de notre génie c
562 expressions, et finalement détendre les ressorts de notre génie créateur. L’union économique implique, par conséquent, un
563 mplique, par conséquent, une politique culturelle de grande envergure : éducation civique, démocratisation des études, ins
564 péens ont fait preuve depuis des siècles, résulte de nos diversités locales, régionales, idéologiques. Tout système centra
565 e centralisé ou institution qui aurait pour effet de déprimer les autonomies locales et d’uniformiser nos coutumes régiona
566 pour effet de déprimer les autonomies locales et d’ uniformiser nos coutumes régionales serait antieuropéen. Notre culture
567 ait antieuropéen. Notre culture puise son pouvoir de rayonnement universel dans la pluralité de ses foyers créateurs, et d
568 ouvoir de rayonnement universel dans la pluralité de ses foyers créateurs, et dans les tensions qui en naissent. D’autant
569 créateurs, et dans les tensions qui en naissent. D’ autant plus nous sommes d’un canton, d’un pays, d’un climat religieux
570 nsions qui en naissent. D’autant plus nous sommes d’ un canton, d’un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’autant p
571 naissent. D’autant plus nous sommes d’un canton, d’ un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’autant plus nous pouv
572 D’autant plus nous sommes d’un canton, d’un pays, d’ un climat religieux ou idéologique, d’autant plus nous pouvons devenir
573 d’un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’ autant plus nous pouvons devenir de bons Européens. « D’autant plus no
574 u idéologique, d’autant plus nous pouvons devenir de bons Européens. « D’autant plus nous connaissons les choses particuli
575 nt plus nous pouvons devenir de bons Européens. «  D’ autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
576 t plus nous connaissons les choses particulières, d’ autant plus nous connaissons Dieu », disait Spinoza. C’est là le vrai
577 noza. C’est là le vrai sens, et le seul possible, de ce qu’on a nommé « l’Europe des patries ». (Par malheur, l’auteur de
578 « l’Europe des patries ». (Par malheur, l’auteur de ce mot d’ordre, M. Debré, ne pensait qu’à l’Europe des États, qui est
579 es États, qui est tout à fait autre chose.) Les modes d’emploi Enfin, l’Europe unie ne saurait être conçue comme un but
580 ts, qui est tout à fait autre chose.) Les modes d’ emploi Enfin, l’Europe unie ne saurait être conçue comme un but en
581 é aux limites géographiques et toutes provisoires de l’Ouest du continent. L’Europe a découvert la Terre entière, assumant
582 découvert la Terre entière, assumant une fonction d’ animation des échanges de tous ordres. Elle a transmis au monde entier
583 e, assumant une fonction d’animation des échanges de tous ordres. Elle a transmis au monde entier les procédés de la techn
584 res. Elle a transmis au monde entier les procédés de la technologie. Elle se doit d’en transmettre aussi les modes d’emplo
585 tier les procédés de la technologie. Elle se doit d’ en transmettre aussi les modes d’emploi. Toutes les cultures tradition
586 hnologie. Elle se doit d’en transmettre aussi les modes d’emploi. Toutes les cultures traditionnelles, y compris la nôtre, se
587 ie. Elle se doit d’en transmettre aussi les modes d’ emploi. Toutes les cultures traditionnelles, y compris la nôtre, se vo
588 enacées par la technique. L’Europe ayant cent ans d’ avance dans son effort d’adaptation à la révolution industrielle, se d
589 L’Europe ayant cent ans d’avance dans son effort d’ adaptation à la révolution industrielle, se doit donc de faire part au
590 tation à la révolution industrielle, se doit donc de faire part aux pays neufs de ses expériences durement acquises. Elle
591 rielle, se doit donc de faire part aux pays neufs de ses expériences durement acquises. Elle a inventé bien des maux, mais
592 n des méthodes dangereuses, mais aussi les moyens de les composer, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a i
593 ngereuses, mais aussi les moyens de les composer, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a inventé et pratiqu
594 les moyens de les composer, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a inventé et pratiqué la libre concurrenc
595 umaniste, le matérialisme, mais aussi les valeurs de liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité uni
596 atérialisme, mais aussi les valeurs de liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, qui
597 ussi les valeurs de liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, qui relèvent de l’espri
598 berté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, qui relèvent de l’esprit. Sa fonction dans le
599 ociale et de solidarité universelle, qui relèvent de l’esprit. Sa fonction dans le monde, transformé par ses œuvres, s’en
600 ormais définie. L’Europe se doit et doit au monde de présenter l’exemple convaincant d’un dépassement du nationalisme et d
601 doit au monde de présenter l’exemple convaincant d’ un dépassement du nationalisme et d’une adaptation harmonieuse de la t
602 e convaincant d’un dépassement du nationalisme et d’ une adaptation harmonieuse de la technique à l’homme. C’est dire que l
603 t du nationalisme et d’une adaptation harmonieuse de la technique à l’homme. C’est dire que l’union économique appelle une
604 otale et uniformisante détruirait les bases mêmes de notre dynamisme. Une simple alliance d’États souverains ne répondrait
605 ses mêmes de notre dynamisme. Une simple alliance d’ États souverains ne répondrait nullement aux exigences du siècle. Seul
606 ion, selon la formule suisse, assurerait le degré d’ union nécessaire tout en sauvegardant les autonomies et diversités qui
607 étant ainsi posé ou reposé à partir des réalités de notre culture une et diverse, les conclusions suivantes me paraissent
608 ober toutes les nations qui participent à l’unité de culture nommée Europe. 2. Cette organisation économique ne saurait fo
609 anisation économique ne saurait fournir les bases d’ une organisation politique, mais seulement les moyens nécessaires d’un
610 politique, mais seulement les moyens nécessaires d’ une politique qu’il reste encore à définir et à réaliser. 3. Cette pol
611 olitique, appuyée sur une organisation fédérative de nos pays, aura pour mission essentielle d’orienter leur action commun
612 rative de nos pays, aura pour mission essentielle d’ orienter leur action commune à l’échelle mondiale (relations avec les
613 l’expansion démographique, la diffusion mondiale de la civilisation occidentale et les responsabilités qui en résultent p
614 loir ces vues mondiales : on ne l’accusera jamais de néo-colonialisme ! Et elle est mieux placée que tout autre pour faire
615 ée que tout autre pour faire valoir les avantages d’ une union de type fédéral, conforme à son essence, comme à celle de l’
616 autre pour faire valoir les avantages d’une union de type fédéral, conforme à son essence, comme à celle de l’Europe. Ces
617 pe fédéral, conforme à son essence, comme à celle de l’Europe. Ces motifs d’entrer dans le jeu de la construction européen
618 on essence, comme à celle de l’Europe. Ces motifs d’ entrer dans le jeu de la construction européenne me semblent avoir plu
619 elle de l’Europe. Ces motifs d’entrer dans le jeu de la construction européenne me semblent avoir plus de poids que les sc
620 la construction européenne me semblent avoir plus de poids que les scrupules qui nous retiennent encore. Quand elle se bor
621 ire son expérience fédéraliste, dans les conseils de Strasbourg et de Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’un a
622 e fédéraliste, dans les conseils de Strasbourg et de Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’un avenir authentique
623 de Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’ un avenir authentiquement européen. Si elle s’y refuse, qui va plaider
624 c’est l’évidence. Mais nous aurons perdu le droit de nous en plaindre. t. Rougemont Denis de, « L’Europe est d’abord u
625 droit de nous en plaindre. t. Rougemont Denis de , « L’Europe est d’abord une culture », Gazette de Lausanne (supplémen
626 de, « L’Europe est d’abord une culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 30 juin 1962, p. 13.
16 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Universités américaines (12-13 janvier 1963)
627 icaines (12-13 janvier 1963)u v Le grand poème de Saint-John Perse évoquant les États-Unis et les traversant d’est en o
628 n Perse évoquant les États-Unis et les traversant d’ est en ouest se nomme Vents, et nul n’a compris ce pays s’il n’a pas d
629 l n’a pas découvert un jour qu’un souffle immense de lyrisme nomade est le secret le mieux couvé dans l’inconscient des ho
630 cret le mieux couvé dans l’inconscient des hommes de toute race dont les pères ont conquis la Prairie. Hors des hauts murs
631 nquis la Prairie. Hors des hauts murs en falaises de brique ocrée de Manhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts d
632 . Hors des hauts murs en falaises de brique ocrée de Manhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts de fer retentissa
633 nhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de camions-citernes, soudain l’autorou
634 faubourgs du Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de camions-citernes, soudain l’autoroute vers le nord longe
635 Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de camions-citernes, soudain l’autoroute vers le nord longe la mer coule
636 ain l’autoroute vers le nord longe la mer couleur d’ huître sous le vent, traverse d’infinis quartiers de maisons blanches
637 ge la mer couleur d’huître sous le vent, traverse d’ infinis quartiers de maisons blanches et d’usines transparentes, surmo
638 huître sous le vent, traverse d’infinis quartiers de maisons blanches et d’usines transparentes, surmontés de clochers d’o
639 averse d’infinis quartiers de maisons blanches et d’ usines transparentes, surmontés de clochers d’or pâle, puis des rideau
640 ons blanches et d’usines transparentes, surmontés de clochers d’or pâle, puis des rideaux d’arbres chevelus cachent les ri
641 et d’usines transparentes, surmontés de clochers d’ or pâle, puis des rideaux d’arbres chevelus cachent les rives, et la p
642 surmontés de clochers d’or pâle, puis des rideaux d’ arbres chevelus cachent les rives, et la piste d’ardoise aux lignes ja
643 d’arbres chevelus cachent les rives, et la piste d’ ardoise aux lignes jaunes écarte largement les forêts basses et denses
644 argement les forêts basses et denses aux couleurs de l’été indien, pendant des heures. Le « station-vagon » roule à 100, c
645 font toutes les autres voitures, pas un problème de dépassement, pas une injure, le ciel est bleu, les voies sont larges,
646 la radio du bord éclate en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Am
647 bord éclate en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Amérique. Lib
648 e en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’ une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Amérique. Liberté In
649 pour me promener dans les États-Unis sans l’ombre d’ une obligation — je verrai qui je veux ou personne s’il me plaît, ce q
650 veux ou personne s’il me plaît, ce que j’ai envie de voir ou rien, pendant deux mois — je me suis gardé d’établir un progr
651 oir ou rien, pendant deux mois — je me suis gardé d’ établir un programme et d’arranger des conférences. Je m’en remets au
652 mois — je me suis gardé d’établir un programme et d’ arranger des conférences. Je m’en remets au dieu du Hasard, dont l’aut
653 iger le sort par quelques téléphones et un carnet d’ adresses d’amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront-ils ?) Har
654 t par quelques téléphones et un carnet d’adresses d’ amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront-ils ?) Harvard Déj
655 ul Tillich. Je ne l’avais pas revu depuis un soir de 1941, à New York, chez notre ami commun Reinhold Niebuhr. Cet Alleman
656 est devenu le penseur religieux le plus influent de l’Amérique. C’est qu’il prône une théologie qu’on pourrait nommer cul
657 le, et qui tient compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons beaucoup parler), cependan
658 compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons beaucoup parler), cependant que Maritain d
659 dans tous les séminaires presbytériens la notion d’ une orthodoxie traditionnelle mais offensive et politiquement « progre
660 elligentsia religieuse du tiers le plus religieux de l’Occident. Ce sont trois noms européens. Les Européens goguenards po
661 a-Cola, twist et voitures géantes, sont en retard d’ une génération intellectuelle. (Note de 1962 : Paul Tillich vient de r
662 en retard d’une génération intellectuelle. (Note de 1962 : Paul Tillich vient de recevoir le Prix de la paix, décerné à l
663 de 1962 : Paul Tillich vient de recevoir le Prix de la paix, décerné à la Foire du livre de Francfort. L’Allemagne enfin
664 r le Prix de la paix, décerné à la Foire du livre de Francfort. L’Allemagne enfin le redécouvre. Qui va le traduire en fra
665 ntagneux, presque désert pendant des heures. Ciel de craie bleu rosé sur les forêts sauvages, mouchetées d’arbres rouges e
666 aie bleu rosé sur les forêts sauvages, mouchetées d’ arbres rouges et rose pourpre d’une intensité de couleur que je n’ai j
667 vages, mouchetées d’arbres rouges et rose pourpre d’ une intensité de couleur que je n’ai jamais vue ailleurs. Arrêt dans u
668 s d’arbres rouges et rose pourpre d’une intensité de couleur que je n’ai jamais vue ailleurs. Arrêt dans une auberge faite
669 jamais vue ailleurs. Arrêt dans une auberge faite d’ un vieux wagon d’aluminium déposé au bord de la route, dans une clairi
670 rs. Arrêt dans une auberge faite d’un vieux wagon d’ aluminium déposé au bord de la route, dans une clairière et l’on est a
671 , dans une clairière et l’on est ami du patron et de la fille superbe qui nous sert le café après quelques échanges de phr
672 rbe qui nous sert le café après quelques échanges de phrases banales. Vivre ici serait une belle aventure intérieure. Air
673 k me disait l’autre jour : « Toutes les personnes de mon espèce s’arrangent pour avoir des maisons, cabanes, pavillons, ce
674 nes, pavillons, ce que vous voulez, à deux heures de New York par avion, ou à quatre ou cinq heures par l’autoroute, dans
675 t ans… New England Williamstown est le site d’ un célèbre collège de jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordé
676 Williamstown est le site d’un célèbre collège de jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordée d’arbres immenses a
677 jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordée d’ arbres immenses aux petites feuilles jaune vif et de larges bandes de
678 arbres immenses aux petites feuilles jaune vif et de larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’un
679 ux petites feuilles jaune vif et de larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’un ou deux étages, r
680 larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’un ou deux étages, régulièrement espacées et spacieuses.
681 de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’ un ou deux étages, régulièrement espacées et spacieuses. Au fond, l’ég
682 de toutes parts, sans une brise, un ruissellement de feuilles rondes, comme des pièces d’or. Je ne sais rien qui égale en
683 uissellement de feuilles rondes, comme des pièces d’ or. Je ne sais rien qui égale en Europe la splendeur de l’indian summe
684 Je ne sais rien qui égale en Europe la splendeur de l’indian summer aux villages de Nouvelle-Angleterre. Un collège de
685 rope la splendeur de l’indian summer aux villages de Nouvelle-Angleterre. Un collège de jeunes filles dans le Vermont
686 ux villages de Nouvelle-Angleterre. Un collège de jeunes filles dans le Vermont Longue avenue sinueuse dans un parc
687 pente douce vers un bâtiment rouge. Parking sous de grands arbres aux branches horizontales. On nous conduit par des sent
688 s conduit par des sentiers dallés vers une maison de brique dominant le campus : vaste pelouse entourée d’une douzaine de
689 rique dominant le campus : vaste pelouse entourée d’ une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises
690 le campus : vaste pelouse entourée d’une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escali
691 aste pelouse entourée d’une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la mais
692 ne de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre m
693 c à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe
694 et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et roug
695 Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et rouge sur un fond noir,
696 de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et rouge sur un fond noir, signée Georges Ma
697 Je pousse des portes et me trouve dans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeunes filles assises sur le parq
698 rtes et me trouve dans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeunes filles assises sur le parquet, vêtues de co
699 ans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeunes filles assises sur le parquet, vêtues de collants. Sur la scèn
700 s de jeunes filles assises sur le parquet, vêtues de collants. Sur la scène, on répète un ballet assez acrobatique et symb
701 obatique et symbolique. Cocktails dans le cottage d’ un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart aut
702 symbolique. Cocktails dans le cottage d’un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart auteurs connus
703 s le cottage d’un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart auteurs connus, poètes, romanciers, crit
704 eil ami suisse, Paul Boepple, chef du département de musique. (Il a dirigé le Roi David lors de sa création à Mézière, pui
705 istes américains, plus des deux tiers sans doute ( de Faulkner aux plus jeunes compositeurs) vit ainsi, quelques mois par a
706 ce, dans les petites universités les mieux dotées de la côte Est ou de la Californie. Ils y enseignent en général la subst
707 es universités les mieux dotées de la côte Est ou de la Californie. Ils y enseignent en général la substance même, ou la t
708 des œuvres qu’ils sont en train d’écrire. Combien d’ écrivains véritables, de peintres et de musiciens, se voient offrir ch
709 n train d’écrire. Combien d’écrivains véritables, de peintres et de musiciens, se voient offrir chez nous ces possibilités
710 e. Combien d’écrivains véritables, de peintres et de musiciens, se voient offrir chez nous ces possibilités — à tous égard
711 ces possibilités — à tous égards enrichissantes — de contact avec la jeunesse ? Le lendemain matin, j’assiste à une classe
712 esse ? Le lendemain matin, j’assiste à une classe de creative writing. Salle meublée comme un salon. Le professeur (qui es
713 moquette. La plupart sont en pantalon et blouses de sport. Quelques-unes ont gardé leurs bigoudis, comme cela se fait dan
714 oudis, comme cela se fait dans ce pays, la veille d’ une fête ou le samedi. Elles s’installent longuement, disposant autour
715 . Elles s’installent longuement, disposant autour d’ elles cendriers, paquets de cigarettes, blouses, cahiers et livres, et
716 ment, disposant autour d’elles cendriers, paquets de cigarettes, blouses, cahiers et livres, et leurs jambes sur des poufs
717 livres, et leurs jambes sur des poufs ou le bras d’ un fauteuil. Le professeur annonce que la leçon sera consacrée à l’exa
718 ur annonce que la leçon sera consacrée à l’examen d’ un court poème écrit par l’une d’entre elles, dont il taira le nom. Il
719 la pièce, puis la relit lentement. Une vingtaine de vers brefs, irréguliers. À la seconde lecture, je comprends qu’il s’a
720 . À la seconde lecture, je comprends qu’il s’agit de deux vieillards dans une cuisine regardant par la fenêtre une fin d’a
721 dans une cuisine regardant par la fenêtre une fin d’ automne. Mais le réalisme du sujet — apparemment imposé — disparaît da
722 onyme. Plusieurs girls manifestent leur intention de s’exprimer en levant un doigt discret ou un très long fume-cigarette.
723 enter la discussion, à proposer quelques critères de jugement poétique. La « stratégie » de la pièce, l’emploi « stratégiq
724 s critères de jugement poétique. La « stratégie » de la pièce, l’emploi « stratégique » de certains mots leur donnant une
725 stratégie » de la pièce, l’emploi « stratégique » de certains mots leur donnant une efficacité particulière, semble son th
726 la préoccupation dominante, et presque la réalité d’ une activité humaine quelconque, en l’occurrence l’expression littérai
727 ’occurrence l’expression littéraire. Il est exclu de parler de sentiment, bien entendu, ça ne se fait plus, mais l’horizon
728 e l’expression littéraire. Il est exclu de parler de sentiment, bien entendu, ça ne se fait plus, mais l’horizon de cet ar
729 bien entendu, ça ne se fait plus, mais l’horizon de cet art poétique me paraît aussi sec et gris que l’automne abstraitem
730 eur tenue savamment négligée, parleront désormais de poésie avec l’assurance d’un expert diplômé par l’un des collèges les
731 e, parleront désormais de poésie avec l’assurance d’ un expert diplômé par l’un des collèges les plus « avancés » de l’Amér
732 iplômé par l’un des collèges les plus « avancés » de l’Amérique. Pendant quatre ans, elles vivent ensemble dans ce luxueux
733 milieu des forêts du Vermont, quelques centaines de girls patiemment cultivées — humanités, religion, sciences, arts, mus
734 seront elles qui domineront la société américaine de demain, avec une infaillible compétence. Berkeley À une heure d
735 nfaillible compétence. Berkeley À une heure de San Francisco, l’une de plus grandes universités du monde : 36 000 ét
736 s sur tout l’État. Ici, à Berkeley, ils sont plus de 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine de professeurs, en t
737 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine de professeurs, en tête-à-tête ou en groupe, déjeuner et dîner. J’arrive
738 campus, pour mon premier rendez-vous. Labyrinthe d’ allées entre des bâtiments de style mal défini, allant du gothique xix
739 dez-vous. Labyrinthe d’allées entre des bâtiments de style mal défini, allant du gothique xixe siècle au fonctionnel 1950
740 ssant par le rococo américain 1910. Des centaines d’ étudiants déambulent, se groupent au soleil ou sur des bancs, jonchent
741 chent les marches des divers halls. Beaucoup sont de couleur, toute nuance. Tous portent le même accoutrement si commode e
742 j’attends dans un corridor en lisant les panneaux d’ annonces. Soudain, mon nom en très grosses lettres sur une affiche. « 
743 tres sur une affiche. « À 3 heures, dans la Salle de Bal, D. de R., président du Congrès pour la liberté de la culture, et
744 e affiche. « À 3 heures, dans la Salle de Bal, D. de R., président du Congrès pour la liberté de la culture, et auteur de
745 l, D. de R., président du Congrès pour la liberté de la culture, et auteur de L’Amour et l’Occident donnera une conféren
746 Congrès pour la liberté de la culture, et auteur de L’Amour et l’Occident donnera une conférence sur La guerre totale e
747 Action, ADA. » On m’avait parlé, très vaguement, d’ une éventuelle discussion avec un groupe de professeurs, portant sur u
748 ement, d’une éventuelle discussion avec un groupe de professeurs, portant sur un débat récent organisé à Berkeley entre Si
749 ns Morgenthau, et qui semble avoir fait du bruit, d’ une côte à l’autre, mais c’est vraiment tout ce que j’en sais. La séri
750 is c’est vraiment tout ce que j’en sais. La série de mes rendez-vous commence quelques secondes après, je n’ai plus le tem
751 ce quelques secondes après, je n’ai plus le temps de m’inquiéter de rien. Tout occupé à satisfaire d’ardentes curiosités s
752 ondes après, je n’ai plus le temps de m’inquiéter de rien. Tout occupé à satisfaire d’ardentes curiosités sur l’union de l
753 de m’inquiéter de rien. Tout occupé à satisfaire d’ ardentes curiosités sur l’union de l’Europe et le Marché commun que l’
754 pé à satisfaire d’ardentes curiosités sur l’union de l’Europe et le Marché commun que l’Amérique découvre subitement, et d
755 ine ; et l’on me conduit sur l’estrade. Fragments d’ interventions des trois célèbres philosophes et sociologues, transmis
756 la fois rouges et morts. » Ils ont parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des valeurs occidentales
757 s. » Ils ont parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des valeurs occidentales. Je vois donc ce qui m
758 vois donc ce qui me reste à faire. Improvisation d’ une demi-heure. Sachant que mon auditoire est composé d’étudiants « tr
759 demi-heure. Sachant que mon auditoire est composé d’ étudiants « très à gauche » et dont plusieurs se demandent, m’a-t-on d
760 , m’a-t-on dit, si l’URSS ne détient pas les clés de l’avenir du monde uni, je leur rappelle que c’est l’Europe qui a fait
761 ’Europe qui a fait le monde, en créant les moyens de relier les continents et en formulant les valeurs d’où résulte le con
762 relier les continents et en formulant les valeurs d’ où résulte le concept de genre humain. Je leur rappelle aussi que le c
763 en formulant les valeurs d’où résulte le concept de genre humain. Je leur rappelle aussi que le communisme russe est une
764 le aussi que le communisme russe est une création de l’Europe. (Marx, juif rhénan dont le père s’était fait, protestant, é
765 fait pas plus Européen.) Où sont les successeurs de l’Occident ? Je ne vois que des imitateurs. Le but des Soviétiques, à
766 urs. Le but des Soviétiques, à les en croire, est de rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’Europe. Croyons à no
767 st de rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’Europe. Croyons à nos valeurs et prouvons-le, c’est ce que le monde
768 eurs et prouvons-le, c’est ce que le monde attend de nous, pour nous rejoindre en fin de compte, Russes compris. J’ai term
769 ois 42 par écrit. Rien n’est plus caractéristique de l’opinion actuelle des jeunes Américains. J’en recopie quelques exemp
770 recopie quelques exemples : « Le plus grand homme de notre temps était Gandhi. Pourquoi ne pas défendre nos valeurs en éta
771 s politiques actuelles ? » « Comment la nécessité de l’action individuelle peut-elle être présentée de telle manière qu’el
772 de l’action individuelle peut-elle être présentée de telle manière qu’elle ne soit pas méprisée comme un simple sermon ? »
773 et nos chères valeurs occidentales sont détruites de toute façon. » « Admettez-vous que l’État-nation est une conception a
774 des marchés communs peut conduire à la formation de communautés internationales permettant le désarmement nucléaire ? » «
775 que. — Près de Stanford, autre université voisine de San Francisco, 9000 étudiants seulement, mais un très haut niveau int
776 intellectuel, la Fondation Ford a créé un Centre d’ études avancées pour les sciences du comportement. Un club-house domin
777 club-house domine la colline : restaurant, salles de réunions, piscine, en style champêtre ultramoderne. Tout autour, sur
778 moderne. Tout autour, sur les pentes, des rangées de cabanes d’une seule pièce dénommée cubicles sont réservées aux moines
779 ut autour, sur les pentes, des rangées de cabanes d’ une seule pièce dénommée cubicles sont réservées aux moines laïques qu
780 ux moines laïques qui viennent y passer une année d’ études personnelles et de conversations approfondies avec les collègue
781 nnent y passer une année d’études personnelles et de conversations approfondies avec les collègues d’autres branches. Quar
782 huit professeurs choisis parmi les plus brillants de tout le continent (il y a 3000 candidatures par an) composent l’écuri
783 y a 3000 candidatures par an) composent l’écurie de course de l’année. J’ai déjeuné avec plusieurs d’entre eux, puis une
784 candidatures par an) composent l’écurie de course de l’année. J’ai déjeuné avec plusieurs d’entre eux, puis une vingtaine
785 x, puis une vingtaine sont venus discuter le plan d’ une conférence sur l’Europe et le monde que je leur ai brièvement expo
786 ur ai brièvement exposé. Critiques et suggestions d’ une pertinence parfaite. Je visite la colline avec Abe Lerner, économi
787 e philosophe et sociologue. « Je n’ai jamais fait de ma vie autant de mathématiques, me dit ce dernier, c’est le langage c
788 osophe et sociologue. « Je n’ai jamais fait de ma vie autant de mathématiques, me dit ce dernier, c’est le langage commun q
789 ociologue. « Je n’ai jamais fait de ma vie autant de mathématiques, me dit ce dernier, c’est le langage commun que nous av
790 qui ressemble à ce concours des meilleurs esprits d’ avant-garde. D’un instrument pareil nous ferions sans nul doute un usa
791 ce concours des meilleurs esprits d’avant-garde. D’ un instrument pareil nous ferions sans nul doute un usage assez différ
792 cènes ? 2. VIP : Very important person. Se dit de quelques centaines de responsables de la vie américaine, très connus,
793 ry important person. Se dit de quelques centaines de responsables de la vie américaine, très connus, très riches, ou puiss
794 son. Se dit de quelques centaines de responsables de la vie américaine, très connus, très riches, ou puissants dans l’admi
795 e dit de quelques centaines de responsables de la vie américaine, très connus, très riches, ou puissants dans l’administrat
796 inistration ou les affaires. u. Rougemont Denis de , « Universités américaines : notes d’un journal de voyage », Gazette
797 emont Denis de, « Universités américaines : notes d’ un journal de voyage », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), L
798 e, « Universités américaines : notes d’un journal de voyage », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 12–1
799 icaines : notes d’un journal de voyage », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 12–13 janvier 1963, p. 13
800 janvier 1963, p. 13 et 19. v. Sous-titré « Notes d’ un journal de voyage », ce texte est introduit par le chapeau suivant 
801 p. 13 et 19. v. Sous-titré « Notes d’un journal de voyage », ce texte est introduit par le chapeau suivant : « “J’ai ret
802 nis de Rougemont en automne 1961, dans le journal de voyage dont il a bien voulu détacher quelques pages à notre intention
803 nesse curieuse, imprévue, qui assaille l’écrivain de questions sur Marx et l’Europe, dans des universités très différentes
804 es anglais… Professeurs et étudiants y mènent une vie fraternelle, et l’on y découvre des institutions dont l’Europe ferait
805 couvre des institutions dont l’Europe ferait bien de s’inspirer. »
17 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… (2-3 février 1963)
806 la existe… (2-3 février 1963)w x Le problème «  d’ exprimer ce que cela veut dire d’être d’Yverdon, de Féchy » relève, me
807 Le problème « d’exprimer ce que cela veut dire d’ être d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie pl
808 roblème « d’exprimer ce que cela veut dire d’être d’ Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt qu
809 ’exprimer ce que cela veut dire d’être d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt que de la lit
810 tre d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt que de la littérature. Si l’on est né à Tubingue
811 lève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt que de la littérature. Si l’on est né à Tubingue, à Eboli, à Collombay ou à
812 raiment plus facile à expliquer ? A-t-on vraiment de meilleures chances ? L’idée que la littérature ait pour fonction d’ex
813 ces ? L’idée que la littérature ait pour fonction d’ exprimer l’homme en tant que national ou régional — homo helveticus da
814 ette idée m’est tellement étrangère que je crains de ne pouvoir rendre justice à la problématique de M. Tauxe. Je sais bie
815 s de ne pouvoir rendre justice à la problématique de M. Tauxe. Je sais bien que ce souci « quasi obsessionnel » bloque bea
816 e ce souci « quasi obsessionnel » bloque beaucoup d’ esprits dans nos cantons romands. Un seul en a tiré une œuvre forte, c
817 et à l’homo helveticus. Il ne croyait qu’au pays de Vaud, réduit aux vignes, et pimenté d’exotisme valaisan. « Entre nous
818 qu’au pays de Vaud, réduit aux vignes, et pimenté d’ exotisme valaisan. « Entre nous, nous sommes racistes », me disait-il
819 e, même existentialiste. Il s’est fait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’une « rationalité adéquate », le jeun
820 fait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’ une « rationalité adéquate », le jeune Suisse romand qui veut écrire n
821 t écrire n’aurait-il pas besoin, tout simplement, de ce qu’on appelle en France la classe de rhétorique ? Je ne sens pas q
822 mplement, de ce qu’on appelle en France la classe de rhétorique ? Je ne sens pas que ce soit aux « préjugés spiritualistes
823 Tout cela n’a rien à voir avec Calvin, spirituel de plein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur c
824 n à voir avec Calvin, spirituel de plein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur ce point sont aussi
825 ein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur ce point sont aussi justes qu’opportunes. Quelles sont l
826 nces particulières du Suisse romand ? Bénéficiant d’ une structure sociale, politique et religieuse, exemplairement fédéral
827 irement fédéraliste et pluraliste, qui lui permet de participer à tout un jeu de dimensions spirituelles et physiques, les
828 liste, qui lui permet de participer à tout un jeu de dimensions spirituelles et physiques, les unes très vastes et presque
829 êche nullement Cendrars ou Cingria. On nous parle de révolte, de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrat
830 nt Cendrars ou Cingria. On nous parle de révolte, de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’o
831 ou Cingria. On nous parle de révolte, de crise et d’ analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint
832 On nous parle de révolte, de crise et d’analyse, d’ inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer
833 de révolte, de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’instruments a
834 de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’instruments adéquats pou
835 ns, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’instruments adéquats pour exprimer ces thèmes rebattus ! Si
836 es, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’ instruments adéquats pour exprimer ces thèmes rebattus ! Si cela ne do
837 us rien, n’est-ce pas le signe qu’il serait temps de se tourner vers autre chose ? L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouve
838 s ta pensée maîtresse, et non que tu t’es échappé d’ un joug. » w. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] L’éloge
839 u t’es échappé d’un joug. » w. Rougemont Denis de , « [Réponse à une enquête] L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert
840 ert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 2–3 février 1963, p. 20.
841 Lausanne, 2–3 février 1963, p. 20. x. Il s’agit d’ une réponse à l’enquête « Homo helveticus : existe-t-il en Suisse roma
18 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller [Entretien] (9-10 février 1963)
842 ougemont était en Amérique, il lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’entendre à l’autre bout du fil une voix
843 lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’ entendre à l’autre bout du fil une voix annoncer : “Ici Albert Einstei
844 oirée chez moi ? » Un feu pétillait dans le salon de Ferney, Denis de Rougemont me racontait l’histoire, et à mon tour j’e
845 urt. Voilà donc, parmi les innombrables chasseurs de mythes qui écrivent aujourd’hui des livres, un de ceux qui a fait, av
846 de mythes qui écrivent aujourd’hui des livres, un de ceux qui a fait, avec simplicité, les prises les plus sensationnelles
847 iète, dis-je. L’Amour et l’Occident vous a valu de beaux triomphes. Les hypothèses que vous aviez lancées alors sur les
848 an-Paul Sartre, ont été confirmées avec éclat par de récents travaux d’érudition. Bon. Mais vous tentiez aussi d’expliquer
849 été confirmées avec éclat par de récents travaux d’ érudition. Bon. Mais vous tentiez aussi d’expliquer l’homme contempora
850 travaux d’érudition. Bon. Mais vous tentiez aussi d’ expliquer l’homme contemporain. Et lui, depuis quelques années, me sem
851 êmes ne veulent plus exprimer la part instinctive de l’homme, ce que j’appelle son animisme. Les musiciens (comme le dit A
852 t Ansermet), les peintres, les écrivains refusent de donner forme à l’irrationnel, ils ne veulent plus être poètes, ils ca
853 nt plus être poètes, ils calculent, ils cherchent de façon purement intellectuelle de nouveaux langages… Ce qui nous donne
854 t, ils cherchent de façon purement intellectuelle de nouveaux langages… Ce qui nous donne une impression de sécheresse, d’
855 uveaux langages… Ce qui nous donne une impression de sécheresse, d’épuisement. Ne croyez-vous pas que l’Europe est épuisée
856 … Ce qui nous donne une impression de sécheresse, d’ épuisement. Ne croyez-vous pas que l’Europe est épuisée ? Absolument p
857 Ils attendent que nous soyons tout à fait sortis de cette période d’anarchie, que nous mettions en place de nouvelles con
858 e nous soyons tout à fait sortis de cette période d’ anarchie, que nous mettions en place de nouvelles conventions, de nouv
859 te période d’anarchie, que nous mettions en place de nouvelles conventions, de nouvelles contraintes. Et alors nous aurons
860 nous mettions en place de nouvelles conventions, de nouvelles contraintes. Et alors nous aurons de nouveau l’envie de nou
861 traintes. Et alors nous aurons de nouveau l’envie de nous libérer de quelque chose. Mais la société européenne n’a jamais
862 rs nous aurons de nouveau l’envie de nous libérer de quelque chose. Mais la société européenne n’a jamais été moins asserv
863 asservie par les impératifs ou par les interdits de la religion… Moi, je crois que le christianisme a repris sa marche en
864 e le christianisme a repris sa marche en avant. … de la morale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’obstacles que
865 me a repris sa marche en avant. … de la morale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’obstacles que les mythes puis
866 orale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’ obstacles que les mythes puissent tenter de vaincre. Pardon ! Il s’en
867 a plus d’obstacles que les mythes puissent tenter de vaincre. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’énormes et d’inédits. La
868 nter de vaincre. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’ énormes et d’inédits. La terre se surpeuple. Chaque être est tellement
869 re. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’énormes et d’ inédits. La terre se surpeuple. Chaque être est tellement enserré par
870 régler, réglementer minutieusement chaque détail de notre vie, de nos comportements ; ou bien déclencher des catastrophes
871 réglementer minutieusement chaque détail de notre vie , de nos comportements ; ou bien déclencher des catastrophes. Tout de
872 menter minutieusement chaque détail de notre vie, de nos comportements ; ou bien déclencher des catastrophes. Tout de même
873 e au même rythme, en 2260 il y aura 700 milliards d’ hommes, ce qui fera un homme tous les dix mètres. En 2400, nous aurons
874 00, nous aurons un mètre carré chacun. Dans moins de 440 ans ! Bien sûr, la statistique aboutit à l’absurde (en 2500, pers
875 onne ne pourrait s’asseoir sans écraser les pieds d’ un autre), mais comment ne pas voir le problème ? Aujourd’hui déjà, no
876 ne pas voir le problème ? Aujourd’hui déjà, notre vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nou
877 roblème ? Aujourd’hui déjà, notre vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous les respecton
878 rd’hui déjà, notre vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous les respectons, parce qu’en
879 vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous les respectons, parce qu’en les violant nous n
880 parce qu’en les violant nous nous condamnerions à de terribles accidents. Moralité : l’homme tourne à l’automate, il perd
881 e à l’automate, il perd sa liberté, son épaisseur de vie, il ressemble à ces montres extraplates… Justement ! Et c’est ce
882 l’automate, il perd sa liberté, son épaisseur de vie , il ressemble à ces montres extraplates… Justement ! Et c’est ce qui
883 es… Justement ! Et c’est ce qui prépare le réveil de très vieux instincts, de très vieux mythes. Vous savez, l’être humain
884 ce qui prépare le réveil de très vieux instincts, de très vieux mythes. Vous savez, l’être humain n’a pas changé dans ses
885 ’a pas changé dans ses profondeurs, Jung a montré de quelles couches immémorialement superposées, entrelacées, notre moi s
886 er soudain, quelles que soient les circonstances, de nouvelles portes de sortie. Jung a écrit précisément que l’archétype
887 que soient les circonstances, de nouvelles portes de sortie. Jung a écrit précisément que l’archétype de la Femme a gardé
888 sortie. Jung a écrit précisément que l’archétype de la Femme a gardé son rôle primordial. Mais oui. Les troubadours ne l’
889 onné une forme nouvelle. Cette forme lui a permis de prendre un envol extraordinaire. Croyez-vous que l’étude systématique
890 e et du xiie siècle nous donnerait des éléments d’ appréciation pour le xxie  ? On peut tracer des perspectives. On ne pe
891 es. On ne peut pas prophétiser. Il y a un auteur d’ anticipation qui a longuement parlé, lui aussi, du surpeuplement, du r
892 rlé, lui aussi, du surpeuplement, du resserrement de l’humanité. C’est Teilhard de Chardin. Et précisément la femme a dans
893 Et précisément la femme a dans son œuvre la place d’ un symbole et d’une inspiratrice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par
894 a femme a dans son œuvre la place d’un symbole et d’ une inspiratrice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par exemple un text
895 Parfaitement. J’ai là par exemple un texte inédit de Teilhard. Il faudra que j’en parle à Lausanne. Voyez ce passage : le
896 ce passage : le Père (qui d’ailleurs a eu dans sa vie un grand amour) parle de la Chasteté comme d’un moyen de parvenir à l
897 d’ailleurs a eu dans sa vie un grand amour) parle de la Chasteté comme d’un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans
898 sa vie un grand amour) parle de la Chasteté comme d’ un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans des termes extrêmeme
899 rand amour) parle de la Chasteté comme d’un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans des termes extrêmement proches
900 iie siècle. La Chasteté n’est pas le refoulement de l’amour, la négation de la Femme. C’est au contraire une approche de
901 n’est pas le refoulement de l’amour, la négation de la Femme. C’est au contraire une approche de la Femme. Une sublimatio
902 tion de la Femme. C’est au contraire une approche de la Femme. Une sublimation. Vous pensez donc que le mythe, après s’êtr
903 rminé notre entretien, ici commence la conférence de Denis de Rougemont. « Les modernes — écrivait-il — croient qu’il exis
904 es — écrivait-il — croient qu’il existe une sorte de nature normale, à laquelle la culture et la religion seraient venues
905 les aider à vivre, mais non pas à comprendre leur vie . Car tous, tant que nous sommes, sans le savoir, menons nos vies de c
906 tant que nous sommes, sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jama
907 que nous sommes, sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais
908 civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais tout à fait mortes, et rarement tout à fait comprise
909 et rarement tout à fait comprises et pratiquées ; de morales jadis exclusives, mais qui se superposent ou se combinent à l
910 i se superposent ou se combinent à l’arrière-plan de nos conduites élémentaires ; de complexes ignorés, mais d’autant plus
911 à l’arrière-plan de nos conduites élémentaires ; de complexes ignorés, mais d’autant plus actifs… » N’accueillons pas san
912 nduites élémentaires ; de complexes ignorés, mais d’ autant plus actifs… » N’accueillons pas sans reconnaissance l’homme ca
913 cueillons pas sans reconnaissance l’homme capable de nous dire savamment, certes, mais avec une fougue et une simplicité d
914 avec une fougue et une simplicité devenues rares, de quelle manière, à son avis, nous devons nous comprendre. y. Rougem
915 ous devons nous comprendre. y. Rougemont Denis de , « [Entretien] Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller », Gazet
916 hes sommeillent… ils vont se réveiller », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 9–10 février 1963, p. 17-
19 1964, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)
917 Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)aa Le mythe de la tour de Babel me
918 de synthèses (19-20 septembre 1964)aa Le mythe de la tour de Babel me paraît l’un des plus vivants, des plus actuels, e
919 s (19-20 septembre 1964)aa Le mythe de la tour de Babel me paraît l’un des plus vivants, des plus actuels, et aussi des
920 , des plus actuels, et aussi des plus angoissants de ceux que nous a légués l’Antiquité proche-orientale, si étroitement m
921 ement mêlée aux origines helléniques et bibliques de la culture d’Europe. L’interprétation la plus éclairante de ce mythe
922 x origines helléniques et bibliques de la culture d’ Europe. L’interprétation la plus éclairante de ce mythe me paraît avoi
923 ure d’Europe. L’interprétation la plus éclairante de ce mythe me paraît avoir été donnée par Dante en son Traité de l’éloq
924 e paraît avoir été donnée par Dante en son Traité de l’éloquence vulgaire, au chapitre septième du 1er livre. Traduisons s
925 ci : L’homme entreprit, dans son cœur incurable, de dépasser par ses artifices non seulement la Nature, mais le Naturant,
926 , mais le Naturant, qui est Dieu, et il entreprit d’ édifier une tour à Sennaar, qui fut ensuite appelée Babel, ce qui veut
927 t escalader le Ciel : tentant ainsi non seulement d’ égaler mais de surpasser son Créateur. Tant et si bien que presque tou
928 Ciel : tentant ainsi non seulement d’égaler mais de surpasser son Créateur. Tant et si bien que presque tout le genre hum
929 sque tout le genre humain collabora à cette œuvre d’ iniquité. Une partie d’entre eux commandait, une partie dressait les p
930 tre eux commandait, une partie dressait les plans d’ architecture, une partie construisait les murs ; les uns travaillaient
931 it les murs ; les uns travaillaient du cordeau et de l’équerre, et les autres de la truelle ; les uns taillaient les pierr
932 llaient du cordeau et de l’équerre, et les autres de la truelle ; les uns taillaient les pierres tandis que d’autres convo
933 , entre eux, et ceux qui les taillaient, et ainsi de chaque groupe spécialisé (et sic de singulis operantibus). Mais autan
934 ent, et ainsi de chaque groupe spécialisé (et sic de singulis operantibus). Mais autant d’activités variées, autant d’idio
935 isé (et sic de singulis operantibus). Mais autant d’ activités variées, autant d’idiomes différents divisant le genre humai
936 antibus). Mais autant d’activités variées, autant d’ idiomes différents divisant le genre humain. Et plus ils excellaient d
937 à la langue sacrée furent ceux qui avaient refusé de prendre part à l’œuvre et s’étaient tenus à l’écart, couvrant d’impré
938 à l’œuvre et s’étaient tenus à l’écart, couvrant d’ imprécations la folie des travailleurs et les tournant en dérision. A
939 les tournant en dérision. Ainsi donc, l’origine de la diversité des langues ne serait autre que la spécialisation des mé
940 écialisation des métiers et par suite des jargons de métier — spécialisation exigée par les dimensions mêmes d’un projet q
941 — spécialisation exigée par les dimensions mêmes d’ un projet qui consistait à dépasser la mesure naturelle par l’artifice
942 mesure naturelle par l’artifice humain. L’oubli de l’unité Ceci m’évoque d’abord la description de l’Europe que nous
943 e l’unité Ceci m’évoque d’abord la description de l’Europe que nous donnait Paul Valéry dans sa célèbre Lettre sur la s
944 e à modifier les données initiales « naturelles » de la vie, non plus (comme on le faisait il y a quelques siècles) pour r
945 difier les données initiales « naturelles » de la vie , non plus (comme on le faisait il y a quelques siècles) pour répondre
946 des besoins certains et à des nécessités limitées de cette même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’existence t
947 rtains et à des nécessités limitées de cette même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’existence tout artificiell
948 limitées de cette même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’existence tout artificielle… » Au-delà de cette Eur
949 même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’ existence tout artificielle… » Au-delà de cette Europe décrite par Val
950 ne forme d’existence tout artificielle… » Au-delà de cette Europe décrite par Valéry, l’interprétation de Dante me paraît
951 cette Europe décrite par Valéry, l’interprétation de Dante me paraît valable pour le monde moderne tout entier. Et, à l’in
952 semble indiquer qu’elle devrait résumer le monde de l’esprit, l’ensemble de nos activités intellectuelles, et donc artifi
953 devrait résumer le monde de l’esprit, l’ensemble de nos activités intellectuelles, et donc artificielles — elle fait song
954 surée qu’il faut, pour l’édifier, diviser maîtres d’ œuvre et ouvriers en équipes spécialisées et qui bientôt ne se compren
955 ité et ses diverses facultés, et les subdivisions de ces facultés, et tous les instituts spécialisés qui, autour d’elles o
956 és, et tous les instituts spécialisés qui, autour d’ elles ou en elles, prolifèrent. Dans la page que je viens de vous lire
957 s la page que je viens de vous lire sur l’origine de la pluralité des langues, Dante a posé implicitement le problème beau
958 é implicitement le problème beaucoup plus général de ce qui divise les hommes depuis l’aube des temps : les langues certes
959 savoir des autres, et enfin, et surtout, l’oubli de l’unité, l’étrange oubli des buts finaux de l’existence dans lequel n
960 oubli de l’unité, l’étrange oubli des buts finaux de l’existence dans lequel nous voyons s’enfoncer, inexorablement, le sp
961 nfoncer, inexorablement, le spécialiste. Essayons de poser le problème dans son ensemble, à l’échelle planétaire. Nous ass
962 me semble-t-il, au xxe siècle, à deux mouvements de sens contraire, qui affectent ces facteurs traditionnels de division
963 ntraire, qui affectent ces facteurs traditionnels de division du genre humain. Mouvement de convergence à grande échelle,
964 ditionnels de division du genre humain. Mouvement de convergence à grande échelle, d’une part. Les distances sont presque
965 ations tendent à se regrouper et à s’organiser en de vastes ensembles, par continents, et d’abord en Europe. Les races qui
966 races qui s’ignoraient jadis au point qu’un homme de couleur différente ne semblait pas vraiment humain, se reconnaissent
967 ssent et s’admettent. Déjà l’intégration est à la mode . Demain ce sera le métissage universel, après un certain nombre de co
968 a le métissage universel, après un certain nombre de conflits peut-être atroces, mais dont l’issue n’est pas douteuse. Les
969 ltures entrent en dialogue, sur un pied théorique d’ égalité, au lendemain de l’ère coloniale. Pour le moment et pour des d
970 ue, sur un pied théorique d’égalité, au lendemain de l’ère coloniale. Pour le moment et pour des décennies encore, c’est l
971 mine tout, unifie tout, uniformise les apparences de la vie quotidienne sur toute la terre. Les langues elles-mêmes, ce pl
972 elles-mêmes, ce plus ancien symbole des divisions de l’humanité, s’interpénètrent, et certaines s’universalisent. On n’a j
973 nes s’universalisent. On n’a jamais autant appris de deuxièmes et de troisièmes langues. On n’a jamais autant traduit et d
974 sent. On n’a jamais autant appris de deuxièmes et de troisièmes langues. On n’a jamais autant traduit et déchiffré. Et des
975 der quelles sont les causes, le moteur et l’agent de ce mouvement universel de convergence ? La réponse me paraît évidente
976 s, le moteur et l’agent de ce mouvement universel de convergence ? La réponse me paraît évidente. C’est l’Europe, c’est el
977 ’Europe a découvert la terre entière, et personne d’ autre n’est jamais venu la découvrir. L’Europe gréco-romaine et judéo-
978 éco-romaine et judéo-chrétienne a conçu la notion de genre humain, si longtemps étrangère, voire répugnante, à l’Asie brah
979 nation puis à la suppression — mais après combien de siècles — de l’esclavage. Le droit des gens valable pour toute race e
980 la suppression — mais après combien de siècles — de l’esclavage. Le droit des gens valable pour toute race est une créati
981 des gens valable pour toute race est une création de l’Europe, durant l’époque colonialiste et tout d’abord en réaction à
982 Kant en sont les pères, et je ne leur vois guère de répondant dans les élites d’Asie, d’Arabie et d’Afrique, à part Gandh
983 e ne leur vois guère de répondant dans les élites d’ Asie, d’Arabie et d’Afrique, à part Gandhi. Enfin l’Europe, par sa tec
984 r vois guère de répondant dans les élites d’Asie, d’ Arabie et d’Afrique, à part Gandhi. Enfin l’Europe, par sa technique,
985 de répondant dans les élites d’Asie, d’Arabie et d’ Afrique, à part Gandhi. Enfin l’Europe, par sa technique, a mis en rel
986 onde, devenu désormais unité théorique et système de relations pratiques. L’Europe et l’Europe seule a fait tout cela, par
987 ences, par sa technique enfin, résultante moderne de cet ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations
988 chnique enfin, résultante moderne de cet ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations e
989 oderne de cet ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons
990 ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : p
991 ipes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui
992 x, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui a fait littéral
993 ions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui a fait littéralement le t
994 s, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui a fait littéralement le tour
995 ations, de créations et de formes de vie — disons d’ un mot : par sa culture, qui a fait littéralement le tour du monde. Ma
996 clame, fût-ce pour les retourner contre l’Europe, de ses doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs
997 rope, de ses doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs — en même temps se manifeste et se prononce,
998 doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs — en même temps se manifeste et se prononce, précisément
999 se manifeste et se prononce, précisément au cœur de sa culture qui fut l’agent de la convergence mondiale, un mouvement r
1000 précisément au cœur de sa culture qui fut l’agent de la convergence mondiale, un mouvement radicalement contraire de diver
1001 nce mondiale, un mouvement radicalement contraire de divergence. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparatio
1002 adicalement contraire de divergence. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babéli
1003 aire de divergence. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babélique, ne me paraît
1004 nce. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babélique, ne me paraît nulle part plu
1005 que dans nos universités. Tout le monde sait ici de quoi je veux parler : nous assistons en fait à une double explosion a
1006 t à une double explosion au sein des institutions d’ enseignement supérieur : explosion du savoir, qui se traduit par un ac
1007 un accroissement continuel à la fois du nombre et de l’exclusivité des spécialisations dans le cadre distendu des facultés
1008 n des effectifs estudiantins, résultant à la fois de l’accroissement des populations et la démocratisation des études.
1009 autres avec une vitesse croissante, comme autant de galaxies dans le cosmos en expansion vertigineuse que nous décrivent
1010 que nous décrivent les astronomes contemporains. D’ où résultent les deux conséquences qui définissent le phénomène de Bab
1011 es deux conséquences qui définissent le phénomène de Babel : la disparition rapide de toute langue commune, remplacée par
1012 ent le phénomène de Babel : la disparition rapide de toute langue commune, remplacée par une multiplicité de langages spéc
1013 te langue commune, remplacée par une multiplicité de langages spéciaux de moins en moins traduisibles, et l’évanouissement
1014 mplacée par une multiplicité de langages spéciaux de moins en moins traduisibles, et l’évanouissement progressif de la con
1015 oins traduisibles, et l’évanouissement progressif de la conscience du but commun, des fins dernières de l’entreprise, qui
1016 e la conscience du but commun, des fins dernières de l’entreprise, qui se perdent dans les nuées de l’inconcevable. Mais d
1017 es de l’entreprise, qui se perdent dans les nuées de l’inconcevable. Mais dire que tout langage commun se perd, entre les
1018 liées du savoir, c’est dire que la commune mesure d’ une civilisation est en train de s’évanouir — j’entends par là, sa con
1019 n de s’évanouir — j’entends par là, sa conception de l’homme universel, cet idéal capable d’inspirer et d’orienter la pens
1020 onception de l’homme universel, cet idéal capable d’ inspirer et d’orienter la pensée, le sentiment et l’action non seuleme
1021 ’homme universel, cet idéal capable d’inspirer et d’ orienter la pensée, le sentiment et l’action non seulement des esprits
1022 t l’action non seulement des esprits créateurs et de la jeunesse européenne, mais aussi des hommes d’outre-mer qui viennen
1023 de la jeunesse européenne, mais aussi des hommes d’ outre-mer qui viennent chez nous en pèlerinage aux sources vives de la
1024 iennent chez nous en pèlerinage aux sources vives de la nouvelle culture mondiale. Mais qu’il n’y ait plus, ou presque plu
1025 ndiale. Mais qu’il n’y ait plus, ou presque plus, de langage commun, et que les buts finaux s’obscurcissent, il faut bien
1026 t dire aussi, très concrètement, qu’il n’y a plus d’ Université aux deux sens primitifs de l’universitas, qui sont le sens
1027 l n’y a plus d’Université aux deux sens primitifs de l’universitas, qui sont le sens corporatif, communautaire, et le sens
1028 s agglomérats ou juxtapositions souvent fortuites d’ écoles professionnelles et d’instituts de recherches n’ayant plus d’au
1029 ns souvent fortuites d’écoles professionnelles et d’ instituts de recherches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux d’u
1030 ortuites d’écoles professionnelles et d’instituts de recherches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux d’une administr
1031 erches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux d’ une administration en outre accablée de soucis matériels et qui a d’au
1032 s que ceux d’une administration en outre accablée de soucis matériels et qui a d’autres chats à fouetter que de méditer su
1033 matériels et qui a d’autres chats à fouetter que de méditer sur la synthèse des facultés de l’esprit humain. La juxtaposi
1034 etter que de méditer sur la synthèse des facultés de l’esprit humain. La juxtaposition de facultés étanches ne fait pas pl
1035 des facultés de l’esprit humain. La juxtaposition de facultés étanches ne fait pas plus une université qu’une addition d’o
1036 s ne fait pas plus une université qu’une addition d’ organes ne fait un corps vivant. Regardons cela d’un peu plus près. Su
1037 d’organes ne fait un corps vivant. Regardons cela d’ un peu plus près. Sur l’explosion des effectifs, nous disposons d’une
1038 ès. Sur l’explosion des effectifs, nous disposons d’ une grande richesse de statistiques. Un seul exemple peut suffire ici 
1039 s effectifs, nous disposons d’une grande richesse de statistiques. Un seul exemple peut suffire ici : le nombre des étudia
1040 ire ici : le nombre des étudiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’
1041 udiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’ environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans un
1042 viron 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans une dizaine d’années. (Seules n’auront pu varier les dim
1043 on prévoit qu’il sera de 500 000 dans une dizaine d’ années. (Seules n’auront pu varier les dimensions des salles de la Sor
1044 ules n’auront pu varier les dimensions des salles de la Sorbonne, où déjà les étudiants s’écrasent une heure avant les gra
1045 e 85 % des scientifiques ayant vécu depuis l’aube de l’histoire, sont vivants aujourd’hui. Et Louis Armand me disait un jo
1046 disait un jour : si vous et moi, dans nos années d’ études, il y a 30 à 35 ans, avions appris toute la chimie et n’en avio
1047 vions rien oublié, nous ne saurions qu’un dixième de ce qu’elle est aujourd’hui. Ces données numériques, que je prends pou
1048 ie, génétique) et peut-être en psychologie ; rien de comparable ne s’est produit et ne saurait se produire dans la théolog
1049 i dans les lettres. Mais cette disparité n’a rien de rassurant, tout au contraire : elle accroît la séparation et les dist
1050 re le savoir et le croire, entre ces deux aspects de la personne totale, jadis but et module de tout l’effort de l’Univers
1051 spects de la personne totale, jadis but et module de tout l’effort de l’Université au plein sens de son nom (Univers, univ
1052 onne totale, jadis but et module de tout l’effort de l’Université au plein sens de son nom (Univers, universitas, selon l’
1053 le de tout l’effort de l’Université au plein sens de son nom (Univers, universitas, selon l’étymologie chère à Claudel, ve
1054 t considérer comme un grand appareil distributeur d’ informations, au sens cybernétique du terme, cesse de fonctionner norm
1055 nformations, au sens cybernétique du terme, cesse de fonctionner normalement quand les informations ne peuvent plus être é
1056 ntre les branches du savoir, ou entre les rameaux d’ une même branche. Les jugements d’ensemble, rapportés à quelque unité
1057 tre les rameaux d’une même branche. Les jugements d’ ensemble, rapportés à quelque unité globale de conception, soit origin
1058 nts d’ensemble, rapportés à quelque unité globale de conception, soit originelle soit finale, ne peuvent dès lors plus s’e
1059 e la théologie ait gardé ses pouvoirs régulateurs de l’ensemble de nos croyances : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œ
1060 ait gardé ses pouvoirs régulateurs de l’ensemble de nos croyances : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œuvre d’un phys
1061 rs de l’ensemble de nos croyances : un théologien d’ aujourd’hui, lisant l’œuvre d’un physicien, ne serait plus en mesure d
1062 ces : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œuvre d’ un physicien, ne serait plus en mesure de le juger comme l’Église juge
1063 l’œuvre d’un physicien, ne serait plus en mesure de le juger comme l’Église jugea Galilée, parce que, tout simplement, il
1064 arce que, tout simplement, il ne comprendrait pas de quoi parle le physicien, et a fortiori ne saurait pas si le rapport e
1065 tre les conclusions du physicien et la dogmatique de l’Église doit être estimé négatif, positif ou indifférent. J’ajoute q
1066 bablement ne s’en soucierait pas. Ainsi chacun va de son côté, et les représentants des disciplines diverses n’ont souvent
1067 udes quotidiennes ou des préjugés mutuels hérités de conflits dès longtemps périmés3. Mais il y a le point de vue de l’esp
1068 s longtemps périmés3. Mais il y a le point de vue de l’esprit, qui est différent. L’esprit humain, et particulièrement l’e
1069 édiate suffisent à justifier l’existence prospère d’ une entreprise de cet ordre, et refoulent les questions anxieuses dont
1070 à justifier l’existence prospère d’une entreprise de cet ordre, et refoulent les questions anxieuses dont je tente de me f
1071 t refoulent les questions anxieuses dont je tente de me faire ici l’interprète. Faudrait-il donc nous résigner à que l’acc
1072 ême du savoir traîne pour conséquence la division de l’esprit et l’accroissement de l’ignorance mutuelle entre les directi
1073 quence la division de l’esprit et l’accroissement de l’ignorance mutuelle entre les directions de la recherche ? Les lé
1074 ment de l’ignorance mutuelle entre les directions de la recherche ? Les lévites administrent les rites… En fait, et
1075 s administrent les rites… En fait, et aux yeux d’ un observateur non prévenu, jugeant seulement sur ce qu’il nous voit f
1076 ort bien continuer ainsi, sans nul danger sérieux de catastrophe. Après tout, la tour de Babel ne s’est pas écroulée sur s
1077 anger sérieux de catastrophe. Après tout, la tour de Babel ne s’est pas écroulée sur ses bâtisseurs, ils l’ont seulement a
1078 s pays, paraît plus florissante que jamais : loin d’ être abandonnée, elle attire une foule croissante de travailleurs et d
1079 être abandonnée, elle attire une foule croissante de travailleurs et de curieux. L’industrie et l’État, plus que jamais, o
1080 le attire une foule croissante de travailleurs et de curieux. L’industrie et l’État, plus que jamais, ont besoin d’elle. S
1081 ’industrie et l’État, plus que jamais, ont besoin d’ elle. Si elle est devenue trop petite pour ses tâches immédiates, qu’o
1082 âches immédiates, qu’on l’agrandisse ! Les crises de croissance n’ont jamais été mortelles pour les administrations : elle
1083 lles représentent an contraire leur régime normal d’ existence, selon la loi de Parkinson. L’incommunicabilité des savoirs
1084 aire leur régime normal d’existence, selon la loi de Parkinson. L’incommunicabilité des savoirs est ressentie par notre es
1085 ne permanente insécurité. L’intellectuel européen d’ aujourd’hui se sent tributaire de disciplines forcément partielles, po
1086 lectuel européen d’aujourd’hui se sent tributaire de disciplines forcément partielles, pouvant à tout instant être mises e
1087 t méthodiquement sur elles-mêmes, acceptant ainsi de n’être peut-être plus tout à fait vraies — mais tant pis, cela ne se
1088 nt pis, cela ne se sait pas encore ! Cette espèce de résignation intellectuelle correspond à une forme schizoïde de la pen
1089 n intellectuelle correspond à une forme schizoïde de la pensée, et conduit à un scepticisme croissant quant aux fins derni
1090 un scepticisme croissant quant aux fins dernières de la recherche et quant à la valeur globale, ultime, du savoir humain.
1091 le, ultime, du savoir humain. Dans le Temple même de la Science, il faut bien que les lévites, même sceptiques quant aux f
1092 n que les lévites, même sceptiques quant aux fins de leur religion, administrent les rites et donnent leurs cours… Mais q
1093 Mais quel dieu servent-ils encore ? À quelle idée de l’homme, divine ou idéale, correspond aujourd’hui l’entreprise de l’U
1094 ne ou idéale, correspond aujourd’hui l’entreprise de l’Université occidentale ? Quel type d’homme a-t-elle en vue, veut-el
1095 ntreprise de l’Université occidentale ? Quel type d’ homme a-t-elle en vue, veut-elle former ? Je crains bien que si l’on t
1096 -elle former ? Je crains bien que si l’on tentait de le déduire d’une observation attentive de nos universités, l’on ne tr
1097 Je crains bien que si l’on tentait de le déduire d’ une observation attentive de nos universités, l’on ne trouve qu’une so
1098 tentait de le déduire d’une observation attentive de nos universités, l’on ne trouve qu’une sorte de monstre, assemblage d
1099 e de nos universités, l’on ne trouve qu’une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les vêtements
1100 ’on ne trouve qu’une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les vêtements tiendraient ensemble, o
1101 qu’une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les vêtements tiendraient ensemble, ou la force de
1102 s les vêtements tiendraient ensemble, ou la force de l’habitude ! Nul principe de cohérence organique, point de structure
1103 nsemble, ou la force de l’habitude ! Nul principe de cohérence organique, point de structure osseuse, et très peu d’articu
1104 tude ! Nul principe de cohérence organique, point de structure osseuse, et très peu d’articulations… Au vrai, il est deven
1105 rganique, point de structure osseuse, et très peu d’ articulations… Au vrai, il est devenu presque impossible de répondre à
1106 ations… Au vrai, il est devenu presque impossible de répondre à une telle question, et c’est pourquoi sans doute on la pos
1107 des personnes réelles et complètes, ou seulement de futurs professionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de cr
1108 ent de futurs professionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs
1109 rs professionnels ? Des sages capables de penser, d’ agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs plus effica
1110 ionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs plus efficaces, c’est
1111 vrai que ces questions débordent le seul domaine de l’Université, et qu’elles affectent tout l’ensemble de la culture eur
1112 Université, et qu’elles affectent tout l’ensemble de la culture européenne. Mais c’est par l’Université que les hommes d’o
1113 éenne. Mais c’est par l’Université que les hommes d’ outre-mer viennent au contact de la culture européenne, et c’est là qu
1114 té que les hommes d’outre-mer viennent au contact de la culture européenne, et c’est là qu’ils se posent à eux-mêmes ces q
1115 sent avec une insistance gênante — car nous voici de moins en moins armés pour y répondre. Le problème qu’on soulève ici,
1116 e qu’on soulève ici, et qui est celui du principe de cohérence de notre civilisation, me paraît absolument spécifique de l
1117 ve ici, et qui est celui du principe de cohérence de notre civilisation, me paraît absolument spécifique de l’Europe. Seul
1118 tre civilisation, me paraît absolument spécifique de l’Europe. Seule en effet parmi toutes les grandes cultures qui ont fa
1119 utes les grandes cultures qui ont fait l’histoire de l’humanité, l’Europe a osé l’aventure d’un développement autonome de
1120 histoire de l’humanité, l’Europe a osé l’aventure d’ un développement autonome de la science et des arts, d’une séparation,
1121 rope a osé l’aventure d’un développement autonome de la science et des arts, d’une séparation, voire d’une opposition entr
1122 développement autonome de la science et des arts, d’ une séparation, voire d’une opposition entre le sacré et le profane, e
1123 e la science et des arts, d’une séparation, voire d’ une opposition entre le sacré et le profane, entre la cohérence global
1124 é des disciplines spécialisées provient chez nous de la sécularisation de la philosophie et de la recherche qui s’est mani
1125 cialisées provient chez nous de la sécularisation de la philosophie et de la recherche qui s’est manifestée bien avant la
1126 ez nous de la sécularisation de la philosophie et de la recherche qui s’est manifestée bien avant la Renaissance, probable
1127 . (Quant à savoir dans quelle mesure l’apparition de l’Université est liée à ce phénomène, soit qu’elle l’exprime, soit qu
1128 tre lui avec le thomisme, ce serait un beau sujet d’ études.) Pourquoi travaillez-vous autant ? Or rien de tel ne s’e
1129 ) Pourquoi travaillez-vous autant ? Or rien de tel ne s’est produit, autant que l’on sache, dans les cultures sacrée
1130 ’on sache, dans les cultures sacrées et homogènes de l’Asie brahmanique ou bouddhiste, de l’Afrique noire ancienne, d’Isra
1131 et homogènes de l’Asie brahmanique ou bouddhiste, de l’Afrique noire ancienne, d’Israël sous la synagogue, ou de l’Amériqu
1132 nique ou bouddhiste, de l’Afrique noire ancienne, d’ Israël sous la synagogue, ou de l’Amérique précolombienne. Dans ces cu
1133 ue noire ancienne, d’Israël sous la synagogue, ou de l’Amérique précolombienne. Dans ces cultures tout est sacré. La disti
1134 réglées par les mêmes lois et ne connaissent pas de développements particuliers et divergents. L’originalité, pour elles,
1135 mais atteinte à l’ordre sacré — ou simple erreur d’ exécution. Mutatis mutandis, il en va de même dans les cultures totali
1136 qui l’interprète). L’Europe seule se voit obligée de rechercher sans cesse, en d’infinis débats, les principes primitifs o
1137 eule se voit obligée de rechercher sans cesse, en d’ infinis débats, les principes primitifs ou finaux, ou simplement opéra
1138 ipes primitifs ou finaux, ou simplement opératifs de sa cohérence culturelle, sans cesse perdue de vue ou remise en questi
1139 ifs de sa cohérence culturelle, sans cesse perdue de vue ou remise en question. Et quand les hommes nourris de cultures di
1140 u remise en question. Et quand les hommes nourris de cultures différentes viennent nous poser leurs grandes questions naïv
1141 vos désirs ? Bien peu d’entre nous sont capables de donner une réponse satisfaisante. Le spécialiste se récuse méthodique
1142 s qui aient osé relever, par exemple, la relation de continuité entre le dogme de l’Incarnation (reconnaissance de la réal
1143 exemple, la relation de continuité entre le dogme de l’Incarnation (reconnaissance de la réalité de la matière et du corps
1144 é entre le dogme de l’Incarnation (reconnaissance de la réalité de la matière et du corps, où Dieu se manifeste) et le dév
1145 me de l’Incarnation (reconnaissance de la réalité de la matière et du corps, où Dieu se manifeste) et le développement des
1146 ires n’allait pas perdre à leur étude le meilleur de son temps de méditation. Si les Européens voulaient vraiment répondre
1147 pas perdre à leur étude le meilleur de son temps de méditation. Si les Européens voulaient vraiment répondre aux Asiatiqu
1148 ils se verraient conduits à dépasser leur régime de spécialités académiques, à surmonter leur ignorance méthodique des do
1149 ignorance méthodique des domaines qui ne sont pas de leur département. Je reprends ici mon exemple du physicien et du théo
1150 hindou qui interroge l’Occident sur son obsession de l’Histoire, du Temps, de l’Évolution et du Progrès, il faudrait que l
1151 cident sur son obsession de l’Histoire, du Temps, de l’Évolution et du Progrès, il faudrait que le théologien soit capable
1152 ogrès, il faudrait que le théologien soit capable de se référer non seulement aux conciles et aux textes sacrés, mais aux
1153 onciles et aux textes sacrés, mais aux fondements de la doctrine physique du Temps, aux discussions qui durent déjà depuis
1154 qui durent déjà depuis un siècle sur le principe de Carnot et Clausius sur la dégradation de l’énergie, la « flèche du te
1155 principe de Carnot et Clausius sur la dégradation de l’énergie, la « flèche du temps » et l’entropie, notions de base qui
1156 ie, la « flèche du temps » et l’entropie, notions de base qui ont une portée métaphysique indiscutable. Et il faudrait que
1157 ciens qui en discutent sachent que la dialectique de leurs problèmes actuels sur le temps, la matière et sa constitution,
1158 ologue à celle des grandes querelles théologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de
1159 elle des grandes querelles théologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de traiter pa
1160 erelles théologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de traiter par allusions rapides
1161 stinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de traiter par allusions rapides, peut-être obscures, un sujet qui deman
1162 des, peut-être obscures, un sujet qui demanderait de gros ouvrages pour être exposé sérieusement. Ce qu’il m’importe de ma
1163 pour être exposé sérieusement. Ce qu’il m’importe de marquer par cet exemple, c’est que l’Europe de l’esprit ne peut plus
1164 te de marquer par cet exemple, c’est que l’Europe de l’esprit ne peut plus se présenter devant le monde qu’elle a réveillé
1165 ésordre spirituel et dans l’incohérence babélique de ses spécialités sans communication, et de la pluralité de ses recherc
1166 bélique de ses spécialités sans communication, et de la pluralité de ses recherches sans références à un langage commun.
1167 pécialités sans communication, et de la pluralité de ses recherches sans références à un langage commun. Un savoir en p
1168 d problème que l’Europe seule me paraît en mesure de résoudre, parce qu’elle seule l’a posé dans l’histoire, c’est celui d
1169 ’elle seule l’a posé dans l’histoire, c’est celui de l’Un et du Divers également réels et valables, dont le problème des r
1170 s relations entre savoirs spécialisés et synthèse de nos connaissances n’est guère qu’un cas particulier. Le paradoxe euro
1171 particulier. Le paradoxe européen par excellence de l’union dans la diversité n’est pas seulement celui de l’Université,
1172 union dans la diversité n’est pas seulement celui de l’Université, mais celui de notre politique d’intégration européenne,
1173 t pas seulement celui de l’Université, mais celui de notre politique d’intégration européenne, dans sa forme fédéraliste,
1174 ui de l’Université, mais celui de notre politique d’ intégration européenne, dans sa forme fédéraliste, non unitaire, que j
1175 blème dans le cadre qui nous intéresse ici, celui de l’Université ? Trois solutions me paraissent concevables. a) La premi
1176 ouvent proposée, consisterait à imposer des cours de culture générale, un studium generale, aux étudiants de toutes les fa
1177 ture générale, un studium generale, aux étudiants de toutes les facultés et instituts spécialisés. Je n’y crois pas. La pr
1178 e intention si louable ont échoué, et les raisons de ces échecs répétés me paraissent assez évidentes. La généralité n’es
1179 générales, aux ramifications interdisciplinaires de ce que l’on est en train d’étudier dans le détail. La vie est trop co
1180 ue l’on est en train d’étudier dans le détail. La vie est trop courte, même prolongée comme on nous le promet jusqu’à une m
1181 ongée comme on nous le promet jusqu’à une moyenne de 90 ans, pour que l’espoir de maîtriser l’ensemble du savoir humain, d
1182 jusqu’à une moyenne de 90 ans, pour que l’espoir de maîtriser l’ensemble du savoir humain, d’ailleurs en progression géom
1183 en progression géométrique, ait la moindre chance de succès et l’éducation permanente qu’on nous propose, qui s’étendrait
1184 berceau à la tombe, ne laisserait guère le temps de vivre à ses bénéficiaires super-savants. Pic de la Mirandole, aujourd
1185 s de vivre à ses bénéficiaires super-savants. Pic de la Mirandole, aujourd’hui, se verrait contraint de choisir entre une
1186 e la Mirandole, aujourd’hui, se verrait contraint de choisir entre une carrière de brillant vulgarisateur scientifique et
1187 e verrait contraint de choisir entre une carrière de brillant vulgarisateur scientifique et une spécialisation qui lui vau
1188 t qu’une monstruosité : le développement excessif d’ un organe aux dépens de l’équilibre du corps. On peut l’évaluer à son
1189 prix réel et trouver celui-ci exorbitant : perdre de vue l’ensemble humain est une perte absolue, essentielle, que tous le
1190 la double pression que j’ai dite : toujours plus de matières à enseigner à un nombre toujours plus grand d’étudiants et d
1191 ières à enseigner à un nombre toujours plus grand d’ étudiants et de futurs enseignants. Puisqu’on ne peut chercher de solu
1192 er à un nombre toujours plus grand d’étudiants et de futurs enseignants. Puisqu’on ne peut chercher de solution en arrière
1193 de futurs enseignants. Puisqu’on ne peut chercher de solution en arrière, il faut donc la chercher en avant : accepter le
1194 donc la chercher en avant : accepter le mouvement de spécialisation, mais le pousser jusqu’à ce point où l’étude la plus e
1195 ser jusqu’à ce point où l’étude la plus exigeante d’ une discipline particulière va déboucher sur des problèmes qui relèven
1196 . Dans bien des cas célèbres, c’est l’avant-garde de la recherche la plus hautement spécialisée qui s’est vue conduite par
1197 ui s’est vue conduite par les nécessités internes de son cheminement, à déboucher sur des domaines que la vertueuse méthod
1198 chanalyse. Un ethnologue, spécialisé dans l’étude de la « pensée sauvage » découvre dans la linguistique générale de Ferdi
1199 sauvage » découvre dans la linguistique générale de Ferdinand de Saussure, science des systèmes de signes, l’explication
1200 le de Ferdinand de Saussure, science des systèmes de signes, l’explication qui lui manquait de la prohibition de l’inceste
1201 ystèmes de signes, l’explication qui lui manquait de la prohibition de l’inceste ; cependant que des biologistes et des él
1202 l’explication qui lui manquait de la prohibition de l’inceste ; cependant que des biologistes et des électroniciens puise
1203 ne les schèmes structuraux qui permettent aux uns d’ interpréter la transmission du patrimoine héréditaire par les chromoso
1204 moine héréditaire par les chromosomes, aux autres de construire des machines à traduire. Un physicien étudiant le principe
1205 nes à traduire. Un physicien étudiant le principe de l’irréversibilité du temps est amené à écrire « qu’une vue physicienn
1206 u cosmos est trop étriquée » ; et que la physique de demain risque de se trouver obligée d’entrer dans un dialogue actif a
1207 étriquée » ; et que la physique de demain risque de se trouver obligée d’entrer dans un dialogue actif avec, disons, la p
1208 a physique de demain risque de se trouver obligée d’ entrer dans un dialogue actif avec, disons, la psychologie au sens lar
1209 a psychologie au sens large, pour jeter les bases d’ une science beaucoup plus compréhensive. Et chacun sait que c’est en p
1210 . Et chacun sait que c’est en poussant l’exigence de l’analyse jusqu’aux anomalies les plus fines, que les savants contemp
1211 plusieurs d’entre eux l’ont écrit. Carrefours de vérités Une phrase de Spinoza s’est fixée dans mon souvenir dès l’
1212 ont écrit. Carrefours de vérités Une phrase de Spinoza s’est fixée dans mon souvenir dès l’adolescence : « D’autant
1213 est fixée dans mon souvenir dès l’adolescence : «  D’ autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
1214 t plus nous connaissons les choses particulières, d’ autant plus nous connaissons Dieu. » Si je la transpose au domaine moi
1215 au domaine moins sublime que j’essaie aujourd’hui d’ explorer, elle me paraît rendre compte du fait que ce sont les meilleu
1216 -à-dire ceux qui vont le plus loin dans l’analyse de certains cas particuliers, qui nous conduisent le plus sûrement au gé
1217 pas objectivement et comme spontanément au terme d’ une comparaison systématique des résultats en soi acquis par les spéci
1218 se est un acte créateur, intervenant au carrefour de plusieurs vérités hétérogènes saisies par l’esprit dans leur mouvemen
1219 ns jusqu’alors inaperçues. C’est dire que l’œuvre de synthèse qu’exige l’état présent de notre culture et de nos universit
1220 e que l’œuvre de synthèse qu’exige l’état présent de notre culture et de nos universités, devrait d’abord être confiée à d
1221 thèse qu’exige l’état présent de notre culture et de nos universités, devrait d’abord être confiée à des groupes de cherch
1222 sités, devrait d’abord être confiée à des groupes de chercheurs représentant des disciplines diverses. Par leur réunion ph
1223 aires restreints, ils créeraient ces « carrefours de vérités hétérogènes » sur lesquels et à partir desquels l’esprit de s
1224 ènes » sur lesquels et à partir desquels l’esprit de synthèse pourrait s’exercer. Le nombre optimum des participants de te
1225 ait s’exercer. Le nombre optimum des participants de tels groupes me paraît être, à l’expérience de nombreux colloques por
1226 ts de tels groupes me paraît être, à l’expérience de nombreux colloques portant sur des sujets interdisciplinaires, d’une
1227 oques portant sur des sujets interdisciplinaires, d’ une douzaine de personnes seulement. Ce module permet en effet la conv
1228 ur des sujets interdisciplinaires, d’une douzaine de personnes seulement. Ce module permet en effet la conversation, l’éch
1229 rmet en effet la conversation, l’échange spontané de questions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’inter
1230 conversation, l’échange spontané de questions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’intervention monologa
1231 ui importe au bout du compte, dans une entreprise de ce genre, c’est la qualité personnelle des hommes qui s’y livrent : s
1232 aut enfin, ce qui nous manque, ce sont des hommes de synthèse, un type nouveau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sor
1233 , ce sont des hommes de synthèse, un type nouveau d’ hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscience conjoncturel
1234 des hommes de synthèse, un type nouveau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscience conjoncturelle de l’é
1235 eau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscience conjoncturelle de l’évolution de nos recherches, un sens c
1236 s’incarne une sorte de conscience conjoncturelle de l’évolution de nos recherches, un sens constamment alerté de leurs co
1237 sorte de conscience conjoncturelle de l’évolution de nos recherches, un sens constamment alerté de leurs corrélations virt
1238 ion de nos recherches, un sens constamment alerté de leurs corrélations virtuelles et de la fécondité de leurs interférenc
1239 amment alerté de leurs corrélations virtuelles et de la fécondité de leurs interférences. Ces hommes seront d’abord des sp
1240 leurs corrélations virtuelles et de la fécondité de leurs interférences. Ces hommes seront d’abord des spécialistes, et q
1241 ls par le fait même qu’ils auront pris conscience de ce qu’ils ne peuvent se contenter d’être seulement des spécialistes.
1242 s conscience de ce qu’ils ne peuvent se contenter d’ être seulement des spécialistes. Favoriser ou fomenter ce type humain,
1243 main, lui offrir les moyens matériels, l’ambiance de vie, le milieu de vie, les contacts personnels requis par l’exercice
1244 n, lui offrir les moyens matériels, l’ambiance de vie , le milieu de vie, les contacts personnels requis par l’exercice de s
1245 es moyens matériels, l’ambiance de vie, le milieu de vie, les contacts personnels requis par l’exercice de sa vocation, vo
1246 moyens matériels, l’ambiance de vie, le milieu de vie , les contacts personnels requis par l’exercice de sa vocation, voilà
1247 ie, les contacts personnels requis par l’exercice de sa vocation, voilà sans doute le genre de solution concrète que nous
1248 xercice de sa vocation, voilà sans doute le genre de solution concrète que nous pourrions préconiser, si nous voulons tent
1249 nous pourrions préconiser, si nous voulons tenter de faire face au problème posé par l’accroissement babélique de la spéci
1250 ce au problème posé par l’accroissement babélique de la spécialisation. Ces prix Nobel Sur le problème de l’explosio
1251 cialisation. Ces prix Nobel Sur le problème de l’explosion des effectifs universitaires, je n’aurais guère à propose
1252 res, je n’aurais guère à proposer qu’une solution de bon sens presque simpliste : il me semble que le seul moyen de sauver
1253 resque simpliste : il me semble que le seul moyen de sauver la qualité des universités existantes et leur efficacité pédag
1254 r des facteurs quantitatifs irréversibles, serait de multiplier sans plus tarder le nombre des établissements d’enseigneme
1255 ier sans plus tarder le nombre des établissements d’ enseignement supérieur. D’une part, les universités existantes seraien
1256 ités existantes seraient progressivement libérées de leur engorgement, d’autre part les dimensions des universités nouvell
1257 rder aux optima que votre Conférence se préoccupe d’ établir et que proposent avec beaucoup de sagesse, me semble-t-il, les
1258 beaucoup de sagesse, me semble-t-il, les rapports d’ experts qui vous sont soumis. Si l’on garde à l’esprit la règle d’or d
1259 us sont soumis. Si l’on garde à l’esprit la règle d’ or de la culture européenne, qui n’est rien d’autre que la mesure huma
1260 nt soumis. Si l’on garde à l’esprit la règle d’or de la culture européenne, qui n’est rien d’autre que la mesure humaine,
1261 gle d’or de la culture européenne, qui n’est rien d’ autre que la mesure humaine, le module des relations personnelles, con
1262 , le module des relations personnelles, condition de toute existence communautaire et de tout bon travail en commun, l’on
1263 es, condition de toute existence communautaire et de tout bon travail en commun, l’on sera conduit à préférer la multiplic
1264 n, l’on sera conduit à préférer la multiplication de petites universités à la multiplication des facultés, des chaires et
1265 plication des facultés, des chaires et des postes d’ assistants dans les déjà trop grandes universités. L’adjectif petit me
1266 timement lié en Europe, non seulement à l’optimum de l’efficacité pédagogique — qui exige la proximité — mais aussi au max
1267 imité — mais aussi au maximum du pouvoir créateur d’ un milieu donné, cité, pays ou université. Ce n’est pas du tout par ha
1268 bli le sociologue belge Léo Moulin, sous le titre d’ indice Nobel, et qui se fonde sur le nombre de prix Nobel de sciences
1269 tre d’indice Nobel, et qui se fonde sur le nombre de prix Nobel de sciences par million d’habitants d’un pays, de 1901 à 1
1270 obel, et qui se fonde sur le nombre de prix Nobel de sciences par million d’habitants d’un pays, de 1901 à 1960, ce sont l
1271 r le nombre de prix Nobel de sciences par million d’ habitants d’un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Eu
1272 de prix Nobel de sciences par million d’habitants d’ un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Europe qui occ
1273 el de sciences par million d’habitants d’un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Europe qui occupent les c
1274 ays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’ Europe qui occupent les cinq premiers rangs, soit dans l’ordre la Suis
1275 t l’URSS viennent loin derrière, ou même en queue de liste. Je n’en dis pas plus sur ce point : dans les petits pays, tout
1276 , y compris les universités. Mais sur le problème de l’explosion du savoir, dont je vous ai plus longuement entretenu, il
1277 je vous ai plus longuement entretenu, il me tarde de vous proposer des conclusions plus personnelles et plus précises, qui
1278 r rendement optimum, peut freiner l’accroissement de l’entropie au niveau de l’enseignement, mais ne répondra pas au défi
1279 u de l’enseignement, mais ne répondra pas au défi de la division du savoir en langages spécialisés. Pour y répondre, il fa
1280 s. Pour y répondre, il faut envisager la création d’ instituts ou de centres de synthèse, établis à l’échelle européenne, j
1281 dre, il faut envisager la création d’instituts ou de centres de synthèse, établis à l’échelle européenne, je veux dire sup
1282 t envisager la création d’instituts ou de centres de synthèse, établis à l’échelle européenne, je veux dire supranationale
1283 e. J’en imagine le prototype, qui serait une tour d’ anti-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’un lac, ou d’une
1284 nti-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’ un lac, ou d’une large rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin
1285 ns un grand parc, près de la mer, ou d’un lac, ou d’ une large rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin d’une ville
1286 e rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin d’ une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée,
1287 n pleine campagne, mais pas trop loin d’une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-
1288 pas trop loin d’une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons fa
1289 s trop loin d’une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons famili
1290 lturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons familiales dispersées, et un centre de type villageois : hôte
1291 es de maisons familiales dispersées, et un centre de type villageois : hôtels, auberges, marché, boutiques, chapelles, san
1292 ques, chapelles, sans oublier plusieurs terrasses de café. Dans le centre aussi, un groupe de bâtiments contient la biblio
1293 errasses de café. Dans le centre aussi, un groupe de bâtiments contient la bibliothèque et les salles de colloques. La com
1294 bâtiments contient la bibliothèque et les salles de colloques. La commune, gouvernée par le recteur, jouit d’un statut sp
1295 ques. La commune, gouvernée par le recteur, jouit d’ un statut spécial d’exterritorialité : c’est une sorte de district féd
1296 uvernée par le recteur, jouit d’un statut spécial d’ exterritorialité : c’est une sorte de district fédéral de l’Europe int
1297 atut spécial d’exterritorialité : c’est une sorte de district fédéral de l’Europe intellectuelle. Là vivent ces « hommes d
1298 ritorialité : c’est une sorte de district fédéral de l’Europe intellectuelle. Là vivent ces « hommes de synthèse » dont je
1299 e l’Europe intellectuelle. Là vivent ces « hommes de synthèse » dont je vous parlais tout à l’heure : professeurs de tous
1300 dont je vous parlais tout à l’heure : professeurs de tous âges et de toutes spécialités, et futurs professeurs déjà gradué
1301 lais tout à l’heure : professeurs de tous âges et de toutes spécialités, et futurs professeurs déjà gradués, d’une part ;
1302 part ; responsables des domaines les plus variés de la vie publique, économique et sociale, d’autre part. Condition génér
1303 ; responsables des domaines les plus variés de la vie publique, économique et sociale, d’autre part. Condition générale d’a
1304 ique et sociale, d’autre part. Condition générale d’ admission : avoir prouvé son excellence dans une branche au moins du s
1305 xcellence dans une branche au moins du savoir, ou de la vie professionnelle, et démontrer d’une manière convaincante qu’on
1306 nce dans une branche au moins du savoir, ou de la vie professionnelle, et démontrer d’une manière convaincante qu’on éprouv
1307 avoir, ou de la vie professionnelle, et démontrer d’ une manière convaincante qu’on éprouve l’impérieux désir d’intégrer l’
1308 ière convaincante qu’on éprouve l’impérieux désir d’ intégrer l’expérience acquise dans un ensemble plus compréhensif. Les
1309 plus compréhensif. Les activités intellectuelles de cette communauté peuvent être définies à grands traits comme suit. Qu
1310 rands traits comme suit. Quant à la forme : point de cours magistraux, mais seulement des colloques restreints, groupant a
1311 e déclaration publique est obligatoirement suivie d’ une discussion réglée. Ici l’on n’impose pas une image du monde : on l
1312 isciplinée par la critique mutuelle. Deux meneurs de jeu par colloque, et ils ne peuvent appartenir à la même spécialité.
1313 par là : les sujets qu’il serait le plus malaisé de traiter dans le cadre de nos facultés classiques. Voici quelques-uns
1314 l serait le plus malaisé de traiter dans le cadre de nos facultés classiques. Voici quelques-uns des sujets que, pour ma p
1315 s des sujets que, pour ma part, je serais heureux de pouvoir étudier et discuter, si j’étais jugé digne de participer aux
1316 ouvoir étudier et discuter, si j’étais jugé digne de participer aux activités de la commune. 1. Les options fondamentales
1317 si j’étais jugé digne de participer aux activités de la commune. 1. Les options fondamentales des grandes cultures, notamm
1318 ons fondamentales des grandes cultures, notamment de la culture européenne, et la logique ou les contradictions de leur dé
1319 e européenne, et la logique ou les contradictions de leur développement dans la vie publique et privée de l’unité culturel
1320 les contradictions de leur développement dans la vie publique et privée de l’unité culturelle en question. Le problème des
1321 leur développement dans la vie publique et privée de l’unité culturelle en question. Le problème des possibles convergence
1322 ssance créatrice, formerait un centre particulier d’ attention. 2. Le rôle créateur de l’interaction des disciplines dans l
1323 ntre particulier d’attention. 2. Le rôle créateur de l’interaction des disciplines dans l’histoire ancienne et récente de
1324 s disciplines dans l’histoire ancienne et récente de l’Europe. Dans quelle mesure et sous quelles conditions les invention
1325 quelles conditions les inventions ou découvertes de la science et des arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de
1326 la science et des arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires, de l’imagination
1327 s arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires, de l’imagination débridée, de la
1328 gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires, de l’imagination débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des con
1329 des fins utilitaires, de l’imagination débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des contingences dans les progrès
1330 , de l’imagination débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des contingences dans les progrès de la connaissance en
1331 e la méthode et des contingences dans les progrès de la connaissance en Occident. 3. Au-delà de la technologie. Comment pa
1332 rogrès de la connaissance en Occident. 3. Au-delà de la technologie. Comment passer de l’ère technique à l’ère de l’équili
1333 ent. 3. Au-delà de la technologie. Comment passer de l’ère technique à l’ère de l’équilibre humain ? En d’autres termes, c
1334 ologie. Comment passer de l’ère technique à l’ère de l’équilibre humain ? En d’autres termes, comment tirer les bénéfices
1335 ? En d’autres termes, comment tirer les bénéfices de bonheur individuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix
1336 omment tirer les bénéfices de bonheur individuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouch
1337 énéfices de bonheur individuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouches qu’imposent à l
1338 ividuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouches qu’imposent à la majorité de nos conte
1339 s disciplines farouches qu’imposent à la majorité de nos contemporains les impératifs de la croissance de production, et d
1340 à la majorité de nos contemporains les impératifs de la croissance de production, et de l’aide aux sous-développés ? 4. Po
1341 nos contemporains les impératifs de la croissance de production, et de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’un l
1342 les impératifs de la croissance de production, et de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’un langage universel,
1343 t de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’ un langage universel, fondé sur la cybernétique et sur la sémiologie d
1344 l, fondé sur la cybernétique et sur la sémiologie de Saussure. Recherche générale de procédés de translation des méthodes,
1345 sur la sémiologie de Saussure. Recherche générale de procédés de translation des méthodes, démarches spécifiques et résult
1346 logie de Saussure. Recherche générale de procédés de translation des méthodes, démarches spécifiques et résultats des dive
1347 ésultats des diverses branches du savoir. Limites d’ un tel langage, et comment y suppléer par les arts. 5. Européologie. I
1348 upart de nos grandes universités des départements d’ indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’études des civilisations tr
1349 randes universités des départements d’indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’études des civilisations tropicales, afri
1350 ités des départements d’indianisme, de sinologie, d’ islamologie, d’études des civilisations tropicales, africaines, indamé
1351 ements d’indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’ études des civilisations tropicales, africaines, indaméricaines, indon
1352 l n’existe pas, ni hors de l’Europe ni en Europe, de chaires d’études européennes, ou plus précisément d’européologie. Cer
1353 pas, ni hors de l’Europe ni en Europe, de chaires d’ études européennes, ou plus précisément d’européologie. Certes, l’on é
1354 chaires d’études européennes, ou plus précisément d’ européologie. Certes, l’on étudie un peu partout le Marché commun, le
1355 stoire récente, leur jurisprudence, l’unification de leurs mesures sociales et la coordination de leurs politiques économi
1356 tion de leurs mesures sociales et la coordination de leurs politiques économiques. Ce qui nous manque encore, c’est une ét
1357 e quasi ethnographique des caractères spécifiques de notre civilisation, à l’heure où elle se répand d’une manière anarchi
1358 e notre civilisation, à l’heure où elle se répand d’ une manière anarchique sur tous les continents de la planète, à l’heur
1359 d’une manière anarchique sur tous les continents de la planète, à l’heure où le tiers-monde l’interroge avec une anxiété
1360 le tiers-monde l’interroge avec une anxiété mêlée d’ arrogance, à l’heure où elle s’interroge elle-même plus qu’elle n’a ja
1361 le n’a jamais fait dans son histoire. Cette liste de thèmes, vous le sentez, ne demande qu’à s’allonger au gré de vos dési
1362 vous le sentez, ne demande qu’à s’allonger au gré de vos désirs. Quant aux relations entre un tel Centre de synthèse et le
1363 s désirs. Quant aux relations entre un tel Centre de synthèse et les universités existantes, on les imaginera sans peine.
1364 uction si désirable dans nos mœurs universitaires d’ une année sabbatique de type américain, permettrait d’envoyer beaucoup
1365 s nos mœurs universitaires d’une année sabbatique de type américain, permettrait d’envoyer beaucoup de professeurs à cet i
1366 e année sabbatique de type américain, permettrait d’ envoyer beaucoup de professeurs à cet institut de recyclage et de remi
1367 d’envoyer beaucoup de professeurs à cet institut de recyclage et de remise en question générale, et c’est aussi ce que no
1368 oup de professeurs à cet institut de recyclage et de remise en question générale, et c’est aussi ce que nous attendons tou
1369 nérale, et c’est aussi ce que nous attendons tous de nos vacances. Après un an, les professeurs détachés reviendraient à l
1370 achés reviendraient à leur enseignement, porteurs d’ une sorte de radioactivité, — les uns mûris, les autres rajeunis… Comm
1371 draient à leur enseignement, porteurs d’une sorte de radioactivité, — les uns mûris, les autres rajeunis… Comment baptiser
1372 baptiser l’entreprise ? Elle pourrait se réclamer de beaucoup de noms illustres, d’hommes qui ont rêvé l’Académie européen
1373 urrait se réclamer de beaucoup de noms illustres, d’ hommes qui ont rêvé l’Académie européenne, comme Tommaso Campanella ou
1374 maso Campanella ou Amos Comenius, traçant le plan de son Conseil de la Lumière ; ou d’hommes qui méditaient sur la nécessi
1375 ou Amos Comenius, traçant le plan de son Conseil de la Lumière ; ou d’hommes qui méditaient sur la nécessité d’un langage
1376 traçant le plan de son Conseil de la Lumière ; ou d’ hommes qui méditaient sur la nécessité d’un langage commun aux science
1377 ère ; ou d’hommes qui méditaient sur la nécessité d’ un langage commun aux sciences exactes, aux arts et à la théologie, ai
1378 est la conclusion que je souhaite que vous tiriez de mes propos, cet institut de synthèse serait idéalement ce dont on par
1379 haite que vous tiriez de mes propos, cet institut de synthèse serait idéalement ce dont on parle un peu partout, plus ou m
1380 , plus ou moins bien, depuis 1957, date du traité de Rome instituant l’Euratom : une Université européenne. Vraie universi
1381 elle traiterait spécifiquement du général, en vue d’ entretenir ou de former une image cohérente du Tout. Vraiment européen
1382 spécifiquement du général, en vue d’entretenir ou de former une image cohérente du Tout. Vraiment européenne, puisqu’elle
1383 Vraiment européenne, puisqu’elle aurait pour fin de recréer l’union dans la diversité, qui est la formule de notre grand
1384 éer l’union dans la diversité, qui est la formule de notre grand passé, et de notre avenir, intégré, le seul possible. L’E
1385 sité, qui est la formule de notre grand passé, et de notre avenir, intégré, le seul possible. L’Europe, c’est très peu de
1386 e dessinent, aux États-Unis notamment, pour faire de la mathématique un substitut moderne au latin de jadis, la nouvelle l
1387 de la mathématique un substitut moderne au latin de jadis, la nouvelle langue de communication non seulement internationa
1388 tut moderne au latin de jadis, la nouvelle langue de communication non seulement internationale mais interdisciplinaire, p
1389 sciplines les plus diverses à un très haut niveau de précision. Mais on peut craindre que le langage mathématique, même un
1390 re esthéticiens, laisse tout de même muettes trop de réalités précieuses, affectives et personnelles, essentielles au sens
1391 affectives et personnelles, essentielles au sens de nos vies. aa. Rougemont Denis de, « Il nous faut des hommes de synt
1392 ives et personnelles, essentielles au sens de nos vies . aa. Rougemont Denis de, « Il nous faut des hommes de synthèses »,
1393 ielles au sens de nos vies. aa. Rougemont Denis de , « Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (suppl
1394 a. Rougemont Denis de, « Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 1
1395 « Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 19–20 septembre 1964, p. 
20 1965, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)
1396 pas une patrie suisse mais deux douzaines, point de grands centres ni de marché intellectuel, et surtout point de langue
1397 e mais deux douzaines, point de grands centres ni de marché intellectuel, et surtout point de langue que ces patries aient
1398 ntres ni de marché intellectuel, et surtout point de langue que ces patries aient en commun, semble interdire la possibili
1399 aient en commun, semble interdire la possibilité d’ un écrivain qui mériterait d’être appelé suisse, comme Hölderlin fut s
1400 rdire la possibilité d’un écrivain qui mériterait d’ être appelé suisse, comme Hölderlin fut sans conteste allemand ou Leop
1401 ue l’Allemagne ou l’Italie n’aient réuni dans une de ces super-provinces qu’on nomme nations toutes leurs cités, tous leur
1402 s. Pourtant je vois cette possibilité s’illustrer d’ une manière exemplaire dans l’œuvre et la carrière de Carl Burckhardt.
1403 ne manière exemplaire dans l’œuvre et la carrière de Carl Burckhardt. C’est qu’il est l’un de ceux, très rares, dont la pe
1404 carrière de Carl Burckhardt. C’est qu’il est l’un de ceux, très rares, dont la personne, le style, la formule créatrice ré
1405 créatrice résultent et se composent, précisément, de cette pluralité des données culturelles qui, moins forts, moins doués
1406 moins doués, les eût neutralisés. Lointain cousin de l’historien de la Renaissance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce
1407 s eût neutralisés. Lointain cousin de l’historien de la Renaissance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévisi
1408 n de la Renaissance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les deux firen
1409 sance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les deux firent preuve dans
1410 pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les deux firent preuve dans leur Correspo
1411 leur Correspondance (voir les lettres à von Preen de l’aîné, celles à Hofmannsthal du cadet), mais plutôt qu’il faut l’att
1412 faut l’attribuer à leur commune formation bâloise d’ historiens scrupuleux mais sûrs artistes, héritiers d’une longue tradi
1413 storiens scrupuleux mais sûrs artistes, héritiers d’ une longue tradition humaniste où se mêlent intimement germanisme et l
1414 mêlent intimement germanisme et latinité, esprit de la cité et cosmopolitisme, et qui rend plus sensibles à l’oreille int
1415 l’oreille intérieure les arythmies annonciatrices d’ accidents du cœur de l’Europe. La pensée et l’action Peu de carri
1416 les arythmies annonciatrices d’accidents du cœur de l’Europe. La pensée et l’action Peu de carrières ont connu tant
1417 ée et l’action Peu de carrières ont connu tant d’ alternances de périodes d’action et de médiation. Tantôt écrivain libr
1418 Peu de carrières ont connu tant d’alternances de périodes d’action et de médiation. Tantôt écrivain libre ou professeu
1419 arrières ont connu tant d’alternances de périodes d’ action et de médiation. Tantôt écrivain libre ou professeur ; historie
1420 connu tant d’alternances de périodes d’action et de médiation. Tantôt écrivain libre ou professeur ; historien des grande
1421 u mêlé à l’histoire vivante comme dans le cyclone de Dantzig ; enfin mémorialiste d’événements qu’il a vécus et qu’il avai
1422 e dans le cyclone de Dantzig ; enfin mémorialiste d’ événements qu’il a vécus et qu’il avait prévus. Burckhardt est le type
1423 t qu’il avait prévus. Burckhardt est le type même de l’écrivain qui ne peut séparer la pensée de l’action, ni la passion d
1424 même de l’écrivain qui ne peut séparer la pensée de l’action, ni la passion de la lucidité. Son expérience des hommes et
1425 peut séparer la pensée de l’action, ni la passion de la lucidité. Son expérience des hommes et de l’irrationnel qui condui
1426 sion de la lucidité. Son expérience des hommes et de l’irrationnel qui conduit leurs affaires au pire a certes confirmé so
1427 sa profonde méfiance à l’endroit de ce qui vient, de notre monde moderne en général, mais son goût puissant de la vie et s
1428 monde moderne en général, mais son goût puissant de la vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener au
1429 moderne en général, mais son goût puissant de la vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener aux grand
1430 on goût puissant de la vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener aux grands postes publics, quand un
1431 vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener aux grands postes publics, quand un appel pressant du pays
1432 sion mais servir avec force en toute indépendance d’ esprit, peut-on dire que ces traits composent une personnalité typique
1433 uffira peut-être à justifier l’existence autonome de ce pays, dans une époque où l’homme complet devient un phénomène tell
1434 nir que le « dictateur… ». (Mais j’allais oublier de dire que « C.J.B. », l’homme dont la stature est imposante, est aussi
1435 nt, un humoriste redoutable, et un grand chasseur de chamois.) ab. Rougemont Denis de, « Un écrivain suisse : Carl Bur
1436 and chasseur de chamois.) ab. Rougemont Denis de , « Un écrivain suisse : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (suppl
1437 « Un écrivain suisse : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 20–21 mars 1964, p. 23.
21 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Stampa, vieux village… (15-16 janvier 1966)
1438 ncêtres, il y avait passé les 14 premières années de sa vie, il y revenait souvent, voir sa très vieille mère et travaille
1439 s, il y avait passé les 14 premières années de sa vie , il y revenait souvent, voir sa très vieille mère et travailler dans
1440 et travailler dans l’atelier qui avait été celui de son père. Il y est mort hier soir, puisse-t-il y reposer parmi les si
1441 . Mais ce jour-là, il triturait une mince colonne de terre et se plaignait — « c’est l’enfer ! », disait-il. De la matière
1442 et se plaignait — « c’est l’enfer ! », disait-il. De la matière fuyait entre ses doigts, s’effilait et refusait de remplir
1443 e fuyait entre ses doigts, s’effilait et refusait de remplir le volume normal d’un corps, d’une tête. « Cela s’allonge et
1444 ’effilait et refusait de remplir le volume normal d’ un corps, d’une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée ir
1445 refusait de remplir le volume normal d’un corps, d’ une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée irrésistible d
1446 allonge et s’amincit par une poussée irrésistible de bas en haut, rien à faire, c’est plus fort que moi… » Là-dessus des t
1447 es allés prendre un verre sur la terrasse du Café de la Poste, au grand soleil. J’écrivais à ce moment un livre sur la Sui
1448 moment un livre sur la Suisse, c’était la raison de mon passage, et nous avons parlé de notre pays, fraternisé dans un él
1449 ait la raison de mon passage, et nous avons parlé de notre pays, fraternisé dans un éloge immodéré de ses aspects variés e
1450 de notre pays, fraternisé dans un éloge immodéré de ses aspects variés et insolites, de l’Appenzell où Alberto avait fait
1451 loge immodéré de ses aspects variés et insolites, de l’Appenzell où Alberto avait fait son service et gagné un galon de bo
1452 Alberto avait fait son service et gagné un galon de bon tireur — moi aussi, je l’ai eu ! m’écriai-je — jusqu’à Soglio tou
1453 Et quel paysage autour de nous ! Le clocher aigu de l’église ; de maigres peupliers noueux sur des pentes bosselées et se
1454 ge autour de nous ! Le clocher aigu de l’église ; de maigres peupliers noueux sur des pentes bosselées et semées de rocher
1455 upliers noueux sur des pentes bosselées et semées de rochers, et tout en haut les futs très effilés du Piz Duan, des pics
1456 haut les futs très effilés du Piz Duan, des pics de la Sciora. Volcaniques ? Oui, bien sûr, et le père d’Alberto aimait à
1457 rce irrésistible allongeait vers le haut. Émotion de pressentir derrière l’œuvre, accident du génie humain, et ces acciden
1458 luriques, une même poussée profonde, une même loi de violence formatrice… ac. Rougemont Denis de, « Stampa, vieux villa
1459 oi de violence formatrice… ac. Rougemont Denis de , « Stampa, vieux village… », Gazette de Lausanne (supplément littérai
1460 ont Denis de, « Stampa, vieux village… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 15–16 janvier 1966, p. 13
22 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). André Breton à New York (8-9 octobre 1966)
1461 i qui avait été l’un des « phares » baudelairiens de notre adolescence loin de Paris, puis un symbole (refusé mais sacré)
1462 oin de Paris, puis un symbole (refusé mais sacré) de la révolte inefficace, aux yeux sévères des jeunes mouvements personn
1463 ements personnalistes où je militais, cessât tout d’ un coup d’être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dî
1464 sonnalistes où je militais, cessât tout d’un coup d’ être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dîner tête-à
1465 J’écrivais deux longs textes par jour : « La Voix de l’Amérique parle aux Français », et j’avais deux équipes d’« announce
1466 que parle aux Français », et j’avais deux équipes d’ « announcers » qui les lisaient en alternant les voix devant le micro 
1467 ils Pitoëff, et Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de quoi vivre sans la moindre compromission avec tous le
1468 Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de quoi vivre sans la moindre compromission avec tous les snobismes à l’
1469 ismes à l’affût.) Il se plaignit, très gentiment, de ce que durant nos années parisiennes, nous n’ayons pu, ou cru pouvoir
1470 ns pu, ou cru pouvoir, nous rencontrer. « Ce sont de ces conneries ! Et que l’on expie ! » (Beaucoup de lui dans ces quelq
1471 ucoup de lui dans ces quelques mots.) Il m’arrive de rêver que je m’entends au mieux avec tel homme, telle femme dont tout
1472 e, mon rêve est devenu vrai : nous parlons certes de ce qui peut nous rapprocher, l’amour-passion, les troubadours, la psy
1473 rs, la psychanalyse, Saint-John Perse, mais aussi de ce qui doit nous opposer de front : nos options politiques, morales e
1474 ohn Perse, mais aussi de ce qui doit nous opposer de front : nos options politiques, morales et religieuses. Et nous voici
1475 eligieuses. Et nous voici bientôt dans l’euphorie de la contestation en convergence heureuse ! À quelques jours de là, il
1476 tation en convergence heureuse ! À quelques jours de là, il me dit souhaiter que nous puissions désormais nous rencontrer
1477  mécaniquement en quelque sorte ». L’OWI eut ceci de bon de nous en assurer l’occasion quotidienne. Le culte d’une pierr
1478 quement en quelque sorte ». L’OWI eut ceci de bon de nous en assurer l’occasion quotidienne. Le culte d’une pierre bleue
1479 ous en assurer l’occasion quotidienne. Le culte d’ une pierre bleue Dès notre première vraie rencontre, j’avais découv
1480 e bien que personne ne parlera dans les centaines d’ articles à paraître ces prochains jours. C’est que Breton, pour toute
1481 on, pour toute la haine vigilante qu’il n’a cessé de vouer sa vie durant aux manifestations visibles et officielles du chr
1482 te la haine vigilante qu’il n’a cessé de vouer sa vie durant aux manifestations visibles et officielles du christianisme, é
1483 l me dit ce soir-là qu’il avait découvert au fond de l’échoppe d’un cordonnier dans le Morvan, les deux portraits se faisa
1484 oir-là qu’il avait découvert au fond de l’échoppe d’ un cordonnier dans le Morvan, les deux portraits se faisant face de la
1485 ans le Morvan, les deux portraits se faisant face de la mère Angélique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du j
1486 ts se faisant face de la mère Angélique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du jacobinisme dans la vénération d
1487 u jansénisme et du jacobinisme dans la vénération de l’artisan lui semblait des plus exaltants. Or, il n’est rien de commu
1488 ui semblait des plus exaltants. Or, il n’est rien de commun aux deux doctrines hors le grand ton de rigueur fanatique qui
1489 en de commun aux deux doctrines hors le grand ton de rigueur fanatique qui était l’un des aspects de la poésie selon Breto
1490 n de rigueur fanatique qui était l’un des aspects de la poésie selon Breton, autrement dit, de sa « religion ». Il en tira
1491 aspects de la poésie selon Breton, autrement dit, de sa « religion ». Il en tirait une morale ombrageuse, celle qui réglai
1492 orale ombrageuse, celle qui réglait absolument sa vie , et des décrets d’excommunication peu prévisibles, à grands éclats de
1493 lle qui réglait absolument sa vie, et des décrets d’ excommunication peu prévisibles, à grands éclats de voix soudains, en
1494 ’excommunication peu prévisibles, à grands éclats de voix soudains, en rejetant la tête en arrière, et la victime disparai
1495 ée jusqu’à l’âme. D’autres fois, il se contentait d’ un ou deux coups d’épingle très courtois, ou d’une épithète gouailleus
1496 ’autres fois, il se contentait d’un ou deux coups d’ épingle très courtois, ou d’une épithète gouailleuse, et le disciple f
1497 it d’un ou deux coups d’épingle très courtois, ou d’ une épithète gouailleuse, et le disciple flatté hier encore au-delà de
1498 lleuse, et le disciple flatté hier encore au-delà de ses plus folles espérances, s’en allait subitement dégonflé. (Combien
1499 rances, s’en allait subitement dégonflé. (Combien de poètes, et plus encore de peintres, n’ont jamais pu vraiment s’approu
1500 ment dégonflé. (Combien de poètes, et plus encore de peintres, n’ont jamais pu vraiment s’approuver dans leur cœur, parce
1501 e les avait pas admis et célébrés !) J’ai vu plus d’ une scène de ce genre aux réunions du groupe, d’ailleurs variable et q
1502 pas admis et célébrés !) J’ai vu plus d’une scène de ce genre aux réunions du groupe, d’ailleurs variable et quelque peu f
1503 assez fantasques qu’on eût dit nées des comédies de Shakespeare. On se rencontrait chez l’un ou l’autre, faute de terrass
1504 contrait chez l’un ou l’autre, faute de terrasses de café, une ou deux soirées par semaine, et l’on se livrait avec beauco
1505 on se livrait avec beaucoup de sérieux à des jeux d’ écriture ou de télépathie. Parfois, on arrangeait une fête (comme cell
1506 avec beaucoup de sérieux à des jeux d’écriture ou de télépathie. Parfois, on arrangeait une fête (comme celle qui fut dédi
1507 Part du diable ). J’allais chez lui, il me lisait de la poésie sur un ton d’emphase contenue, en marchant à grands pas dan
1508 is chez lui, il me lisait de la poésie sur un ton d’ emphase contenue, en marchant à grands pas dans son studio : « L’Europ
1509 ne. Ce pape-là ne le gênait pas : c’était un vers d’ Apollinaire. (Mais tout de même, la litanie du Christ aviateur, dans l
1510 l’Ode à Charles Fourier qu’il venait de recopier d’ une belle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fou
1511 l venait de recopier d’une belle écriture sage et d’ orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel i
1512 de recopier d’une belle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel intercess
1513 elle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel intercesseur : il insistait p
1514 travail et les plaisirs « réglés » des ouvriers, de l’utopie phalanstérienne. On eût dit qu’il était le premier à découvr
1515 u’il était le premier à découvrir ce jeune auteur d’ avant-garde ! « Ombre frénétique de Fourier, ombre frémissante de Flor
1516 e jeune auteur d’avant-garde ! « Ombre frénétique de Fourier, ombre frémissante de Flora Tristan, ombre délicieuse du Père
1517 « Ombre frénétique de Fourier, ombre frémissante de Flora Tristan, ombre délicieuse du Père Enfantin… une grande réparati
1518 s leurs outrances et tout ce qui procède chez eux de la griserie imaginative, on ne peut refuser d’accorder aux écrivains
1519 ux de la griserie imaginative, on ne peut refuser d’ accorder aux écrivains réformateurs de la première moitié du xixe siè
1520 eut refuser d’accorder aux écrivains réformateurs de la première moitié du xixe siècle, le bénéfice de l’extrême fraîcheu
1521 e la première moitié du xixe siècle, le bénéfice de l’extrême fraîcheur. » Jamais Breton ne s’est mieux défini. Je pense
1522 Je pense au soir où il déclara qu’il était temps d’ aller regarder de plus près qu’on ne l’avait fait saint Augustin, qu’i
1523 soudain devant Breton, qui marche lentement à pas de rêve. « Je pensais, me dit-il, à la religion qu’il faut absolument fo
1524 fonder, et pourquoi ne pas la fonder sur le culte d’ une pierre bleue ? » Changer la vie La grande contradiction qui
1525 sur le culte d’une pierre bleue ? » Changer la vie La grande contradiction qui a tendu l’arc d’une existence poétique
1526 vie La grande contradiction qui a tendu l’arc d’ une existence poétique si hautement exemplaire à tant d’égards, c’est
1527 existence poétique si hautement exemplaire à tant d’ égards, c’est qu’il voulait tout à la fois changer la vie par une sédi
1528 ds, c’est qu’il voulait tout à la fois changer la vie par une sédition passionnelle (« la beauté sera convulsive ou ne sera
1529 et libertaire, anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens bibelots, entre le dél
1530 dotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens bibelots, entre le délire et l’extrême rigueur il n’a jam
1531 e délire et l’extrême rigueur il n’a jamais cessé d’ inventer un chemin qui ne pouvait exister que pour lui seul. De person
1532 chemin qui ne pouvait exister que pour lui seul. De personne je ne suis à ce point sûr qu’il a toujours suivi — avec auta
1533 ce point sûr qu’il a toujours suivi — avec autant d’ audace que d’exacte obéissance aux signes devinés — ce qu’il faut bien
1534 qu’il a toujours suivi — avec autant d’audace que d’ exacte obéissance aux signes devinés — ce qu’il faut bien que j’appell
1535 es devinés — ce qu’il faut bien que j’appelle ici d’ un terme signifiant pour moi la relation d’un homme au transcendant, s
1536 le ici d’un terme signifiant pour moi la relation d’ un homme au transcendant, sa vocation. ad. Rougemont Denis de, « A
1537 ranscendant, sa vocation. ad. Rougemont Denis de , « André Breton à New York », Gazette de Lausanne (supplément littéra
1538 nt Denis de, « André Breton à New York », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 8–9 octobre 1966, p. 29.
23 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jacques Chenevière ou la précision des sentiments (22-23 octobre 1966)
1539 voulue… Furtifs retours : un visage, les parfums d’ une maison rustique ; une rue de Paris où l’on se hâte vers l’école ;
1540 is fort précises, car elles nous disent très bien de quoi parle ce livre4 mais aussi comment il en parle. Et c’est cela qu
1541 qui nous intéresse : Jacques Chenevière, écrivain de race, ne donne pas ici ses mémoires, c’est plutôt sa mémoire elle-mêm
1542 le auteur. Ces souvenirs ne seront donc pas faits de dates, d’événements et de justifications, comme ceux d’un homme publi
1543 Ces souvenirs ne seront donc pas faits de dates, d’ événements et de justifications, comme ceux d’un homme public, mais d’
1544 e seront donc pas faits de dates, d’événements et de justifications, comme ceux d’un homme public, mais d’images curieusem
1545 es, d’événements et de justifications, comme ceux d’ un homme public, mais d’images curieusement fixées et restituées après
1546 ustifications, comme ceux d’un homme public, mais d’ images curieusement fixées et restituées après un long développement i
1547 tirs ici ou là, où l’art le dispute au scrupule), de visions « furtives » mais aiguës, d’oublis révélateurs peut-être, obé
1548 u scrupule), de visions « furtives » mais aiguës, d’ oublis révélateurs peut-être, obéissant à la seule logique des sentime
1549 tre, obéissant à la seule logique des sentiments. D’ où le pouvoir émouvant de tant de ces pages. À vrai dire, il y a là de
1550 logique des sentiments. D’où le pouvoir émouvant de tant de ces pages. À vrai dire, il y a là deux ou trois livres mêlés,
1551 n peu comme dans le Nouveau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifi
1552 dans le Nouveau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifiante. Comme
1553 eau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifiante. Comme la plupart d
1554 re et signifiante. Comme la plupart des écrivains de notre pays — et très Suisse en cela du moins — Jacques Chenevière n’e
1555 n. Une seconde vocation le requiert, dès le seuil de l’âge d’homme ; elle menace souvent d’accaparer ses énergies aux dépe
1556 conde vocation le requiert, dès le seuil de l’âge d’ homme ; elle menace souvent d’accaparer ses énergies aux dépens de l’œ
1557 s le seuil de l’âge d’homme ; elle menace souvent d’ accaparer ses énergies aux dépens de l’œuvre personnelle, elle pourra
1558 mais finalement elle n’aura pas contaminé son art d’ écrire « pour le plaisir ». Je pense à des récits comme Valets, Reines
1559 e Valets, Reines, Rois, Daphné, ou la Jeune Fille de Neige, qui n’ont rien de philanthropique. (Ils ravissaient Valéry Lar
1560 aphné, ou la Jeune Fille de Neige, qui n’ont rien de philanthropique. (Ils ravissaient Valéry Larbaud, et c’est tout dire.
1561 Valéry Larbaud, et c’est tout dire.) Cette suite d’ une quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui
1562 t c’est tout dire.) Cette suite d’une quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui mettent en scène
1563 e suite d’une quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui mettent en scène tantôt l’auteur (surtout
1564 rantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui mettent en scène tantôt l’auteur (surtout dans sa jeunesse
1565 e, et jamais sans humour), tantôt des personnages de l’histoire politique et littéraire d’un passé proche, nous font passe
1566 personnages de l’histoire politique et littéraire d’ un passé proche, nous font passer et repasser sans transition de la pr
1567 che, nous font passer et repasser sans transition de la prose à la poésie, d’un salon de la Belle Époque éprise d’Art aux
1568 repasser sans transition de la prose à la poésie, d’ un salon de la Belle Époque éprise d’Art aux bureaux dramatiquement im
1569 ns transition de la prose à la poésie, d’un salon de la Belle Époque éprise d’Art aux bureaux dramatiquement improvisés de
1570 à la poésie, d’un salon de la Belle Époque éprise d’ Art aux bureaux dramatiquement improvisés de la naissante Agence des p
1571 prise d’Art aux bureaux dramatiquement improvisés de la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’un
1572 improvisés de la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’une
1573 la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’une inénarrable in
1574 ence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’ une adolescence parisienne à celle d’une inénarrable incorporation com
1575 l’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’ une inénarrable incorporation comme volontaire cycliste en culotte Sau
1576 olontaire cycliste en culotte Saumur et casquette de yachting dans l’armée suisse de 1914. Sans transition, mais non sans
1577 umur et casquette de yachting dans l’armée suisse de 1914. Sans transition, mais non sans art : après une scène nocturne d
1578 ion, mais non sans art : après une scène nocturne d’ un comique insidieux et digne du modèle, où l’on voit Proust lunaire,
1579 distrait et intense à la fois, paraître au seuil d’ un salon déserté, passé minuit, combien j’aime cet éclat, d’allégresse
1580 déserté, passé minuit, combien j’aime cet éclat, d’ allégresse solaire que fait la première phrase du chapitre suivant : L
1581 is le Vanéfort ! criée par le garde-chasse du mas de Campuget (près de Nîmes). « Bou Diou ! ce vent-là risque d’emporter m
1582 t (près de Nîmes). « Bou Diou ! ce vent-là risque d’ emporter même le soleil ! » Mais après le monde des enfances, entre le
1583 des enfances, entre le monde des lettres et celui de l’action — et l’on dirait ici qu’un nouveau livre se propose — quelqu
1584 ncieux exigent leur durée, leur chapitre : auprès d’ une jeune fille inconnue, dans une maison de campagne à vendre ; à tra
1585 agne à vendre ; à travers un paysage où « l’orage de mai, proche et grondant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût
1586 n paysage où « l’orage de mai, proche et grondant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût de silex » ; seul dans la n
1587 dant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût de silex » ; seul dans la nuit avec soi-même ; ou devant l’épreuve profo
1588 ables. L’agence des prisonniers Descriptions d’ une mémoire ; et ce qu’elle a gardé, et qui revit en ce recueil, va de
1589 qui revit en ce recueil, va devenir par la grâce d’ un art très sûr un peu de la mémoire de chaque lecteur. Je sais bien l
1590 r la grâce d’un art très sûr un peu de la mémoire de chaque lecteur. Je sais bien les images que je n’oublierai plus, que
1591 j’aimerais évoquer ici, mais beaucoup ne sont pas de celles que l’on peut désigner facilement, faites d’atmosphère, de sen
1592 celles que l’on peut désigner facilement, faites d’ atmosphère, de sentiment, et d’un regard imaginant. Presque rien n’eût
1593 on peut désigner facilement, faites d’atmosphère, de sentiment, et d’un regard imaginant. Presque rien n’eût été enregistr
1594 facilement, faites d’atmosphère, de sentiment, et d’ un regard imaginant. Presque rien n’eût été enregistré par l’objectif
1595 faciles à identifier historiquement. La création de l’Agence des prisonniers de guerre, dès l’automne de 1914. Notre cycl
1596 iquement. La création de l’Agence des prisonniers de guerre, dès l’automne de 1914. Notre cycliste volontaire rappelé à Ge
1597 l’Agence des prisonniers de guerre, dès l’automne de 1914. Notre cycliste volontaire rappelé à Genève par Gustave Ador, pr
1598 voir un admirable gilet blanc ») se trouve chargé de deux corbeilles de courrier affluant vers Genève des familles de sold
1599 ilet blanc ») se trouve chargé de deux corbeilles de courrier affluant vers Genève des familles de soldats disparus. « À G
1600 les de courrier affluant vers Genève des familles de soldats disparus. « À Genève, pour trouver mon fils » porte une envel
1601 tre : « À Gustave Adoré, Genève. » La marée monte de semaine en semaine, sans reflux. (Durant la Seconde Guerre mondiale,
1602 ours où l’Agence recevra 40 000 documents !) Plus de mille volontaires travaillent bientôt. Un jour on annonce à Chenevièr
1603 t comme frileux malgré un gros pardessus… Finesse d’ un visage presque sans couleur, posé sur un col haut, tout droit, empe
1604 it Romain Rolland. Il venait de publier Au-dessus de la Mêlée et vivait à Villeneuve, réaliste utopique, « en une sorte de
1605 t à Villeneuve, réaliste utopique, « en une sorte de sérénité meurtrie ». Mussolini et les raisins Plus tard, c’est
1606 ni et les raisins Plus tard, c’est à la veille de l’autre guerre mondiale, une délégation du CICR se rend à Rome pour e
1607 ne délégation du CICR se rend à Rome pour essayer de sauver les blessés bombardés par les Italiens en Éthiopie. Visite au
1608 a table — où je remarque soudain une coupe emplie de beaux raisins pâles. Il tient le menton haut… L’œil est impérieux, ma
1609 ixe on ne sait quel objet imaginaire bien au-delà de nos personnes, quoique l’attention soit évidente, concentrée. » Tout
1610 é, les délégués s’en vont. « Je ne pus me retenir de regarder, deux secondes par-dessus mon épaule : Mussolini, de dos, ét
1611 deux secondes par-dessus mon épaule : Mussolini, de dos, était arrêté devant la table officielle. Plus du tout cambré, il
1612 l (mais souvent trop rapides à mon gré, par excès de pudeur peut-être, ou comme si l’auteur redoutait de s’exposer trop lo
1613 pudeur peut-être, ou comme si l’auteur redoutait de s’exposer trop longtemps aux rayons du souvenir) rappellent les amis
1614 nir) rappellent les amis disparus, un beau groupe d’ écrivains de sa génération : Guy de Pourtalès parmi les pêcheurs du Lé
1615 ent les amis disparus, un beau groupe d’écrivains de sa génération : Guy de Pourtalès parmi les pêcheurs du Léman, ou à Ba
1616 Léman, ou à Bayreuth, Robert de Traz à la Revue de Genève (dont Chenevière fut codirecteur), Pierre Girard blotti dans
1617 cel Proust. La présentation du petit Jacques, âgé de 13 ans, à Sarah Bernhardt dans sa loge, puis leurs rencontres à Genèv
1618 Genève et à Paris, sont décrites dans le registre d’ un comique assez vif, mais l’amitié ou l’émotion président seules aux
1619 itié ou l’émotion président seules aux évocations de Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, p
1620 motion président seules aux évocations de Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, pour lequel
1621 es aux évocations de Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’ Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, pour lequel Chenevière a écrit le
1622 e Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, pour lequel Chenevière a écrit le livret des Premier
1623 e raconte avec une légèreté miraculeuse le séjour d’ un jeune homme amusé dans un château près de Strasbourg où l’accueille
1624 esse de Pourtalès et princesse Metternich — dames d’ antan, et qui furent de ces grandes corolles posées sur la prairie aup
1625 incesse Metternich — dames d’antan, et qui furent de ces grandes corolles posées sur la prairie auprès de l’Impératrice, d
1626 auprès de l’Impératrice, dans le tableau célèbre de Winterhalter. Le dialogue de ces deux dettes du Second Empire, l’une
1627 s le tableau célèbre de Winterhalter. Le dialogue de ces deux dettes du Second Empire, l’une « aux yeux couleur de beau te
1628 dettes du Second Empire, l’une « aux yeux couleur de beau temps », l’autre fumant sans cesse des petits cigares « qu’elle
1629 r composait Worth trente ans plus tôt pour un bal de la Cour (« Avouez que nous étions un peu rivales… »), s’élève jusqu’a
1630 lime dans la frivolité et touche aux ravissements d’ une poésie pure. Quels sont les secrets de l’écriture qui anime ainsi
1631 sements d’une poésie pure. Quels sont les secrets de l’écriture qui anime ainsi tant d’images, et si variées ? Allons les
1632 nt les secrets de l’écriture qui anime ainsi tant d’ images, et si variées ? Allons les rechercher dans les enfances et sur
1633 retenue parfois un peu rêveuse du Genevois, voilà de quoi se fait un style, unique dans nos lettres romandes. Entre le Pau
1634 s romandes. Entre le Paul Morand des descriptions de la Belle Époque, rapide, aigu, documenté jusqu’au dernier bouton de g
1635 , rapide, aigu, documenté jusqu’au dernier bouton de guêtre, et les ellipses un peu nippones des plus récents recueils de
1636 llipses un peu nippones des plus récents recueils de Jacques Chardonne, voici un art qui exprime son temps avec plus de te
1637 nne, voici un art qui exprime son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’au
1638 art qui exprime son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’autant mieux cha
1639 son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’ humour, et qui, pour moins griffer, d’autant mieux charme. Aux jeunes
1640 crupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’ autant mieux charme. Aux jeunes gens et jeunes filles d’aujourd’hui, j
1641 nt mieux charme. Aux jeunes gens et jeunes filles d’ aujourd’hui, j’aimerais dire qu’un tel livre transmet quelque chose qu
1642 u’un tel livre transmet quelque chose qui n’a pas de prix : les secrets de l’usage d’une civilisation. Je l’intitule par-d
1643 t quelque chose qui n’a pas de prix : les secrets de l’usage d’une civilisation. Je l’intitule par-devers moi la précision
1644 hose qui n’a pas de prix : les secrets de l’usage d’ une civilisation. Je l’intitule par-devers moi la précision des sentim
1645 u émouvant, qui est avec le mouvement et l’allure de la phrase, le sérieux de la littérature. Et tout le reste est linguis
1646 le mouvement et l’allure de la phrase, le sérieux de la littérature. Et tout le reste est linguistique, dirait Verlaine s’
1647 images, Éditions Rencontre. ae. Rougemont Denis de , « Jacques Chenevière ou la précision des sentiments », Gazette de La
1648 nevière ou la précision des sentiments », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 22–23 octobre 1966, p. 27
24 1967, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). J. Robert Oppenheimer (25 février 1967)
1649 it su mettre en œuvre avec vigueur dans un désert de rochers rouges, brûlé d’implacables soleils, les puissances les mieux
1650 c vigueur dans un désert de rochers rouges, brûlé d’ implacables soleils, les puissances les mieux calculées dans leur opér
1651 « plus clair que mille soleils », cet homme était d’ Europe par les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me donna
1652 e était d’Europe par les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me donnait l’impression de représenter parmi nous
1653 tés de sa pensée, mais il me donnait l’impression de représenter parmi nous quelque chose de bien plus ancien. Parfois, en
1654 mpression de représenter parmi nous quelque chose de bien plus ancien. Parfois, en l’écoutant, en le voyant de près, médit
1655 plus ancien. Parfois, en l’écoutant, en le voyant de près, méditatif, je songeais à la race du pharaon, fondateur dans cet
1656 race du pharaon, fondateur dans cet autre désert d’ El-Amarna, d’une cité du Soleil absolu : il en avait la sensitivité, l
1657 aon, fondateur dans cet autre désert d’El-Amarna, d’ une cité du Soleil absolu : il en avait la sensitivité, l’ossature dél
1658 nnant et ce sens mystique étranger à toute espèce de religion des prêtres. « Nous devons être absolument séculiers » insis
1659 rivit au réveil et le publia dans la petite revue de poésie d’avant-garde The Hound and the Horn. Infiniment scrupuleux, p
1660 éveil et le publia dans la petite revue de poésie d’ avant-garde The Hound and the Horn. Infiniment scrupuleux, par bonté,
1661 écouter comme personne, tout en vous enveloppant d’ un regard bleu qui allait interroger au-delà de vous-même. Il avait un
1662 nt d’un regard bleu qui allait interroger au-delà de vous-même. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu doulou
1663 un peu douloureux qu’il portait avec juste assez de gaucherie pour une impeccable élégance… af. Rougemont Denis de, « 
1664 r une impeccable élégance… af. Rougemont Denis de , « J. Robert Oppenheimer », Gazette de Lausanne (supplément littérair
1665 mont Denis de, « J. Robert Oppenheimer », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 25 février 1967, p. 29.
25 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Entretien avec Denis de Rougemont (6-7 avril 1968)
1666 Rougemont (6-7 avril 1968)ag ah La publication de Journal d’une époque de Denis de Rougemont constitue, actuellement,
1667 -7 avril 1968)ag ah La publication de Journal d’ une époque de Denis de Rougemont constitue, actuellement, l’un des év
1668 ag ah La publication de Journal d’une époque de Denis de Rougemont constitue, actuellement, l’un des événements les p
1669 ellement, l’un des événements les plus importants de la vie littéraire. Pour l’élaboration de ce dense recueil, qui groupe
1670 nt, l’un des événements les plus importants de la vie littéraire. Pour l’élaboration de ce dense recueil, qui groupe Le Pa
1671 portants de la vie littéraire. Pour l’élaboration de ce dense recueil, qui groupe Le Paysan du Danube , Journal d’un int
1672 cueil, qui groupe Le Paysan du Danube , Journal d’ un intellectuel en chômage , Journal des deux mondes , l’auteur a ent
1673 l des deux mondes , l’auteur a entamé une manière de dialogue avec son œuvre, ajoutant aux textes déjà publiés un bon quar
1674 re, ajoutant aux textes déjà publiés un bon quart d’ inédits. J’ai rencontré Denis de Rougemont dans sa maison de Ferney-Vo
1675 J’ai rencontré Denis de Rougemont dans sa maison de Ferney-Voltaire, qui est comme le signe sensible de la situation que
1676 Ferney-Voltaire, qui est comme le signe sensible de la situation que l’écrivain n’a cessé d’occuper dans la culture de no
1677 sensible de la situation que l’écrivain n’a cessé d’ occuper dans la culture de notre temps : à proximité, le regard rencon
1678 ue l’écrivain n’a cessé d’occuper dans la culture de notre temps : à proximité, le regard rencontre les champs et les arbr
1679 ité, le regard rencontre les champs et les arbres de la campagne genevoise ; à cinq minutes, cependant, vous avez Cointrin
1680 e. Pendant que j’écoutais la voix calme et lucide de Denis de Rougemont parler de l’Europe, de la personne, du langage, de
1681 voix calme et lucide de Denis de Rougemont parler de l’Europe, de la personne, du langage, de notre univers, des avions pa
1682 lucide de Denis de Rougemont parler de l’Europe, de la personne, du langage, de notre univers, des avions passant dans le
1683 t parler de l’Europe, de la personne, du langage, de notre univers, des avions passant dans le ciel apportaient comme un é
1684 ns passant dans le ciel apportaient comme un écho de la planète. Le principal morceau inédit, précise Denis de Rougemont,
1685 e 1932 , qui joint Paysan du Danube et Journal d’ un intellectuel en chômage . Ce texte reflète un point-charnière dans
1686 age . Ce texte reflète un point-charnière dans ma vie et mes préoccupations. C’est à ce moment-là, en effet, qu’avec plusie
1687 en effet, qu’avec plusieurs jeunes intellectuels de ma génération, j’ai découvert la crise où se trouvait la société. Des
1688 ements comme Esprit, L’Ordre nouveau témoignèrent de cette prise de conscience. Nous ne partions pas d’une insatisfaction
1689 e cette prise de conscience. Nous ne partions pas d’ une insatisfaction de notre sort. Nous pensions que la société où nous
1690 cience. Nous ne partions pas d’une insatisfaction de notre sort. Nous pensions que la société où nous vivions était fichue
1691 solution du principe communautaire. L’affirmation de principes de droit international ne servait, en fait, que les nationa
1692 rincipe communautaire. L’affirmation de principes de droit international ne servait, en fait, que les nationalismes. Dans
1693 us nous attachions à une doctrine très rigoureuse de la personne qui débouchait sur l’idée de la fédération de l’Europe, l
1694 goureuse de la personne qui débouchait sur l’idée de la fédération de l’Europe, liée à la notion d’une fédération des régi
1695 rsonne qui débouchait sur l’idée de la fédération de l’Europe, liée à la notion d’une fédération des régions, concept actu
1696 ée de la fédération de l’Europe, liée à la notion d’ une fédération des régions, concept actuellement repris d’ailleurs, mê
1697 ulle. À cette époque, l’opposition du fascisme et de la démocratie, pour des jeunes gens qui voulaient faire la révolution
1698 dictature stalinienne du parti, que la dictature de l’État, telle que l’incarnaient Hitler et Mussolini. Quels furent, au
1699 ent, au niveau des faits, les éléments importants de cet automne 1932 ? Beaucoup de choses sont sorties à ce moment-là : l
1700 s sont sorties à ce moment-là : le premier numéro de la revue Esprit , le premier numéro de Hic et Nunc , une revue de p
1701 er numéro de la revue Esprit , le premier numéro de Hic et Nunc , une revue de pensée existentielle que je dirigeais, en
1702 t , le premier numéro de Hic et Nunc , une revue de pensée existentielle que je dirigeais, en collaboration avec Roger Br
1703 Robert Aron et Alexandre Marc, le mouvement était d’ inspiration proudhonienne, avec quelques influences marxistes (du jeun
1704 , nous voulions laisser les choses dans leur état de tension. Quant à Esprit, son premier numéro manifestait une tendance
1705 éguyste, à dominante catholique. Quand le premier de Hic et Nunc parut, Mounier a trouvé que j’y allais un peu fort. Nou
1706 ois mouvements, n’ayant jamais voulu être l’homme d’ une seule secte. Peut-être adoptais-je, sans m’en douter une attitude
1707 s m’en douter une attitude suisse, par ma volonté de ménager des intermédiaires entre les cultures, en faisant connaître,
1708 nce, je dirai que l’on trouvait, chez Esprit plus de méfiance pour les réalités scientifiques et techniques, qui nous inté
1709 s intéressaient, à Hic et Nunc ai, comme moyens de libération de la personne. Nous étions également en relation avec Réa
1710 t, à Hic et Nunc ai, comme moyens de libération de la personne. Nous étions également en relation avec Réaction, un mouv
1711 également en relation avec Réaction, un mouvement d’ extrême droite où se trouvait Thierry Maulnier. En décembre 1932, la
1712 elle Revue française faisait paraître un Cahier de revendications , où s’exprimaient tous les mouvements partisans d’une
1713 , où s’exprimaient tous les mouvements partisans d’ une révolution. En reprenant une vue d’ensemble sur votre œuvre, avez-
1714 partisans d’une révolution. En reprenant une vue d’ ensemble sur votre œuvre, avez-vous relevé une évolution quant à votre
1715 ous relevé une évolution quant à votre conception de l’Europe ? Je dirai que dans ces journaux, qui ne sont pas des mémoir
1716 pas des mémoires et se tiennent à égale distance de la chronique et du journal intime, s’exprime l’évolution d’une sensib
1717 nique et du journal intime, s’exprime l’évolution d’ une sensibilité européenne, beaucoup plus que des positions idéologiqu
1718 est ainsi que, Suisse français, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français ne connai
1719 ue, Suisse français, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français ne connaissaient pas
1720 çais, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français ne connaissaient pas. On peut d’ail
1721  ; pensez à Roud et Jaccottet. Il existe un filon de romantisme allemand qui nous est très proche et, chose curieuse, la l
1722 age. J’ai d’ailleurs toujours, dans ma conception de la liberté, défendu la théorie de la pluralité des allégeances, de mê
1723 s ma conception de la liberté, défendu la théorie de la pluralité des allégeances, de même que le droit de faire partie de
1724 a pluralité des allégeances, de même que le droit de faire partie de plusieurs clubs. Je considère que ma patrie est Neuch
1725 allégeances, de même que le droit de faire partie de plusieurs clubs. Je considère que ma patrie est Neuchâtel, ma nation
1726 ma communauté spirituelle le protestantisme. Rien de tout cela n’a les mêmes frontières et il se produit là un jeu complex
1727 es frontières et il se produit là un jeu complexe d’ exclusions et d’inclusions, qui s’oppose d’une manière systématique à
1728 il se produit là un jeu complexe d’exclusions et d’ inclusions, qui s’oppose d’une manière systématique à toute idée de na
1729 mplexe d’exclusions et d’inclusions, qui s’oppose d’ une manière systématique à toute idée de nationalisme. Il faut multipl
1730 s’oppose d’une manière systématique à toute idée de nationalisme. Il faut multiplier les communautés d’aires différentes
1731 nationalisme. Il faut multiplier les communautés d’ aires différentes qui n’ont pas les mêmes bornes territoriales. Cette
1732 ciné. Je n’ai jamais senti la moindre gêne à être d’ un pays où j’ai des racines et à me sentir européen. La seule chose in
1733 sentir européen. La seule chose inadmissible est d’ être enfermé dans les frontières d’un État-nation. « L’orgueil nationa
1734 admissible est d’être enfermé dans les frontières d’ un État-nation. « L’orgueil national, a écrit Simone Weil, est loin de
1735 ienne. » Je suis très sensible aux particularités d’ un pays, d’une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la Fra
1736 suis très sensible aux particularités d’un pays, d’ une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la France. Main
1737 une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la France. Maintenir les contraires Dans la préface à votre livr
1738 t, ou bien l’on se projette en lui sous le masque d’ une relation toujours prête à fournir ses preuves d’objectivité. Ou éc
1739 une relation toujours prête à fournir ses preuves d’ objectivité. Ou écrire ou décrire, en somme… » Cette tension entre la
1740 it n’est-elle pas la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui
1741 elle pas la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui se retrou
1742 s la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui se retrouve à t
1743 ns un individu l’exigence spécifique, singulière, d’ une vocation et l’exigence communautaire. Dès 1932, je définissais la
1744 rsonne comme l’individu que sa vocation distingue de la masse et relie à la communauté. Maintenir dans sa pensée deux réal
1745 s l’une et l’autre, telle est pour moi la formule de base du fédéralisme. Maintenir les contraires, sans les subordonner e
1746 age une théorie générale du fédéralisme qui irait de la personne à la fédération mondiale. Je tiens aussi beaucoup, dans l
1747 up, dans le même esprit, à la nécessité conjointe de la pensée et de l’action ; « penser avec les mains » ou, comme je l’é
1748 esprit, à la nécessité conjointe de la pensée et de l’action ; « penser avec les mains » ou, comme je l’écris dans Journ
1749 ec les mains » ou, comme je l’écris dans Journal d’ un intellectuel en chômage  : « La pensée doit conduire l’action : mai
1750 e sous le soleil, je me sens encore tout imprégné de la sagesse, à la fois moderne et profonde, d’un maître authentique. M
1751 gné de la sagesse, à la fois moderne et profonde, d’ un maître authentique. Mais la réalité reprend vite ses droits : avant
1752 . Mais la réalité reprend vite ses droits : avant d’ emprunter l’autoroute, il me faut présenter ma carte d’identité au dou
1753 runter l’autoroute, il me faut présenter ma carte d’ identité au douanier ! L’Europe des politiciens n’est pas encore celle
1754 lle des intellectuels, mais une œuvre comme celle de Denis de Rougemont est là pour nous aider à ne pas désespérer complèt
1755 pour nous aider à ne pas désespérer complètement de l’esprit. ag. Rougemont Denis de, « [Entretien] Le Journal d’une
1756 complètement de l’esprit. ag. Rougemont Denis de , « [Entretien] Le Journal d’une époque  », Gazette de Lausanne (suppl
1757 ag. Rougemont Denis de, « [Entretien] Le Journal d’ une époque  », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne,
1758 « [Entretien] Le Journal d’une époque  », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 6–7 avril 1968, p. 27. a
1759 ar Henri-Charles Tauxe. ai. Il s’agit sans doute d’ une erreur de transcription : Rougemont se réfère ici à L’Ordre nouvea
1760 les Tauxe. ai. Il s’agit sans doute d’une erreur de transcription : Rougemont se réfère ici à L’Ordre nouveau, non à Hic
26 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut réinventer l’Université (29 juin 1968)
1761 uère encore), celui qui s’interroge sur le destin de l’Université commence par brider sévèrement son imagination, obsédé q
1762 ent des peuples. Mais subitement, après les nuits de mai du Quartier latin, ce qui était utopie devient nécessité, ce que
1763 ce que l’on qualifiait avec un sourire indulgent de Zukunftsmusik devient urgence (peut-être même est-il trop tard), et c
1764 ence (peut-être même est-il trop tard), et chacun d’ affirmer qu’il l’avait toujours dit… Sans plus de précautions, et pour
1765 t non (le débat des pour et des contre) mise à la mode par le maître à penser des jeunes gens de l’époque, Abélard. La subst
1766 à la mode par le maître à penser des jeunes gens de l’époque, Abélard. La substance de cette Université est donc la dispu
1767 es jeunes gens de l’époque, Abélard. La substance de cette Université est donc la disputatio, confrontation permanente et
1768 êmes, théologiques, philosophiques et juridiques, de la société. À côté de cela et avant cela (propédeutique) on enseigne
1769 rts, et réussissent à tout savoir.) En fonction d’ un certain sens de la vie 2. Au sens du mot que je viens de définir
1770 t à tout savoir.) En fonction d’un certain sens de la vie 2. Au sens du mot que je viens de définir, l’Université n’e
1771 ut savoir.) En fonction d’un certain sens de la vie 2. Au sens du mot que je viens de définir, l’Université n’existe p
1772 ersité n’existe plus. Ce qu’on persiste à décorer de ce nom n’est que la juxtaposition d’une quantité variable d’écoles pr
1773 te à décorer de ce nom n’est que la juxtaposition d’ une quantité variable d’écoles professionnelles, dites facultés, desti
1774 ’est que la juxtaposition d’une quantité variable d’ écoles professionnelles, dites facultés, destinées à former des avocat
1775 ices administratifs et leur dépendance financière d’ un même État. À part cela, elles n’ont plus rien à se dire, ni au fond
1776 rits et les activités : elle aurait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom d
1777 ivités : elle aurait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle so
1778 rait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle soit amenée à cont
1779 t amenée à contester les finalités productivistes de la plupart des écoles. 4. Les méthodes, elles aussi, sont différentes
1780 itiative créatrice donc risquée. Là, on s’efforce de « s’adapter aux besoins de la société », ici, on chercherait plutôt l
1781 quée. Là, on s’efforce de « s’adapter aux besoins de la société », ici, on chercherait plutôt les moyens d’adapter la soci
1782 société », ici, on chercherait plutôt les moyens d’ adapter la société à un certain Sens… 5. Une école doit normalement dé
1783 ucher sur un job. Elle doit donc, comme le dit un de nos magistrats, « favoriser une meilleure connaissance des débouchés 
1784 lleure connaissance des débouchés ». Mais le rôle d’ une Université digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs dé
1785 rôle d’une Université digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs débouchés sur la connaissance. 6. Celui qui ve
1786 niversité digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs débouchés sur la connaissance. 6. Celui qui veut apprendre
1787 t apprendre un métier pour en vivre n’a que faire de la contestation. Et celui qui entend contester la société n’a que fai
1788 lui qui entend contester la société n’a que faire d’ une « étude des débouchés ». Cependant, avant de contester la société,
1789 ant, avant de contester la société, il serait bon de la connaître par l’une au moins de ses activités. L’école professionn
1790 il serait bon de la connaître par l’une au moins de ses activités. L’école professionnelle ou faculté doit donc précéder
1791 , et l’une ne peut se désintéresser des problèmes de l’autre. 7. Je propose que l’on traite ces problèmes par la méthode
1792 finition chinoise du fédéralisme : « La rencontre de l’oreille et des bruits. » Définition courante en Suisse mais fausse 
1793 ion des moyens aux fins, c’est-à-dire des niveaux de décision aux finalités des différentes tâches qu’on se propose. 9. L
1794 x étages communautaires correspondants. Une école de médecine peut être trop grande pour tel canton, une école polytechniq
1795 que pour tel autre : elles exigent la coopération de plusieurs cantons, ou la dimension nationale. De même, les recherches
1796 tte méthode, la seule à mon avis qui ait le droit de se réclamer du fédéralisme. 10. Pourquoi des universités ? Question u
1797 lence, et qui définit même la fonction spécifique de l’Université : une école, en effet, ne saurait se la poser. Il faut l
1798 la poser. Il faut l’Université parce qu’un centre de contestation est indispensable à toute société de type européen, d’un
1799 de contestation est indispensable à toute société de type européen, d’une part pour faire progresser le savoir (recherches
1800 ur faire progresser le savoir (recherches au-delà de l’usage prévisible et sans tenir compte des « besoins de l’économie »
1801 age prévisible et sans tenir compte des « besoins de l’économie »), d’autre part pour orienter la société, c’est-à-dire fo
1802 ersité doit donc comprendre deux genres ou ordres d’ activité distincts mais reliés : les recherches et la contestation. Da
1803 on se livrera à une perpétuelle mise en question de chaque discipline par les autres (et c’est ce qu’on peut nommer : rec
1804 interdisciplinaire). 12. Les dimensions optimales d’ un groupe de recherche sont restées celles d’un studium médiéval : dix
1805 inaire). 12. Les dimensions optimales d’un groupe de recherche sont restées celles d’un studium médiéval : dix à quinze ét
1806 ales d’un groupe de recherche sont restées celles d’ un studium médiéval : dix à quinze étudiants pour un maître. Ces group
1807 tre. Ces groupes pouvant se combiner librement et de manières variables, en départements, selon la nature des recherches.
1808 ra doivent être conservés : ainsi quand il s’agit d’ exposer les recherches inédites qu’un maître est en train de faire et
1809 train de faire et qui peuvent intéresser beaucoup d’ étudiants. Une fois la recherche terminée et « enseignée » une ou deux
1810 deux fois, on remplacera le cours par des groupes de discussion sur le texte polycopié et plus tard, publié. 14. Un profes
1811 ences humaines) sont peu coûteuses, demandent peu d’ espace, et peuvent s’organiser n’importe où, à la campagne, dans un vi
1812 eignants et étudiants est donc indispensable à la vie d’une Université digne du nom. 16. Il ne faut pas redouter qu’une te
1813 ants et étudiants est donc indispensable à la vie d’ une Université digne du nom. 16. Il ne faut pas redouter qu’une tensi
1814 é. Ce qu’il faut redouter, c’est la subordination de la recherche aux besoins de la société et notamment de son industrie.
1815 ’est la subordination de la recherche aux besoins de la société et notamment de son industrie. Car une société, de même qu
1816 recherche aux besoins de la société et notamment de son industrie. Car une société, de même qu’une science ou une techniq
1817 Université subordonnée à la société, donc privée de liberté dans la critique et de gratuité dans l’imagination, cesserait
1818 ciété, donc privée de liberté dans la critique et de gratuité dans l’imagination, cesserait du même coup d’être une Univer
1819 atuité dans l’imagination, cesserait du même coup d’ être une Université, et n’aurait plus qu’à disparaître. 17. Une Univer
1820 Une Université digne du nom, dont le rôle serait d’ orienter les options fondamentales de notre société, en fonction d’un
1821 rôle serait d’orienter les options fondamentales de notre société, en fonction d’un certain Sens de la vie (à découvrir,
1822 tions fondamentales de notre société, en fonction d’ un certain Sens de la vie (à découvrir, assumer, critiquer et rénover
1823 s de notre société, en fonction d’un certain Sens de la vie (à découvrir, assumer, critiquer et rénover sans relâche), red
1824 otre société, en fonction d’un certain Sens de la vie (à découvrir, assumer, critiquer et rénover sans relâche), redeviendr
1825 ans relâche), redeviendrait immédiatement un pôle de création et de rayonnement culturel. Ce que ne peuvent être, bien évi
1826 edeviendrait immédiatement un pôle de création et de rayonnement culturel. Ce que ne peuvent être, bien évidemment, ces en
1827 re, bien évidemment, ces encombrants conglomérats d’ écoles professionnelles (ou facultés) que l’on s’obstine encore à nomm
1828 lles (ou facultés) — mais éliminer ce qui empêche d’ exister bien (le micronationalisme cantonal, notamment) et ce qui fait
1829 routines, vanités, ignorance surtout, sans parler de la peur d’imaginer). Par-dessus tout cela, il faut réinventer une Uni
1830 anités, ignorance surtout, sans parler de la peur d’ imaginer). Par-dessus tout cela, il faut réinventer une Université dig
1831 conomie, et la société tout entière sont menacées de perdre le sens, en même temps que les moyens de s’en apercevoir. 5
1832 s de perdre le sens, en même temps que les moyens de s’en apercevoir. 5. Voir notamment mon discours prononcé devant le
1833 ttéraire, en novembre 1964. aj. Rougemont Denis de , « Il faut réinventer l’université », Gazette de Lausanne (supplément
1834 de, « Il faut réinventer l’université », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 29 juin 1968, p. 29.
27 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’écrivain et l’événement (7-8 septembre 1968)
1835 e 1968)ak J’ai longtemps réfléchi aux rapports de l’écrivain et de l’événement se définissant l’un par l’autre, se mett
1836 longtemps réfléchi aux rapports de l’écrivain et de l’événement se définissant l’un par l’autre, se mettant l’un l’autre
1837 urs possible. Depuis ce temps lointain, la notion d’ engagement a fait demi-tour dans l’esprit du public : on croit bonneme
1838 ’en est remis une fois pour toutes à la politique d’ un parti, quand il s’agit de prendre une position publique. L’engageme
1839 toutes à la politique d’un parti, quand il s’agit de prendre une position publique. L’engagement supposait à mon sens tout
1840 use mais aimante et, à l’extrême, sacrificielle — d’ une personne et de sa pensée en corps à corps avec l’époque. « Présenc
1841 t, à l’extrême, sacrificielle — d’une personne et de sa pensée en corps à corps avec l’époque. « Présence au monde et à so
1842 si j’ose dire, moral, philosophique et religieux. De l’intime à l’ultime, il supposait un passage obligé par le « proxime 
1843 dire la cité humaine, et ce passage était le lieu de l’engagement. Est-il encore praticable ? Autrement dit : quelle peut
1844 urd’hui, au fait et au prendre, la responsabilité de l’écrivain dans la cité ? ⁂ Responsable est celui qui peut dire, dans
1845 , dans une situation donnée : j’en réponds ! Mais de quoi l’écrivain comme tel peut-il répondre, sinon de son œuvre elle-m
1846 quoi l’écrivain comme tel peut-il répondre, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuv
1847 l peut-il répondre, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuvre et non par quelque pr
1848 re, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuvre et non par quelque prise de position
1849 le ? C’est par son œuvre et non par quelque prise de position occasionnelle face à l’événement historique qu’un écrivain e
1850 it, dans le concret vécu, il n’y a pas l’écrivain d’ un côté et l’événement de l’autre, deux objets qu’on pourrait isoler,
1851 il n’y a pas l’écrivain d’un côté et l’événement de l’autre, deux objets qu’on pourrait isoler, séparer ou rapprocher à v
1852 stoire lui attribue — Histoire qui est le produit de l’écriture ! Nul écrivain digne du nom qui ne soit par lui-même événe
1853 vénement, et dont l’œuvre ne constitue une partie de la réalité qu’il croit décrire quand il l’écrit… ⁂ On ne peut donc pa
1854 re quand il l’écrit… ⁂ On ne peut donc parler que de différents modes de relations entre l’œuvre et l’époque. Pour simplif
1855 écrit… ⁂ On ne peut donc parler que de différents modes de relations entre l’œuvre et l’époque. Pour simplifier, je distingue
1856 ⁂ On ne peut donc parler que de différents modes de relations entre l’œuvre et l’époque. Pour simplifier, je distinguerai
1857 que. Pour simplifier, je distinguerai trois types d’ auteurs qui se définissent par leur rapport à l’événement : le ludion,
1858 ficiels ou profonds et en formation, sans essayer d’ agir sur eux, soit qu’il n’en ait aucune envie, soit qu’il désespère d
1859 qu’il n’en ait aucune envie, soit qu’il désespère d’ en avoir les moyens, ou nie que ces moyens puissent même exister. La p
1860 la limite inférieure serait symbolisée par le nom de Françoise Sagan, ludion des moods à la mode, et la limite supérieure
1861 le nom de Françoise Sagan, ludion des moods à la mode , et la limite supérieure par le nom de Franz Kafka, révélateur par l’
1862 ods à la mode, et la limite supérieure par le nom de Franz Kafka, révélateur par l’angoisse du syndrome totalitaire tel qu
1863 aste Land, sans le témoignage desquels la société de l’époque n’eût pas eu son portrait tiré, et n’eût assumé devant l’His
1864 nt l’Histoire son visage et son style, conditions de l’événement. 2. Le contestateur réagit contre l’époque et l’événement
1865 s et attitudes dominées par une volonté viscérale de refus et de négation d’un certain type de société, ou de toute sociét
1866 es dominées par une volonté viscérale de refus et de négation d’un certain type de société, ou de toute société humaine. O
1867 par une volonté viscérale de refus et de négation d’ un certain type de société, ou de toute société humaine. On peut conte
1868 scérale de refus et de négation d’un certain type de société, ou de toute société humaine. On peut contester comme Érasme
1869 s et de négation d’un certain type de société, ou de toute société humaine. On peut contester comme Érasme et Voltaire, ou
1870 peut contester comme Érasme et Voltaire, ou comme d’ Aubigné et Chesterton, mais aussi comme Kierkegaard ou Rozanov, Unamun
1871 ket, Ionesco et Cioran, c’est-à-dire par le style de pensée polémique, le style de foi ou d’athéisme, l’imprécation lyriqu
1872 à-dire par le style de pensée polémique, le style de foi ou d’athéisme, l’imprécation lyrique ou le masochisme transcendan
1873 le style de pensée polémique, le style de foi ou d’ athéisme, l’imprécation lyrique ou le masochisme transcendantal : tout
1874 ême, indifférent, mais par le contenu idéologique d’ un discours dont l’efficacité immédiate suffira. 3. Quant au prophète,
1875 nomment l’utopiste, c’est toute la grande poésie d’ Isaïe à l’Apocalypse, d’Eschyle à Dante, de Hölderlin à Nietzsche et à
1876 st toute la grande poésie d’Isaïe à l’Apocalypse, d’ Eschyle à Dante, de Hölderlin à Nietzsche et à Rimbaud, mais c’est aus
1877 poésie d’Isaïe à l’Apocalypse, d’Eschyle à Dante, de Hölderlin à Nietzsche et à Rimbaud, mais c’est aussi toute l’imaginat
1878 t à Rimbaud, mais c’est aussi toute l’imagination de la « vraie vie », de Thomas More et Tommaso Campanella à Swift, Rouss
1879 ais c’est aussi toute l’imagination de la « vraie vie  », de Thomas More et Tommaso Campanella à Swift, Rousseau et Saint-Si
1880 st aussi toute l’imagination de la « vraie vie », de Thomas More et Tommaso Campanella à Swift, Rousseau et Saint-Simon, F
1881 ndu — mais l’ai-je assez laissé entendre — il y a de tout dans chaque catégorie, cela va du pire au meilleur, mais le meil
1882 té Finalement, ce que la société peut attendre de l’écrivain confronté à sa crise et à l’événement, c’est la donation d
1883 té à sa crise et à l’événement, c’est la donation d’ une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de mod
1884 ment, c’est la donation d’une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent «
1885 la donation d’une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens pl
1886 création de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mots de la tribu »
1887 éation de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mots de la tribu », et i
1888 de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mots de la tribu », et inst
1889 de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mots de la tribu », et instaurent ou restaurent une communauté. Cela comporte
1890 ne communauté. Cela comporte bien autre chose que de signer ou même d’écrire des manifestes en faveur des victimes d’un ré
1891 a comporte bien autre chose que de signer ou même d’ écrire des manifestes en faveur des victimes d’un régime et au nom d’u
1892 me d’écrire des manifestes en faveur des victimes d’ un régime et au nom d’un autre régime qui ferait pire s’il le pouvait.
1893 omporte aussi l’éloge et le chant, l’illustration d’ une communauté et d’une autorité heureuse : « Sur trois grandes saison
1894 e et le chant, l’illustration d’une communauté et d’ une autorité heureuse : « Sur trois grandes saisons m’établissant avec
1895 j’ai fondé ma loi. » (Saint-John Perse.) Paroles de poète, paroles de prophète, c’est autant dire de fondateur. Ce que l’
1896 . » (Saint-John Perse.) Paroles de poète, paroles de prophète, c’est autant dire de fondateur. Ce que l’écrivain doit au m
1897 de poète, paroles de prophète, c’est autant dire de fondateur. Ce que l’écrivain doit au monde et à l’événement, c’est de
1898 l’écrivain doit au monde et à l’événement, c’est de les créer. Et ce qu’il faut attendre du meilleur écrivain, c’est qu’i
1899 onverger dans son œuvre le sentiment baudelairien de son époque, la révolte contre elle de tout homme qui se veut tel, et
1900 audelairien de son époque, la révolte contre elle de tout homme qui se veut tel, et l’annonce admirable d’un monde équilib
1901 out homme qui se veut tel, et l’annonce admirable d’ un monde équilibré. ak. Rougemont Denis de, « L’écrivain et l’évén
1902 ble d’un monde équilibré. ak. Rougemont Denis de , « L’écrivain et l’événement », Gazette de Lausanne (supplément litté
1903 Denis de, « L’écrivain et l’événement », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 7–8 septembre 1968, p. 35
28 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Vers l’Europe des régions [Entretien]
1904 l’Europe des régions [Entretien]al am Rentrant d’ Amérique après la guerre, j’avais compris qu’il était indispensable d’
1905 guerre, j’avais compris qu’il était indispensable d’ unir les Européens. Non seulement nous-mêmes, mais les Américains auss
1906 s-mêmes, mais les Américains aussi, avions besoin de cette union, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’équilibre, de mesure
1907 ions besoin de cette union, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’équilibre, de mesure que représentait notre vieux continen
1908 de cette union, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’ équilibre, de mesure que représentait notre vieux continent. En août 1
1909 n, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’équilibre, de mesure que représentait notre vieux continent. En août 1947 on est ve
1910 x continent. En août 1947 on est venu me demander de parler à un congrès de fédéralistes européens à Montreux où j’ai pron
1911 47 on est venu me demander de parler à un congrès de fédéralistes européens à Montreux où j’ai prononcé un discours inaugu
1912 urs inaugural : j’étais engagé. Puis j’ai accepté de m’occuper de la partie culturelle du Mouvement européen. À partir du
1913  : j’étais engagé. Puis j’ai accepté de m’occuper de la partie culturelle du Mouvement européen. À partir du congrès de La
1914 urelle du Mouvement européen. À partir du congrès de La Haye en 1948 je me suis beaucoup penché sur ce problème de l’union
1915 n 1948 je me suis beaucoup penché sur ce problème de l’union des Européens sur la base d’une unité déjà existante. Je fais
1916 ce problème de l’union des Européens sur la base d’ une unité déjà existante. Je fais une distinction entre unité et union
1917 eut bâtir. Non pas une uniformité mais un certain mode de contacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisati
1918 âtir. Non pas une uniformité mais un certain mode de contacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisation
1919 in mode de contacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisation est la condition sine qua non d’une union
1920 tacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisation est la condition sine qua non d’une union économique et
1921 et de civilisation est la condition sine qua non d’ une union économique et politique. J’ai donc créé le Centre européen d
1922 avons réuni pour la première fois les directeurs d’ administration d’agences atomiques de six pays avec le concours de l’U
1923 la première fois les directeurs d’administration d’ agences atomiques de six pays avec le concours de l’Unesco pour créer
1924 s directeurs d’administration d’agences atomiques de six pays avec le concours de l’Unesco pour créer un laboratoire europ
1925 d’agences atomiques de six pays avec le concours de l’Unesco pour créer un laboratoire européen de recherches nucléaires.
1926 rs de l’Unesco pour créer un laboratoire européen de recherches nucléaires. Le CERN a été la réalisation de cette première
1927 cherches nucléaires. Le CERN a été la réalisation de cette première initiative de notre centre. Nous avons fondé une Assoc
1928 a été la réalisation de cette première initiative de notre centre. Nous avons fondé une Association des festivals de musiq
1929 e. Nous avons fondé une Association des festivals de musique européens que je préside tout à fait par hasard. Nous avons c
1930 it par hasard. Nous avons coordonné les instituts d’ études européennes qui étaient en train de se constituer dans différen
1931 pris contact avec des historiens, des professeurs d’ enseignement secondaire, des éditeurs. Nous avons d’autre part lancé u
1932 avons d’autre part lancé une Campagne européenne d’ éducation civique qui cherche à introduire l’angle de vision européen
1933 ducation civique qui cherche à introduire l’angle de vision européen dans la leçon d’histoire, de géographie, de langues.
1934 troduire l’angle de vision européen dans la leçon d’ histoire, de géographie, de langues. Je souhaiterais que tombent en dé
1935 ngle de vision européen dans la leçon d’histoire, de géographie, de langues. Je souhaiterais que tombent en désuétude les
1936 européen dans la leçon d’histoire, de géographie, de langues. Je souhaiterais que tombent en désuétude les grands États-na
1937 péenne sur la base des régions, puisque vingt ans de tentatives de rapprochement n’ont abouti à rien sur le plan politique
1938 base des régions, puisque vingt ans de tentatives de rapprochement n’ont abouti à rien sur le plan politique. Cette situat
1939 evenant ainsi eux-mêmes l’obstacle à toute espèce d’ union. On ne peut bâtir une union de l’Europe sur les obstacles à tout
1940 toute espèce d’union. On ne peut bâtir une union de l’Europe sur les obstacles à toute union ! Notre espoir réside dans u
1941 se dessine en France un grand mouvement qui vient d’ être appuyé par de Gaulle pour diviser le pays en un certain nombre de
1942 Gaulle pour diviser le pays en un certain nombre de régions. Je pense qu’on finira par se mettre d’accord assez vite pour
1943 ’accord assez vite pour la France sur une dizaine de régions, plus Paris. Notre idée de fédéralistes européens est que ces
1944 ur une dizaine de régions, plus Paris. Notre idée de fédéralistes européens est que ces régions, définies surtout par l’éc
1945 ure et quelquefois par l’ethnie comme dans le cas de la Bretagne ou de la Catalogne. Le problème n° 1 de l’Europe, c’est l
1946 par l’ethnie comme dans le cas de la Bretagne ou de la Catalogne. Le problème n° 1 de l’Europe, c’est l’union. Si l’union
1947 la Bretagne ou de la Catalogne. Le problème n° 1 de l’Europe, c’est l’union. Si l’union de l’Europe ne se fait pas, nous
1948 blème n° 1 de l’Europe, c’est l’union. Si l’union de l’Europe ne se fait pas, nous serons colonisés par le dollar et peut-
1949 xiste — quoique cela soit moins sûr. Mais le fait de ne plus être maîtres de notre destinée économique entraînerait une qu
1950 t moins sûr. Mais le fait de ne plus être maîtres de notre destinée économique entraînerait une quantité de conséquences s
1951 tre destinée économique entraînerait une quantité de conséquences sur le plan culturel. Cela entraînerait une chute de pot
1952 sur le plan culturel. Cela entraînerait une chute de potentiel européen considérable, dont finalement le monde entier subi
1953 usqu’au moment où de Gaulle a annoncé sa décision de dissoudre le Sénat pour le remplacer par une assemblée élue par les r
1954 plus concerné par la centralisation, grand nombre de jeunes sociologues et économistes français s’étant penchés sur ce pro
1955 ne solide fédération européenne. Ce sera le point d’ accrochage d’une organisation mondiale. Sans doute d’ici à dix ou quin
1956 ération européenne. Ce sera le point d’accrochage d’ une organisation mondiale. Sans doute d’ici à dix ou quinze ans serons
1957 es — qui seront de plus en plus les vrais centres de la production et de la vie intellectuelle et auront entre elles des l
1958 lus en plus les vrais centres de la production et de la vie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natur
1959 plus les vrais centres de la production et de la vie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natures. Ell
1960 ie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natures. Elles constitueront de proche en proche un tissu plus
1961 des liens de toutes natures. Elles constitueront de proche en proche un tissu plus solide que leurs liens avec les États-
1962 les problèmes mondiaux dépendent en grande partie de la solution des problèmes européens, c’est que l’unité du genre humai
1963 le du genre humain en découvrant les possibilités de fraternité universelle : « Désormais, disait saint Paul, il n’y a plu
1964 a plus ni Juifs ni Grecs. » Cette responsabilité de l’Europe s’oppose aux racismes et aux guerres d’extermination de race
1965 de l’Europe s’oppose aux racismes et aux guerres d’ extermination de races. Les problèmes les plus importants sont à la ra
1966 ppose aux racismes et aux guerres d’extermination de races. Les problèmes les plus importants sont à la racine d’ordre phi
1967 es problèmes les plus importants sont à la racine d’ ordre philosophique ou religieux. Il s’agit de transposer sur les plan
1968 ine d’ordre philosophique ou religieux. Il s’agit de transposer sur les plans économique et politique les conséquences des
1969 ses que l’on croit justes. al. Rougemont Denis de , « [Entretien] Vers l’Europe des régions », Gazette de Lausanne (supp
1970  [Entretien] Vers l’Europe des régions », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 5–6 octobre 1968, p. 25.
1971 Roux-Petel. Cet entretien, qui prend ici la forme d’ un long propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses,
1972 prend ici la forme d’un long propos rapporté, non d’ un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau s
1973 forme d’un long propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau suivant : « Le
1974 propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau suivant : « Les récents pourpa
1975 éens. À cette occasion nous présentons l’activité de Denis de Rougemont dans ce domaine, et son point de vue recueilli lor
1976 ns ce domaine, et son point de vue recueilli lors d’ une interview. Denis de Rougemont sera l’un des conférenciers qui parl
1977 r la Gazette littéraire. Le programme est composé de telle façon que tous les grands problèmes d’actualité seront traités
1978 posé de telle façon que tous les grands problèmes d’ actualité seront traités par d’éminents spécialistes en matière politi
1979 s grands problèmes d’actualité seront traités par d’ éminents spécialistes en matière politique et culturelle. »
29 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jean Paulhan (19-20 octobre 1968)
1980 être en 1937, 1938, je rejoignis dans l’escalier de la NRF Henry Michaux, qui me dit en s’arrêtant sur le dernier palie
1981 osons ces deux phrases en couronne sur le tombeau de notre ami. Telle était notre attente et sa folle exigence ; en ce tem
1982 me nous l’apprirent beaucoup plus tard les Fleurs de Tarbes !) Il n’avait encore publié que deux ou trois petits livres un
1983 son autorité se fondait ailleurs : dans le style de la NRF . Ce n’était pas le sien, bien entendu, il ne récrivait pas n
1984 du, il ne récrivait pas nos textes, mais le style de chacun des auteurs de la revue n’eût pas été tout à fait le même sans
1985 s nos textes, mais le style de chacun des auteurs de la revue n’eût pas été tout à fait le même sans sa présence et sans s
1986 sans son attention. Il était à lui seul notre air de parenté, si différents ou opposés que nous fussions. C’est le seul di
1987 pposés que nous fussions. C’est le seul directeur de revue littéraire qui ait jamais montré dans cet emploi ce qu’il faut
1988 presse, depuis vingt ans, s’obstine à le traiter d’ éminence grise de nos lettres. Il était tout le contraire : un maître
1989 ingt ans, s’obstine à le traiter d’éminence grise de nos lettres. Il était tout le contraire : un maître socratique, indem
1990 tout le contraire : un maître socratique, indemne de toute secrète volonté de puissance, attentif à ne rien nous imposer q
1991 ître socratique, indemne de toute secrète volonté de puissance, attentif à ne rien nous imposer qui ne fût ce qu’il avait
1992 en trop curieux pour être autoritaire, il n’avait de goût que pour nos singularités (que d’autres nommeraient vocations) e
1993 uer ou débusquer par des questions à l’improviste d’ une mystifiante naïveté — comme il lui arrivait de s’en poser à lui-mê
1994 d’une mystifiante naïveté — comme il lui arrivait de s’en poser à lui-même, et parfois d’y répondre par un opuscule. « Ah 
1995 lui arrivait de s’en poser à lui-même, et parfois d’ y répondre par un opuscule. « Ah ! je suis bien déçu, me disait-il un
1996 e me suis appliqué à relire Cicéron dans l’espoir de le trouver surréaliste, eh bien, non, c’est décidément très ennuyeux…
1997 (Son humour bref était sans doute aussi une façon de couper court aux confidences, plaintes et intrigues qui assiègent en
1998 siègent en permanence un directeur.) Chaque jour, d’ un large bec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier
1999 anence un directeur.) Chaque jour, d’un large bec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier vert frappées d
2000 ec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier vert frappées du monogramme fameux des dizaines de billets de
2001 r vert frappées du monogramme fameux des dizaines de billets de quelques lignes aux collaborateurs de la revue : c’était t
2002 pées du monogramme fameux des dizaines de billets de quelques lignes aux collaborateurs de la revue : c’était toujours vif
2003 de billets de quelques lignes aux collaborateurs de la revue : c’était toujours vif et pressant, et tout à trac ; comme l
2004 if et pressant, et tout à trac ; comme la reprise d’ un entretien interrompu par un coup de téléphone. Il dictait à sa femm
2005 la reprise d’un entretien interrompu par un coup de téléphone. Il dictait à sa femme les lettres moins intimes. Germaine
2006 . Germaine et Jean, dans ce petit bureau mansardé de la maison Gallimard, faisaient seuls, à eux deux, cette NRF qui a m
2007 raire comme nulle autre revue, nulle autre école. De 1925 à 1940, à je ne sais quelles exceptions près, ce qui a compté da
2008 nte mais nécessaire, qu’on avait quelques chances d’ exister. J’ai retrouvé la première lettre qu’il m’ait écrite, en 1926.
2009 m’ait écrite, en 1926. M’ayant lu dans la Revue de Genève , il me demandait « s’il m’intéresserait quelque jour de colla
2010 me demandait « s’il m’intéresserait quelque jour de collaborer à la NRF  ». J’étais admis ! J’allais être reçu ! L’on m’
2011 léry, Gide, Claudel et Saint-John Perse ! Étourdi de bonheur je répondis : Je n’ai pas vingt ans et mon tiroir est vide, m
2012 ngement légère et gaie, réchauffée par une pointe d’ assent qui me lance, à peine passé la porte : « Mais il me semble que
2013 l me semble que depuis des années je vous supplie de nous donner des textes ! » Me voici mis à l’aise, et mal à l’aise aus
2014 rêveur : « Comme il est difficile, n’est-ce pas, de se libérer de ses origines protestantes. » Je dis : « Pourquoi ne pas
2015 mme il est difficile, n’est-ce pas, de se libérer de ses origines protestantes. » Je dis : « Pourquoi ne pas les assumer ?
2016 ue s’est noué, et il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’une manière que je suis seul à connaître. Je m’arranger
2017 et il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’ une manière que je suis seul à connaître. Je m’arrangerai pour y faire
2018 es questions qu’il me soumettra (c’est sa manière de critiquer) après lecture du manuscrit, et je m’efforcerai d’y répondr
2019 r) après lecture du manuscrit, et je m’efforcerai d’ y répondre. Toute la première moitié de Penser avec les mains a été
2020 efforcerai d’y répondre. Toute la première moitié de Penser avec les mains a été composée pour prévenir les objections q
2021 r idéal dont on suppute et redoute les exigences, de l’interlocuteur invisible qui relit avec vous, par-dessus votre épaul
2022 ersonnels… à combien d’entre nous, jeunes auteurs de l’entre-deux-guerres ! Que dirai-je de plus aujourd’hui ? J’aurais ai
2023 e plus aujourd’hui ? J’aurais aimé pouvoir parler de l’écrivain et pas seulement du grand patron en maïeutique de l’expres
2024 in et pas seulement du grand patron en maïeutique de l’expression. Qu’on me permette au moins de recopier cette page des F
2025 tique de l’expression. Qu’on me permette au moins de recopier cette page des Fleurs de Tarbes où je retrouve l’étonnante l
2026 rmette au moins de recopier cette page des Fleurs de Tarbes où je retrouve l’étonnante liberté de jugement, mais les scrup
2027 eurs de Tarbes où je retrouve l’étonnante liberté de jugement, mais les scrupules, la fraîcheur de l’attaque mais la préci
2028 rté de jugement, mais les scrupules, la fraîcheur de l’attaque mais la précision du trait, l’énergie bien menée mais l’hum
2029 pas du tout noir) qui restent les vertus majeures de l’œuvre entière : Victor Hugo se prenait pour un pape, Lamartine pou
2030 es ce qu’un philosophe n’ose pas toujours espérer de la philosophie : il veut connaître ce que peut l’homme. Et Gide, ce q
2031 me. Et Gide, ce qu’il est. Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’une société laïque le monde sacral, tel que
2032 Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’ une société laïque le monde sacral, tel que l’a connu le Moyen Âge. Br
2033 le Moyen Âge. Breton cependant exige le triomphe d’ une éthique nouvelle, qui se fonde sur le crime et la merveille. « La
2034 s nécessaire, que l’écrivain maintienne au-dessus de l’eau toute une civilisation qui sombre. Je ne dis rien d’Alerte : la
2035 toute une civilisation qui sombre. Je ne dis rien d’ Alerte : la poésie lui semble chose si grave qu’il a pris le parti de
2036 e lui semble chose si grave qu’il a pris le parti de se taire. Je ne sais s’il est vrai que les hommes de lettres se soien
2037 se taire. Je ne sais s’il est vrai que les hommes de lettres se soient contentés jadis de distraire d’honnêtes gens. (Ils
2038 e les hommes de lettres se soient contentés jadis de distraire d’honnêtes gens. (Ils le disaient du moins.) Les plus modes
2039 de lettres se soient contentés jadis de distraire d’ honnêtes gens. (Ils le disaient du moins.) Les plus modestes de nous a
2040 ns. (Ils le disaient du moins.) Les plus modestes de nous attendent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin r
2041 us attendent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que les Lettre
2042 endent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que les Lettres ne le
2043 ens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que les Lettres ne leur doivent. Et qui pourrait tolérer, se
2044 qui pourrait tolérer, se demande un jeune homme, de n’être pas écrivain ? Cet état « singulier » de notre littérature n’
2045 de n’être pas écrivain ? Cet état « singulier » de notre littérature n’autorise pas trop d’optimisme. Il se peut que le
2046 gulier » de notre littérature n’autorise pas trop d’ optimisme. Il se peut que les hommes soient devenus plus exigeants. I
2047 comme s’il y avait à leur endroit je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé, dont nous aurions perdu jusq
2048 y avait à leur endroit je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé, dont nous aurions perdu jusqu’au souve
2049 je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’ insensé, dont nous aurions perdu jusqu’au souvenir et à l’idée. Mais
2050 it ni pour toujours, puisque ce « je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé », c’est toute son œuvre, jus
2051 toujours, puisque ce « je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé », c’est toute son œuvre, justement, qu
2052  je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’ insensé », c’est toute son œuvre, justement, qui nous en restitue mieu
2053 la présence fraîche et vivace. 6. Le communiqué de l’AFP annonçant sa mort, décrit Paulhan comme « ce petit homme sec et
2054 ul intéressera, croit-elle. an. Rougemont Denis de , « Jean Paulhan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausa
2055 n. Rougemont Denis de, « Jean Paulhan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 19–20 octobre 1968, p. 28
30 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Témoignage sur Bernard Barbey (7-8 février 1970)
2056 , en cette haute époque littéraire : les Éditions de la NRF et les « Cahiers verts » de Grasset. Le Cœur gros — quel beau
2057 : les Éditions de la NRF et les « Cahiers verts » de Grasset. Le Cœur gros — quel beau titre ! — sous la fameuse couvertur
2058 ouverture verte m’apportait les paysages pluvieux de plateaux au pied du Jura qui avaient ému ma prime adolescence, et je
2059 é, au double sens du mot, par la gloire naissante d’ un jeune aîné qui venait de mon pays ou presque. Un peu plus tard, j’é
2060 que. Un peu plus tard, j’écrivais du second roman de Bernard Barbey : Il règne dans La Maladère une étrange harmonie entr
2061 iolence, autour de ces êtres dont la détresse est d’ autant plus cruelle qu’elle est contenue sous des dehors trop polis. U
2062 é le livre, on oublie son intrigue et la justesse de l’analyse pour ne plus évoquer que des visions où se condense le sent
2063 e Cœur gros un parc avant l’orage, le rose sombre d’ une joue brûlante et fraîche dans le vent. Dans La Maladère un arbre c
2064 uvrant le manoir perdu, des fumées sur un paysage d’ hiver, et soudain, sous la lueur d’un incendie, deux visages tordus de
2065 sur un paysage d’hiver, et soudain, sous la lueur d’ un incendie, deux visages tordus de passion. Cette fureur admirable, d
2066 sous la lueur d’un incendie, deux visages tordus de passion. Cette fureur admirable, dont la brutalité si longtemps désir
2067 a brutalité si longtemps désirée délivre le héros d’ un passé obsédant, d’une trop plaisante jeunesse.7 On devrait bien r
2068 mps désirée délivre le héros d’un passé obsédant, d’ une trop plaisante jeunesse.7 On devrait bien republier ces deux rom
2069 se prolonge dans ma mémoire. C’est moins la suite de la carrière littéraire de Bernard Barbey qui explique leur éclipse in
2070 e. C’est moins la suite de la carrière littéraire de Bernard Barbey qui explique leur éclipse injuste et provisoire, que l
2071 ux ou trois autres carrières qu’il a connues avec de si constants succès pour ceux qui savent — dans l’armée, la diplomati
2072 x qui savent — dans l’armée, la diplomatie, et la vie internationale L’écrivain suisse, presque toujours, fait presque touj
2073 n suisse, presque toujours, fait presque toujours de la littérature, si bonne qu’elle soit. Mais l’aventure militaire de B
2074 si bonne qu’elle soit. Mais l’aventure militaire de Barbey est singulière. Assurer la liaison ultrasecrète avec l’armée f
2075 en, ni commander ensuite l’état-major particulier d’ un général en chef. Et, tôt après, sans transition, « promouvoir » la
2076 transition, « promouvoir » la présence culturelle de la Suisse à Paris, puis à l’échelon mondial à l’Unesco. Tous ces serv
2077 ul doute à la très amicale et délicate insistance de Berne que je dois d’avoir écrit mes deux livres sur la Suisseap. « Ro
2078 icale et délicate insistance de Berne que je dois d’ avoir écrit mes deux livres sur la Suisseap. « Romancier aux succès pr
2079 ire », tel serait le résumé proprement helvétique d’ une carrière qui eût été, en changeant de passeport, celle d’un ambass
2080 lvétique d’une carrière qui eût été, en changeant de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un
2081 ère qui eût été, en changeant de passeport, celle d’ un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élu
2082 en changeant de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie.
2083 t de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’ un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’é
2084 elle d’un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’était pas son souc
2085 ce, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’était pas son souci ! Et il nous suffisait, nou
2086 ses amis (mais avons-nous su le lui dire assez…) de pouvoir admirer, en lui, la parfaite élégance du courage secret, du t
2087 parfaite élégance du courage secret, du talent et de l’efficacité. C’est par des hommes de cette qualité que vaut la Suiss
2088 u talent et de l’efficacité. C’est par des hommes de cette qualité que vaut la Suisse. 7. « Bernard Barbey : La Maladèr
2089 sset, Paris) », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, Genève, février 1927, p. 265. ao. Rougemont Denis de, « Té
2090 ève, février 1927, p. 265. ao. Rougemont Denis de , « Témoignage sur Bernard Barbey », Gazette de Lausanne (supplément l
2091 is de, « Témoignage sur Bernard Barbey », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 7–8 février 1970, p. 21.
2092 Lausanne, 7–8 février 1970, p. 21. ap. Il s’agit de La Confédération helvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d
2093 s’agit de La Confédération helvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d’un peuple heureux (1965)
2094 helvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d’ un peuple heureux (1965)
31 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La cité européenne (18-19 avril 1970)
2095 Je pense, avec Robert Schuman, qu’il est possible d’ unir nos pays pour cette raison littéralement fondamentale qu’une unit
2096 te raison littéralement fondamentale qu’une unité de base existe, sur laquelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’
2097 xiste, sur laquelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’une culture, de laquelle participent tous les Européens, qu
2098 laquelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’ une culture, de laquelle participent tous les Européens, qu’ils soient
2099 cette union. Il s’agit de l’unité d’une culture, de laquelle participent tous les Européens, qu’ils soient d’ailleurs « c
2100 d’ailleurs « cultivés » ou non, conscients ou non de ce qu’ils doivent, en fait, à la culture. Unité non pas homogène et q
2101 ure. Unité non pas homogène et qui ne résulte pas d’ un processus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de
2102 mogène et qui ne résulte pas d’un processus forcé d’ uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce qui diffère, mais
2103 ésulte pas d’un processus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce qui diffère, mais qui au contraire e
2104 ocessus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’ exclusion de ce qui diffère, mais qui au contraire englobe, et compose
2105 é d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce qui diffère, mais qui au contraire englobe, et compose largement,
2106 des valeurs bien souvent antinomiques, provenant d’ origines multiples, dont les contrastes et les combinaisons entretienn
2107 etiennent des tensions renouvelées sans répit. Et de là vient l’irrépressible dynamisme qui a porté la civilisation europé
2108 contre nous, pour le meilleur et pour le pire. Et de là viennent aussi nos divisions mortelles, nos efforts pour les surmo
2109 verselles, et toutes les créations qui ne cessent de jaillir de cette discorde permanente. Dès l’aube de la philosophie oc
2110 et toutes les créations qui ne cessent de jaillir de cette discorde permanente. Dès l’aube de la philosophie occidentale,
2111 jaillir de cette discorde permanente. Dès l’aube de la philosophie occidentale, dans l’une de ces cités d’Ionie où prit n
2112 l’aube de la philosophie occidentale, dans l’une de ces cités d’Ionie où prit naissance la dialectique de notre histoire,
2113 philosophie occidentale, dans l’une de ces cités d’ Ionie où prit naissance la dialectique de notre histoire, Héraclite éc
2114 es cités d’Ionie où prit naissance la dialectique de notre histoire, Héraclite écrivait cette phrase décisive, qu’il faut
2115 e décisive, qu’il faut tenir pour la formule même de l’unité européenne : « Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des co
2116 ’unité européenne : « Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des contraires procède la plus belle harmonie. » ⁂ De ce tem
2117 es contraires procède la plus belle harmonie. » ⁂ De ce temps jusqu’au nôtre, tout concourt à nourrir ce paradoxe qui para
2118 paradoxe qui paraît bien être la loi constitutive de notre histoire et le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et
2119 loi constitutive de notre histoire et le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et du divers, l’unité dans la dive
2120 toire et le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et du divers, l’unité dans la diversité, et la coexistence fécon
2121 ses dernières conséquences, découvre ainsi l’idée de l’atome et celle de l’individu, d’où les excès de l’individualisme he
2122 uences, découvre ainsi l’idée de l’atome et celle de l’individu, d’où les excès de l’individualisme hellénistique qui ne m
2123 e ainsi l’idée de l’atome et celle de l’individu, d’ où les excès de l’individualisme hellénistique qui ne manqueront pas d
2124 de l’atome et celle de l’individu, d’où les excès de l’individualisme hellénistique qui ne manqueront pas d’appeler la tyr
2125 ndividualisme hellénistique qui ne manqueront pas d’ appeler la tyrannie. Rome, en réponse à ce défi de l’anarchie, invente
2126 d’appeler la tyrannie. Rome, en réponse à ce défi de l’anarchie, invente l’État et les institutions centralisées : elle po
2127 ’irrémédiable et dangereux ennui, jusqu’à ce vide de l’âme inoccupée qui appelle les tempêtes et les révolutions. Le chris
2128 Le christianisme apporte alors un troisième monde de valeurs, assez mal conciliables avec celles de la sagesse grecque, et
2129 de de valeurs, assez mal conciliables avec celles de la sagesse grecque, et totalement contraires à celles de Rome. À la m
2130 agesse grecque, et totalement contraires à celles de Rome. À la morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose
2131 talement contraires à celles de Rome. À la morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour
2132 res à celles de Rome. À la morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour sans calcul, au
2133 e et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour sans calcul, au droit de la force le service du prochain, au
2134 ice. Bien plus, il porte la contradiction au cœur de l’être, et la traduit dans l’énoncé de ses dogmes fondamentaux : la T
2135 on au cœur de l’être, et la traduit dans l’énoncé de ses dogmes fondamentaux : la Trinité transporte en Dieu lui-même le p
2136 a Trinité transporte en Dieu lui-même le paradoxe de l’un et du divers, tandis que l’Incarnation porte à l’extrême la coex
2137 existence des contraires, l’impensable définition de la personne de Jésus-Christ comme « vrai Dieu et vrai homme » à la fo
2138 ontraires, l’impensable définition de la personne de Jésus-Christ comme « vrai Dieu et vrai homme » à la fois, selon les f
2139 omme » à la fois, selon les formules conciliaires de Nicée et de Chalcédoine. ⁂ Or, ces valeurs grecques, romaines et chré
2140 fois, selon les formules conciliaires de Nicée et de Chalcédoine. ⁂ Or, ces valeurs grecques, romaines et chrétiennes qui
2141 urs triomphes alternés, elles durent dans l’ombre de l’histoire, dans la tradition, dans les livres, et dans l’inconscient
2142 f. Elles agissent toutes, sans exception, dans la vie des hommes d’aujourd’hui. Un seul exemple : le dogme de la Trinité, h
2143 nt toutes, sans exception, dans la vie des hommes d’ aujourd’hui. Un seul exemple : le dogme de la Trinité, hors de la trad
2144 hommes d’aujourd’hui. Un seul exemple : le dogme de la Trinité, hors de la tradition ecclésiastique, a fourni le modèle d
2145 e la tradition ecclésiastique, a fourni le modèle de la dialectique hégélienne, repris par Marx, puis par Lénine avec les
2146 ue l’on sait, jusque dans l’existence quotidienne de 700 millions de Chinois qui se croyaient confucianistes, bouddhistes,
2147 sque dans l’existence quotidienne de 700 millions de Chinois qui se croyaient confucianistes, bouddhistes, ou sans croyanc
2148 n’est pas tout. Avec les trois sources classiques d’ Athènes, de Rome et de Jérusalem, viennent confluer dans le haut Moyen
2149 out. Avec les trois sources classiques d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, viennent confluer dans le haut Moyen Âge la sou
2150 es trois sources classiques d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, viennent confluer dans le haut Moyen Âge la source germani
2151 droit communautaire et personnel, et les valeurs d’ honneur et de fidélité, la seconde apportant le sens du rêve et le gra
2152 autaire et personnel, et les valeurs d’honneur et de fidélité, la seconde apportant le sens du rêve et le grand thème de l
2153 conde apportant le sens du rêve et le grand thème de la quête aventureuse d’un Lancelot et d’un Perceval, symbole mystique
2154 du rêve et le grand thème de la quête aventureuse d’ un Lancelot et d’un Perceval, symbole mystique. Faut-il enfin rappeler
2155 nd thème de la quête aventureuse d’un Lancelot et d’ un Perceval, symbole mystique. Faut-il enfin rappeler l’apport arabe,
2156 mbres, mais qui est l’une des sources principales de la poésie amoureuse, donc de l’amour tel qu’on le parle et qu’on croi
2157 sources principales de la poésie amoureuse, donc de l’amour tel qu’on le parle et qu’on croit le sentir en Occident ; l’a
2158 e siècle ? ⁂ Tout cela dure, agit et vit en nous de mille manières. Tout cela se combine en figures et en structures vari
2159 variées à l’infini, mais dont la plus fréquente, de très loin, est le couple d’antinomies inséparables : autorité et libe
2160 nt la plus fréquente, de très loin, est le couple d’ antinomies inséparables : autorité et liberté, individualisme et colle
2161 ence, hérésie créatrice et saine doctrine, besoin de sécurité et goût du risque, conformité qui maintient les valeurs, ori
2162 ens. Enfin tout cela dénote l’Europe comme patrie de la diversité. L’Européen moyen déclare parfois et pense toujours : « 
2163 arfois et pense toujours : « Quelle est ma raison d’ être, si je suis comme tout le monde ? » À ses yeux — et cela peut ser
2164 e distinguer » ou « être distingué » est synonyme d’ honneur mérité ou reçu, non pas d’impardonnable faute de goût, de tent
2165  » est synonyme d’honneur mérité ou reçu, non pas d’ impardonnable faute de goût, de tentative déviationniste, ou de blasph
2166 é ou reçu, non pas d’impardonnable faute de goût, de tentative déviationniste, ou de blasphème, comme ce serait le cas dan
2167 le faute de goût, de tentative déviationniste, ou de blasphème, comme ce serait le cas dans les sociétés primitives, dans
2168 totalitaires, ou dans l’Inde religieuse. Le goût de différer, si peu que ce soit, est si cher aux Européens qu’il les por
2169 si cher aux Européens qu’il les porte à exagérer d’ une manière tout à fait extravagante l’importance de ce qui les distin
2170 une manière tout à fait extravagante l’importance de ce qui les distingue. C’est ainsi qu’ils en viennent à penser sincère
2171 s’il le faut, du fait qu’ils n’ont en somme rien de commun ! Un jour, tandis que je présidais une table ronde du Conseil
2172 ronde du Conseil de l’Europe, irrité par ce genre d’ objections à l’union, j’écrivis sur une page de bloc-notes « à faire c
2173 re d’objections à l’union, j’écrivis sur une page de bloc-notes « à faire circuler » autour du tapis vert l’essai de défin
2174 « à faire circuler » autour du tapis vert l’essai de définition suivant : L’Européen ne serait-il pas cet homme étrange q
2175 étend au contraire s’identifier soit avec l’homme d’ une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’il fait parti
2176 s’identifier soit avec l’homme d’une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’il fait partie, par le seul fait
2177 cela, ce ne serait plus l’Europe. Le goût furieux de différer, par lequel nous nous ressemblons tous, c’est notre mal et n
2178 r notre union, si l’on veut qu’elle mérite le nom d’ Europe. Si l’on me demande maintenant comment on peut traduire en term
2179 re en termes de structures politiques cette unité de culture non unitaire et si hautement diversifiée, je répondrai que la
2180 ent par l’union dans la diversité, et cette forme d’ union porte un nom bien connu dans l’histoire des régimes politiques,
2181 nnu dans l’histoire des régimes politiques, c’est de toute évidence : fédéralisme.as aq. Rougemont Denis de, « Le disc
2182 évidence : fédéralisme.as aq. Rougemont Denis de , « Le discours de l’Université de Bonn I — La Cité européenne », Gaze
2183 isme.as aq. Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn I — La Cité européenne », Gazette de Lausanne (s
2184 Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn I — La Cité européenne », Gazette de Lausanne (supplément littér
2185 versité de Bonn I — La Cité européenne », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 18–19 avril 1970, p. 32.
2186 2. ar. Ce discours a été prononcé à l’Université de Bonn, le 15 avril 1970, à l’occasion de la remise du prix Robert Schu
2187 niversité de Bonn, le 15 avril 1970, à l’occasion de la remise du prix Robert Schuman. as. Le texte est suivie de la note
2188 du prix Robert Schuman. as. Le texte est suivie de la note suivante : « La semaine prochaine : “L’Europe et le sens de l
2189 e : « La semaine prochaine : “L’Europe et le sens de la vie”, suite et fin de ce discours. »
2190 La semaine prochaine : “L’Europe et le sens de la vie ”, suite et fin de ce discours. »
2191 e : “L’Europe et le sens de la vie”, suite et fin de ce discours. »
32 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)
2192 L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)at au Je ne vois pas d’autre forme d’unio
2193 L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)at au Je ne vois pas d’autre forme d’union qui r
2194 la vie (25-26 avril 1970)at au Je ne vois pas d’ autre forme d’union qui réponde à la double exigence du respect des di
2195 avril 1970)at au Je ne vois pas d’autre forme d’ union qui réponde à la double exigence du respect des diversités et de
2196 à la double exigence du respect des diversités et de l’instauration d’une force suffisante pour garantir leur concurrence
2197 ce du respect des diversités et de l’instauration d’ une force suffisante pour garantir leur concurrence féconde, dans la p
2198 concurrence féconde, dans la paix. Je ne vois pas d’ autre réponse imaginable au défi que l’Histoire nous pose dans les ter
2199 échappatoire possible désormais : s’unir, au-delà de nos fausses souverainetés, pour préserver nos vraies diversités — cré
2200 tés — créer un pouvoir fédéral pour la sauvegarde de nos autonomies. Car ces autonomies seront perdues une à une, si nous
2201 qui fait toute ma thèse : étant donné que la base de notre unité est une culture pluraliste, on ne peut fonder sur elle qu
2202 éclare, avec Churchill — dans son fameux discours de Zurich — qu’il n’y a pas une minute à perdre ! Quel est l’obstacle ap
2203 ns mystérieux : l’obstacle à toute union possible de l’Europe (donc à toute union fédérale) n’est autre que l’État-nation,
2204 e la guerre. C’est ce modèle que tous les peuples de l’Europe, grands et petits, ont imité l’un après l’autre tout au long
2205 près l’autre tout au long du xixe siècle, suivis de nos jours par le reste du monde, notamment par le tiers-monde, mal dé
2206 t soumettre toute une nation aux pouvoirs absolus de l’État. C’est vouloir faire coïncider sur un même territoire, défini
2207 sort des guerres et aussitôt baptisé « sol sacré de la patrie », des réalités absolument hétérogènes, qui n’ont aucune ra
2208 s absolument hétérogènes, qui n’ont aucune raison d’ avoir les mêmes frontières, comme la langue et l’économie, l’état civi
2209 encore, les idéologies et les religions, sommées de s’arrêter sur une ligne de barbelés électrifiés. C’est livrer sans re
2210 les religions, sommées de s’arrêter sur une ligne de barbelés électrifiés. C’est livrer sans recours toute l’existence hum
2211 rs toute l’existence humaine aux seules décisions de bureaux installés dans une seule capitale, et interdire toute allégea
2212 iècle. Rien, donc, de plus hostile à toute espèce d’ union tant soit peu sérieuse ou sincère, que cet État-nation qui, d’au
2213 tat-nation qui, d’autre part, se révèle incapable de répondre aux exigences concrètes de notre temps, puisqu’il est à la f
2214 èle incapable de répondre aux exigences concrètes de notre temps, puisqu’il est à la fois trop petit pour agir à l’échelle
2215 r un projet rationnel. Or voici l’ironie tragique de notre histoire : c’est sur la base de cet obstacle radical à toute un
2216 ie tragique de notre histoire : c’est sur la base de cet obstacle radical à toute union que l’on s’efforce depuis vingt-ci
2217 te union que l’on s’efforce depuis vingt-cinq ans d’ unir l’Europe ! Voilà qui explique suffisamment, je crois, pourquoi l’
2218 fisamment, je crois, pourquoi l’on n’a pas avancé d’ un centimètre en direction de notre union politique. Entre l’union de
2219 l’on n’a pas avancé d’un centimètre en direction de notre union politique. Entre l’union de l’Europe et les États-nations
2220 direction de notre union politique. Entre l’union de l’Europe et les États-nations sacralisés, entre une nécessité humaine
2221 é humaine des plus concrètes et le culte prolongé d’ un mythe, il faut choisir. Pour la première fois dans son histoire, l’
2222 istoire, l’homme se voit aujourd’hui en situation de choisir librement son avenir. Jusqu’à nous, point de choix économique
2223 choisir librement son avenir. Jusqu’à nous, point de choix économiques ni même peut-être politiques longuement délibérés,
2224 nécessaire est assuré, on se bat pour le contrôle de zones d’influence plus idéologiques que commerciales (voir le Vietnam
2225 e est assuré, on se bat pour le contrôle de zones d’ influence plus idéologiques que commerciales (voir le Vietnam) et l’on
2226 en somme du superflu. Mais dès lors que ce choix de notre avenir est libre, nous voici contraints de le faire, à nos risq
2227 de notre avenir est libre, nous voici contraints de le faire, à nos risques et périls ! Nous voici contraints de nous dem
2228 , à nos risques et périls ! Nous voici contraints de nous demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce
2229 contraints de nous demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce que nous voulons réellement, principal
2230 s de nous demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce que nous voulons réellement, principalement, et
2231 us demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce que nous voulons réellement, principalement, et contra
2232 voulons réellement, principalement, et contraints de tirer des plans en conséquence. Voulons-nous par exemple à tout prix
2233 rix sommes-nous prêts à payer pour cela ? Le prix de certaines libertés, ou le prix d’un confort toujours accru ? Ces dile
2234 cela ? Le prix de certaines libertés, ou le prix d’ un confort toujours accru ? Ces dilemmes se posent aujourd’hui à tous
2235 peuples avancés sous le rapport de l’industrie et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficiles,
2236 s difficiles, voire angoissantes sur le sens même de la vie… D’une façon plus précise, en Europe, il nous faut décider si
2237 iciles, voire angoissantes sur le sens même de la vie … D’une façon plus précise, en Europe, il nous faut décider si notre u
2238 s, voire angoissantes sur le sens même de la vie… D’ une façon plus précise, en Europe, il nous faut décider si notre union
2239 cider, en toute conscience, et vite, car le choix de la fin implique évidemment celui des moyens adéquats ; mais à l’inver
2240 adéquats ; mais à l’inverse, si vous vous trompez de moyens, ils risquent bien de vous conduire où vous ne vouliez pas all
2241 si vous vous trompez de moyens, ils risquent bien de vous conduire où vous ne vouliez pas aller… Voici donc le dilemme pré
2242 ous attribuons pour finalité à la Cité européenne de demain la puissance, c’est-à-dire la puissance industrielle et milita
2243 re la puissance industrielle et militaire massive d’ une sorte de troisième Grand préoccupé principalement de tenir tête au
2244 nce industrielle et militaire massive d’une sorte de troisième Grand préoccupé principalement de tenir tête aux deux autre
2245 sorte de troisième Grand préoccupé principalement de tenir tête aux deux autres, alors il faut créer un super-État-nation
2246 t agressif, comme la France de Napoléon, et faire de nos États autant de départements. Il faut tout unifier par des lois i
2247 France de Napoléon, et faire de nos États autant de départements. Il faut tout unifier par des lois inflexibles, sans éga
2248 ttre la production industrielle au seul impératif de l’élévation perpétuelle du PNB — cette tour de Babel du xxe siècle !
2249 if de l’élévation perpétuelle du PNB — cette tour de Babel du xxe siècle ! Une politique européenne de ce type, simple tr
2250 e Babel du xxe siècle ! Une politique européenne de ce type, simple transposition de la formule d’État-nation à l’échelle
2251 tique européenne de ce type, simple transposition de la formule d’État-nation à l’échelle continentale, serait capable san
2252 ne de ce type, simple transposition de la formule d’ État-nation à l’échelle continentale, serait capable sans nul doute de
2253 helle continentale, serait capable sans nul doute de créer une Europe très forte, mais qui serait très peu européenne. San
2254 ait être imposé à tous nos peuples qu’à la faveur d’ une guerre générale — selon la loi de l’État-nation dès ses débuts. Il
2255 ’à la faveur d’une guerre générale — selon la loi de l’État-nation dès ses débuts. Il s’agit donc d’une utopie catastrophi
2256 i de l’État-nation dès ses débuts. Il s’agit donc d’ une utopie catastrophique, mais dont la réalisation ne saurait être ex
2257 berté, c’est-à-dire les plus grandes possibilités d’ épanouissement des personnes, de participation des citoyens et d’auton
2258 ndes possibilités d’épanouissement des personnes, de participation des citoyens et d’autonomie des communautés (la product
2259 t des personnes, de participation des citoyens et d’ autonomie des communautés (la production industrielle n’étant qu’un de
2260 production industrielle n’étant qu’un des moyens de ces libertés), alors il faut reconnaître que l’État-nation n’est pas
2261 jourd’hui radicalement incompatible avec les fins de l’Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes le
2262 alement incompatible avec les fins de l’Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes les plus propres
2263 nalismes, et se consacrer sérieusement à la tâche de construire des modèles neufs pour une cité rendue à l’usage de l’homm
2264 des modèles neufs pour une cité rendue à l’usage de l’homme. Il faut mettre en commun à l’échelle fédérale continentale,
2265 e qui est nécessaire pour garantir les autonomies de tous ordres, régionales, communales et personnelles, mais rien de plu
2266 idéologiques et religieuses, contre la prétention de l’État-nation à leur monopole absolu. Il faut distribuer les pouvoirs
2267 uer les pouvoirs étatiques aux différents niveaux de décision — le communal, le régional, le fédéral — indiqués par la nat
2268 la nature des tâches, leurs dimensions et celles de la communauté la plus apte à les administrer. En un mot, il faut appl
2269 é : ces deux finalités commandent deux politiques d’ union, dont je crains bien qu’on ne puisse pas impunément continuer à
2270 continuer à mêler les moyens. On ne manquera pas de m’objecter en ce point que la politique a toujours eu pour fin réelle
2271 s ont choisi la puissance comme seul but réaliste de la société politique ; le reste — la justice, la paix, la liberté — é
2272 la justice, la paix, la liberté — étant manières de parler plus ou moins nobles, ou pure et simple captatio démagogique.
2273 péens, rares mais exemplaires, ont osé proclamer, d’ Aristote à Rousseau et de William Penn à Proudhon, que les libertés pe
2274 ires, ont osé proclamer, d’Aristote à Rousseau et de William Penn à Proudhon, que les libertés personnelles et les communa
2275 ance collective. L’Europe unie sera seule capable de réaliser leur vision. On me dira peut-être aussi que je radicalise in
2276 e au dilemme puissance ou liberté comme finalités de l’union. Mais je ne crois pas qu’il y ait un tiers parti tenable. Je
2277 oquait le général de Gaulle, et qui serait formée d’ États-nations conservant jalousement leurs prétentions à la souveraine
2278 amicale des misanthropes. Je crois à la nécessité de défaire nos États-nations. Ou plutôt, de les dépasser, de démystifier
2279 écessité de défaire nos États-nations. Ou plutôt, de les dépasser, de démystifier leur sacré, de percer leurs frontières c
2280 re nos États-nations. Ou plutôt, de les dépasser, de démystifier leur sacré, de percer leurs frontières comme des écumoire
2281 utôt, de les dépasser, de démystifier leur sacré, de percer leurs frontières comme des écumoires, de narguer ces frontière
2282 , de percer leurs frontières comme des écumoires, de narguer ces frontières sur terre, sous terre et dans les airs, et de
2283 tières sur terre, sous terre et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont absu
2284 t dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore effica
2285 it aider : les échanges culturels, les mouvements de personnes, la concertation rationnelle des productions industrielles
2286 tre : les tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propaga
2287 et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propagande et les grandes contagions dites idéologiques. Elles emp
2288 ns dites idéologiques. Elles empêchent simplement de bien traiter ces problèmes. Ce statut des frontières, doublement défi
2289 tières, doublement déficient, est caractéristique de tout ce qui touche à l’État-nation : néfaste dans la mesure où il est
2290 ous les pays à la fois…) ne sont pas le type même de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’économies dites natio
2291 ont pas le type même de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’économies dites nationales, qui ne correspondent à
2292 de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’ économies dites nationales, qui ne correspondent à rien d’économique.
2293 ies dites nationales, qui ne correspondent à rien d’ économique. Mais ce que je sais de science certaine, c’est que les Éta
2294 spondent à rien d’économique. Mais ce que je sais de science certaine, c’est que les États-nations n’existent pas dans l’h
2295 les États-nations n’existent pas dans l’histoire de la culture, et que les « cheminements de l’esprit » dont parlait Robe
2296 histoire de la culture, et que les « cheminements de l’esprit » dont parlait Robert Schuman traversent leurs frontières sa
2297 dans ce plan, elles n’existent pas. Il n’y a pas de « cultures nationales », en dépit des manuels scolaires, il n’y a que
2298 s tout arbitraires opérées dans l’ensemble vivant de la culture européenne. Et les diversités que nous devons respecter ne
2299 ités que nous devons respecter ne sont pas celles de ces États-nations nés d’hier : elles les traversent et les divisent t
2300 ecter ne sont pas celles de ces États-nations nés d’ hier : elles les traversent et les divisent tous également, et ne coïn
2301 frontière. Nos États-nations, obsédés par l’idée de « se faire respecter », oublient qu’ils n’y arriveraient qu’en se ren
2302 ace, qui doit être mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministres,
2303 l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministres, d’ essayer d’apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais touche
2304 . Cessez donc, Messieurs les ministres, d’essayer d’ apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais toucher aux droi
2305 rs les ministres, d’essayer d’apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais toucher aux droits sacrés de vos États
2306 ssayer d’apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais toucher aux droits sacrés de vos États-nations ! Vous savez
2307 en jurant de ne jamais toucher aux droits sacrés de vos États-nations ! Vous savez bien que vous ne pourrez pas unir l’Eu
2308 en proclamant votre attachement aux causes mêmes de sa division ! Pourquoi ne pas le dire ouvertement ? Tous les sondages
2309 oi ne pas le dire ouvertement ? Tous les sondages d’ opinion montrent qu’on vous suivrait, si vous osiez marcher. Je propos
2310 si vous osiez marcher. Je propose la convocation d’ une conférence du désarmement étatique des nations. À l’aspect négatif
2311 armement étatique des nations. À l’aspect négatif de ses travaux, elle ajouterait l’étude on ne peut plus positive de la r
2312 elle ajouterait l’étude on ne peut plus positive de la renaissance des régions. Il faut défaire et dépasser l’État-nation
2313 tribuer et répartir l’État aux différents niveaux de décision où il peut servir une entité vivante, civique, économique ou
2314 trôlé par l’usager, distribuer et répartir l’État de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régio
2315 r, distribuer et répartir l’État de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au nivea
2316 et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au niveau européen ; là, des agences fédérales, du type
2317 eau européen ; là, des agences fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des gr
2318 , des agences fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des grandes tâches d’in
2319 pe de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des grandes tâches d’intérêt public, tâches politique
2320 nt chargées de la concertation des grandes tâches d’ intérêt public, tâches politiques au sens originel du mot : l’économie
2321 ontinentales. Et vous noterez que je ne parle pas de relations ou d’affaires étrangères : c’est un mot qu’il nous faut ban
2322 vous noterez que je ne parle pas de relations ou d’ affaires étrangères : c’est un mot qu’il nous faut bannir du vocabulai
2323 aire politique dans une Europe fédérale, au seuil de l’ère du monde uni. Voilà donc le modèle fédéraliste de la Cité europ
2324 re du monde uni. Voilà donc le modèle fédéraliste de la Cité européenne : la complexité des régions rendra justice à ses f
2325 a justice à ses fécondes diversités, et l’ampleur de la fédération exprimera l’unité millénaire de sa culture. Dira-t-on q
2326 eur de la fédération exprimera l’unité millénaire de sa culture. Dira-t-on que ce programme est révolutionnaire ? Il l’est
2327 uvelle des finalités politiques. Donner comme but de la Cité européenne la liberté non la puissance, un mode de vie qualit
2328  niveau de vie » déterminé en termes de profit et de PNB, c’est passer du matérialisme capitaliste et communiste à la mise
2329 et communiste à la mise en question du sens même de nos vies, et des vrais buts de nos activités communautaires et person
2330 muniste à la mise en question du sens même de nos vies , et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. S
2331 stion du sens même de nos vies, et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. Si sérieux que soient l
2332 personnelles. Si sérieux que soient les problèmes de prix du lait, du blé ou du vin, il est clair que l’Europe des marchan
2333 s entre économies étatiques ne peut pas entraîner d’ adhésions enthousiastes. Les jeunes gens d’aujourd’hui ne seront pas c
2334 raîner d’adhésions enthousiastes. Les jeunes gens d’ aujourd’hui ne seront pas convaincus par des avantages matériels : ils
2335 urement, c’est un but transcendant, c’est un sens de la vie, maintenant que la guerre n’est plus leur exutoire, l’alibi de
2336 t, c’est un but transcendant, c’est un sens de la vie , maintenant que la guerre n’est plus leur exutoire, l’alibi des raiso
2337 rre n’est plus leur exutoire, l’alibi des raisons de vivre inexistantes. La réponse à la contestation de la jeunesse, dans
2338 vivre inexistantes. La réponse à la contestation de la jeunesse, dans le monde entier, ne relève pas de l’économie, et en
2339 la jeunesse, dans le monde entier, ne relève pas de l’économie, et encore moins de la politique au sens étroit et partisa
2340 ier, ne relève pas de l’économie, et encore moins de la politique au sens étroit et partisan du terme. Elle exige la recré
2341 it et partisan du terme. Elle exige la recréation de communautés véritables. Et la Cité européenne — Res publica europea —
2342 i l’on me dit maintenant que c’est une utopie que de vouloir dépasser l’État-nation, je réponds que c’est au contraire la
2343 que c’est au contraire la grande tâche politique de notre temps. Précisons : des vingt ans qui viennent. Car à ce prix se
2344 lus puissante ou la plus riche, mais bien ce coin de la planète indispensable au monde de demain, où les hommes de toutes
2345 bien ce coin de la planète indispensable au monde de demain, où les hommes de toutes races pourront trouver non pas le plu
2346 e indispensable au monde de demain, où les hommes de toutes races pourront trouver non pas le plus de bonheur, peut-être,
2347 de toutes races pourront trouver non pas le plus de bonheur, peut-être, mais le plus de saveur, le plus de sens à la vie.
2348 n pas le plus de bonheur, peut-être, mais le plus de saveur, le plus de sens à la vie. at. Rougemont Denis de, « Le dis
2349 nheur, peut-être, mais le plus de saveur, le plus de sens à la vie. at. Rougemont Denis de, « Le discours de l’Universi
2350 tre, mais le plus de saveur, le plus de sens à la vie . at. Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn II 
2351 le plus de sens à la vie. at. Rougemont Denis de , « Le discours de l’Université de Bonn II — Un programme révolutionna
2352 la vie. at. Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn II — Un programme révolutionnaire : donner un se
2353 Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn II — Un programme révolutionnaire : donner un sens à la vie », G
2354 n programme révolutionnaire : donner un sens à la vie  », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 25–26 avril
2355 olutionnaire : donner un sens à la vie », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 25–26 avril 1970, p. 32.
33 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie (2 juin 1970)
2356 problème actuel se trouve posé par la soudaineté d’ un afflux qui prend l’allure d’un raz de marée, et par le motif princi
2357 par la soudaineté d’un afflux qui prend l’allure d’ un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pa
2358 oudaineté d’un afflux qui prend l’allure d’un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pas d’admir
2359 lure d’un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pas d’admirer nos lacs ni de fuir des dictature
2360 r le motif principal de cet afflux, qui n’est pas d’ admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « fric ».
2361 e cet afflux, qui n’est pas d’admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « fric ». Or ce motif est le mê
2362 ’admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « fric ». Or ce motif est le même des deux côtés : pour eux,
2363 ne » à ce jeu : l’industrie qui y trouve le moyen d’ accroître nos exportations, le peuple suisse dont le niveau de vie mat
2364 e dont le niveau de vie matérielle dépend surtout de l’industrie, enfin les travailleurs étrangers, dont les salaires dépe
2365 availleurs étrangers, dont les salaires dépendent de ce qui précède. De quoi se plaint-on ? C’est ici qu’interviennent les
2366 s, dont les salaires dépendent de ce qui précède. De quoi se plaint-on ? C’est ici qu’interviennent les deux questions que
2367 availleurs intellectuels et manuels ? — La notion d’ « helvéticité » existe-t-elle ? Et si oui, dans le cas particulier qui
2368 « helvéticité » est-elle menacée par la présence d’ une nombreuse main-d’œuvre étrangère en Suisse ? Permettez-moi de con
2369 main-d’œuvre étrangère en Suisse ? Permettez-moi de confesser d’abord que le problème qui me préoccupe est beaucoup moins
2370 beaucoup moins celui du oui ou du non, que celui de la qualité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites q
2371 n, que celui de la qualité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites qu’entraîneront les attitudes réelles
2372 i de la qualité des arguments invoqués de part et d’ autre, et des suites qu’entraîneront les attitudes réelles de ceux qui
2373 des suites qu’entraîneront les attitudes réelles de ceux qui les invoquent. C’est dans cet esprit que je vais esquisser u
2374 éen contre l’initiative Schwarzenbach risque fort de recouvrir un sophisme chez la plupart de ceux qui viennent de le déco
2375 ous disent : « À l’heure où il n’est question que de s’ouvrir à l’Europe, pourquoi nous fermer devant les travailleurs étr
2376 ers ? » C’est confondre deux sens bien différents de « s’ouvrir à… » Si s’ouvrir à l’Europe signifie supprimer les frontiè
2377 e les cinquante États des USA), alors, l’argument de la concurrence étrangère à laquelle « l’économie suisse » ne pourrait
2378 e : car dans une Europe intégrée, il n’y a plus «  d’ économie suisse », il y a seulement une économie européenne. Mais si «
2379 r à l’Europe » signifie seulement importer autant de travailleurs étrangers qu’il en faut pour que nos exportations contin
2380 ent, paradoxalement, à s’enfermer dans un concept d’ économie « nationale », par définition non intégrée. On ne peut pas av
2381 . On ne peut pas invoquer à la fois l’intégration de l’Europe et les lois de la concurrence entre États-nations. (Sans com
2382 r à la fois l’intégration de l’Europe et les lois de la concurrence entre États-nations. (Sans compter que tous les États-
2383 en même temps une balance commerciale positive !) De fait, l’ouverture du Marché commun n’a nullement déclenché un raz de
2384 e du Marché commun n’a nullement déclenché un raz de marée de main-d’œuvre italienne en France, par exemple, en dépit des
2385 hé commun n’a nullement déclenché un raz de marée de main-d’œuvre italienne en France, par exemple, en dépit des prédictio
2386 par exemple, en dépit des prédictions alarmistes de M. Mendès-France à l’Assemblée nationale. On constate au contraire qu
2387 rutés, à l’instar des soldats du service étranger de jadis. La conception du monde selon laquelle les hommes obéiraient sp
2388 II. Quant au danger que la présence sur notre sol d’ un étranger contre cinq ou six Suisses représenterait pour notre mode
2389 rien, mais en cache un meilleur. À part beaucoup d’ irritations, quelques bagarres et quelques bâtards, les Espagnols, Ita
2390 aliens, Turcs et Portugais laissent peu de traces de leur passage sur notre sol, dans nos cités et dans nos mœurs. Je n’en
2391 ités et dans nos mœurs. Je n’en dirais pas autant d’ une industrie dont l’essor défigure nos paysages, détruit nos forêts e
2392 et nos champs, pollue nos lacs et déverse un flot de ciment, d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patri
2393 ps, pollue nos lacs et déverse un flot de ciment, d’ agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patrie ». Les so
2394 acs et déverse un flot de ciment, d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patrie ». Les soldats gardent au
2395 d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patrie ». Les soldats gardent aux frontières un « sol sacré » que
2396 t pourtant cela qui modifie radicalement le cadre de nos vies, l’air que nous respirons, et à la longue nos sensibilités.
2397 ant cela qui modifie radicalement le cadre de nos vies , l’air que nous respirons, et à la longue nos sensibilités. Si notre
2398 os sensibilités. Si notre industrie suisse refuse de calculer le prix humain de son essor, ses contrecoups sociologiques e
2399 ndustrie suisse refuse de calculer le prix humain de son essor, ses contrecoups sociologiques et hygiéniques, écologiques
2400 dépasse très largement tout ce qui peut résulter d’ un refus ou d’une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain storm
2401 largement tout ce qui peut résulter d’un refus ou d’ une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain storming collectif
2402 qui peut résulter d’un refus ou d’une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain storming collectif qu’a déclenché le
2403 les amène à se poser — bien au-delà du 7 juin et de ses résultats — les questions suivantes : — La croissance indéfinie d
2404 hropie qu’invoquent à juste titre les adversaires de l’initiative (« on ne peut pas chasser des frères humains ») serait-e
2405 menace contre notre mode de vie suisse vient-elle de la présence d’étrangers parmi nous, ou de nous-mêmes, qui tolérons la
2406 otre mode de vie suisse vient-elle de la présence d’ étrangers parmi nous, ou de nous-mêmes, qui tolérons la destruction de
2407 nt-elle de la présence d’étrangers parmi nous, ou de nous-mêmes, qui tolérons la destruction de notre environnement au nom
2408 us, ou de nous-mêmes, qui tolérons la destruction de notre environnement au nom de valeurs bien plus matérialistes que cel
2409 u des Américains enviés ? av. Rougemont Denis de , « Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie »
2410 de vie plutôt que sur le niveau de vie », Gazette de Lausanne, Lausanne, 2 juin 1970, p. 16. aw. L’article prend place da
2411 e prononcer sur notre double question — intégrité de l’État dans l’Europe fédérée et notion d’une “helvéticité” menacée ?
2412 tégrité de l’État dans l’Europe fédérée et notion d’ une “helvéticité” menacée ? — Denis de Rougemont nous suggère ses réfl
2413 Rougemont nous suggère ses réflexions sous forme d’ interrogations. »
34 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)
2414 Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)ax ay Il a choisi le pays de son nom
2415 (14-15 novembre 1970)ax ay Il a choisi le pays de son nom contre le continent de son prénom ; et jusqu’à près de la fin
2416 l a choisi le pays de son nom contre le continent de son prénom ; et jusqu’à près de la fin de son règne, les prestiges du
2417 ntinent de son prénom ; et jusqu’à près de la fin de son règne, les prestiges du mythe national contre les réalités du mon
2418 e, Charles de Gaulle aura été le dernier monarque d’ une France qui n’a rien préféré à l’amour de son roi, sinon le plaisir
2419 arque d’une France qui n’a rien préféré à l’amour de son roi, sinon le plaisir de le décapiter, ou seulement de voter son
2420 en préféré à l’amour de son roi, sinon le plaisir de le décapiter, ou seulement de voter son exil. Mais j’ai tort de dire
2421 i, sinon le plaisir de le décapiter, ou seulement de voter son exil. Mais j’ai tort de dire France : il s’agit des Françai
2422 r, ou seulement de voter son exil. Mais j’ai tort de dire France : il s’agit des Français, et de Gaulle a toujours disting
2423 ais, et de Gaulle a toujours distingué. Toute ma vie , je me suis fait une certaine idée de la France… vouée à une destinée
2424 Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… vouée à une destinée éminente et exceptionnelle… S’il advi
2425 ] imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et
2426 des Français, non au génie de la patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L
2427 u génie de la patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L’homme politique opp
2428 patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L’homme politique opportuniste et j
2429 ssionné et non de démagogue, de romantique et non d’ opportuniste. L’homme politique opportuniste et joueur, toujours prêt
2430 utre extrême, le général de Gaulle fut le Tristan de la passion nationale. Son Iseut, c’est la France, et il est près de l
2431 st la France, et il est près de le dire dans plus d’ une page de ses Mémoires, et pas seulement dans ces célèbres premières
2432 e, et il est près de le dire dans plus d’une page de ses Mémoires, et pas seulement dans ces célèbres premières phrases où
2433 es malheurs exemplaires ». Il l’a longtemps aimée de loin, dans son exil. Il l’a délivrée de haute lutte en terrassant le
2434 mps aimée de loin, dans son exil. Il l’a délivrée de haute lutte en terrassant le monstre, qui la tenait captive. Il l’a r
2435 ays légal, la République. Puis il a dû s’éloigner d’ elle et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrigue des « barons fél
2436 la République. Puis il a dû s’éloigner d’elle et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrigue des « barons félons » (son
2437 . « Mais la vraie passion tristanienne se nourrit de retraits et d’obstacles, quitte à les susciter s’ils semblent faire d
2438 ie passion tristanienne se nourrit de retraits et d’ obstacles, quitte à les susciter s’ils semblent faire défaut. Entre la
2439 u’il proposa solennellement, et à quoi il choisit de lier son sort. Un suicide politique, dirent les observateurs. Mais ic
2440 nnage prend ses vraies dimensions qui sont celles d’ une glorieuse ambiguïté et d’un tragique malentendu entre « de Gaulle 
2441 ions qui sont celles d’une glorieuse ambiguïté et d’ un tragique malentendu entre « de Gaulle », comme il disait, et cette
2442 cité comme un second Charles le Grand. Ce Tristan de la nation déifiée, cet ennemi juré de l’Europe « intégrée », était en
2443 Ce Tristan de la nation déifiée, cet ennemi juré de l’Europe « intégrée », était en réalité un fédéraliste ! (Mais le mot
2444 déraliste ! (Mais le mot ne peut passer le gosier d’ un Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’
2445 t ne peut passer le gosier d’un Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’écrivait en 1962 à prop
2446 n Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’écrivait en 1962 à propos de mes Vingt-huit siècles
2447 ivait en 1962 à propos de mes Vingt-huit siècles d’ Europe  : En réunissant et replaçant en leur contexte tous ces écrits
2448 els, au long des siècles, s’est manifestée l’idée d’ Europe, ce sont les cheminements de la conscience européenne, elle-mêm
2449 ifestée l’idée d’Europe, ce sont les cheminements de la conscience européenne, elle-même, que vous mettez en lumière. Je v
2450 ême, que vous mettez en lumière. Je vous félicite d’ avoir entrepris et mené à bien cet immense et intéressant travail. Je
2451 les européens, qui respecte le caractère original de chacun et le génie propre à notre continent, y trouvent appuis et enc
2452 ents. On ne peut mieux définir le régime général d’ union dans la diversité qu’il admirait dans notre Suisse. Quant à la p
2453 s entre le mythe et l’avenir : ce dernier paladin de l’ère des Nations a choisi délibérément de se faire écarter du pouvoi
2454 aladin de l’ère des Nations a choisi délibérément de se faire écarter du pouvoir en liant son sort au symbole même de l’èr
2455 rter du pouvoir en liant son sort au symbole même de l’ère nouvelle, qui est la région. Mais dans la page si belle qui règ
2456 symbolisée par son armée… ax. Rougemont Denis de , « Le testament de Tristan », Gazette de Lausanne (supplément littéra
2457 armée… ax. Rougemont Denis de, « Le testament de Tristan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 14–
2458 nt Denis de, « Le testament de Tristan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 14–15 novembre 1970, p. 3
2459 le Marché commun. Ce hasard marquera-t-il la fin d’ une certaine Europe, le début d’une autre ? Nous avons demandé à Denis
2460 quera-t-il la fin d’une certaine Europe, le début d’ une autre ? Nous avons demandé à Denis de Rougemont ce qu’il pensait d
2461 ons demandé à Denis de Rougemont ce qu’il pensait de l’homme d’État, après que Jacques Mercanton, la semaine dernière, a p
2462 e Jacques Mercanton, la semaine dernière, a parlé de l’écrivain et à Guy Dumur, en page intérieure, d’étudier les rapports
2463 de l’écrivain et à Guy Dumur, en page intérieure, d’ étudier les rapports du Général avec la culture, qu’il n’a guère encou
35 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Pourquoi j’écris (30-31 janvier 1971)
2464 eurs contemporains, c’était vers 1925, sur le ton d’ un gangster qui demande la clé de la caisse. Nulle part peut-être mieu
2465 1925, sur le ton d’un gangster qui demande la clé de la caisse. Nulle part peut-être mieux que dans ses « jeux » n’a régné
2466 se trouve ainsi, bien malgré lui, avoir lancé la mode (exploitée désormais sans scrupules par les équipes de la TV) de l’en
2467 xploitée désormais sans scrupules par les équipes de la TV) de l’enquête méfiante sur nos motivations. Les écrivains ont d
2468 ésormais sans scrupules par les équipes de la TV) de l’enquête méfiante sur nos motivations. Les écrivains ont développé c
2469 Les écrivains ont développé contre elle une série de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationalisations » pou
2470 ont développé contre elle une série de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationalisations » pour parler le j
2471 érie de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationalisations » pour parler le jargon freudien. Ils ont trouvé t
2472 argon freudien. Ils ont trouvé trente-six raisons d’ écrire. Ils ont milité pour des causes. Ils ont même inventé la notion
2473 é pour des causes. Ils ont même inventé la notion de l’engagement, dans les années 1930… Elle était vraie, mais elle n’exp
2474 sentiments animent aussi, je le crains, certains de ceux qui prétendent n’écrire que pour le salut de leurs lecteurs. En
2475 de ceux qui prétendent n’écrire que pour le salut de leurs lecteurs. En fait, on commence à écrire vers 16 ou 17 ans, sans
2476 pour quoi. Et quand beaucoup plus tard, essayant de répondre à l’attente des interviewers, on met au point quelques demi-
2477 au point quelques demi-mensonges, l’important est de n’y pas croire, sinon ce serait la preuve qu’on a perdu le contact av
2478 ivent longtemps sont peu à peu tellement imbibées de raison que l’origine qu’elles tirent de la déraison devient invraisem
2479 imbibées de raison que l’origine qu’elles tirent de la déraison devient invraisemblable. » Hypocrites auteurs, mes sembl
2480 les ruses naïves, laissez-moi tenter aujourd’hui de reconstituer l’innocence de mes débuts dans l’écriture. Écrire est u
2481 oi tenter aujourd’hui de reconstituer l’innocence de mes débuts dans l’écriture. Écrire est une démangeaison que l’on cal
2482 ible, aussi peu rationnel que l’élan du désir, ou de la prière, et cela tient des deux, probablement. C’est aussi un effet
2483 eux, probablement. C’est aussi un effet du besoin d’ imiter ce qui, dans un poème ou une pensée, vient d’éveiller en vous u
2484 imiter ce qui, dans un poème ou une pensée, vient d’ éveiller en vous une émotion : pour la prolonger, la faire vôtre, et r
2485 tres qu’il est admiré par vous-même, vous essayez d’ écrire comme lui des vers, un récit, des pensées, une confession. Au d
2486 llergie positive ou délectable irritation, esprit d’ imitation naïve ou vaniteuse (selon que l’on sera bon ou mauvais auteu
2487 r). Et c’est beaucoup plus tard qu’on s’inventera de belles et bonnes raisons d’écrire pour exposer, pour convaincre ou ém
2488 ard qu’on s’inventera de belles et bonnes raisons d’ écrire pour exposer, pour convaincre ou émouvoir, pour dire quelque ch
2489 r, pour dire quelque chose à quelqu’un, au public d’ une revue littéraire ou à toute une nation par la TV. C’est le pour qu
2490 écriture, et qui ne dépend nullement du processus de la pensée en train de se former par écrit : vote des femmes ou guerre
2491 urope, puisque l’Europe est une création continue de la pensée proprement poétique, l’horizon qui se définit par rapport à
2492 r rapport à notre progrès. ⁂ Ce n’est qu’au début d’ une carrière que l’on écrit par pure envie d’écrire. Et je ne dis pas
2493 ébut d’une carrière que l’on écrit par pure envie d’ écrire. Et je ne dis pas que ce besoin à l’état brut ne continue d’agi
2494 e dis pas que ce besoin à l’état brut ne continue d’ agir dans mes écrits, mais il n’est plus seul discernable, tout mêlé q
2495 é qu’il se trouve à des courants violents chargés de matériaux littérairement impurs. Une immédiate nécessité motive la ma
2496 me : j’écris désormais sur commande non seulement de mes émotions, mais d’un discours, d’un livre, d’un article qu’il s’ag
2497 sur commande non seulement de mes émotions, mais d’ un discours, d’un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fi
2498 on seulement de mes émotions, mais d’un discours, d’ un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout
2499 de mes émotions, mais d’un discours, d’un livre, d’ un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il fa
2500 n discours, d’un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il faut bien ajouter à quelque
2501 n article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il faut bien ajouter à quelque ouvrage obscurément jailli,
2502 . (Ainsi j’écris cela parce que F. J. m’a demandé d’ écrire pourquoi j’écris.) Mais surtout, j’écris pour mouvoir : ma caus
2503 finale devient ma vraie motivation, et me libère de toutes les causes intimes, trop intimes. ⁂ Arrivé aux deux tiers de m
2504 es intimes, trop intimes. ⁂ Arrivé aux deux tiers de ma course (si je l’estime à l’envergure de mes projets), je me vois d
2505 tiers de ma course (si je l’estime à l’envergure de mes projets), je me vois deux raisons d’écrire : l’une me libère, l’a
2506 nvergure de mes projets), je me vois deux raisons d’ écrire : l’une me libère, l’autre m’engage. a) J’écris par pure envie
2507 où, en quête obscure et fascinante, selon ce vers d’ Hugo qui m’amusera sans fin : Vous dites : Où vas-tu ? Je l’ignore
2508 is ! J’y vais par l’écriture, qui est ma manière d’ enregistrer la poésie dans l’existence. Un paysage me met en quête d’u
2509 ésie dans l’existence. Un paysage me met en quête d’ une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un évén
2510 stence. Un paysage me met en quête d’une mélodie, d’ un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un événement me dicte
2511 e me met en quête d’une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un événement me dicte une page qui chan
2512 quête d’une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’ une couleur tonale. Un événement me dicte une page qui change ma vie —
2513 ale. Un événement me dicte une page qui change ma vie — cette page et non pas l’événement. Je cherche un sens. J’écris pour
2514 et par suite ne saurait nier, et qui est au-delà de tout — comme le corps transcendant aux organes. Je cherche Dieu. b) J
2515 m’y donne. Quand je saurai pourquoi, j’aurai fini d’ écrire (idéalement). J’aurai touché à la fin de l’écriture, ou mieux,
2516 ni d’écrire (idéalement). J’aurai touché à la fin de l’écriture, ou mieux, j’aurai rejoint ma fin, qui est de me former su
2517 riture, ou mieux, j’aurai rejoint ma fin, qui est de me former sur une pensée vécue dans l’écriture. Au terme de mes livre
2518 er sur une pensée vécue dans l’écriture. Au terme de mes livres, où figure le mot fin et juste au-dessous de ce feu rouge
2519 lire : J’écris pour vous. az. Rougemont Denis de , « Pourquoi j’écris », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), L
2520 Rougemont Denis de, « Pourquoi j’écris », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 30–31 janvier 1971, p. 29
36 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)
2521 Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)ba Nous souffrons de
2522 frons des clichés ridicules qui composent l’image de la Suisse à l’étranger, pendules à coucou, trous dans le gruyère, sec
2523 banques, et les arts réduits, paraît-il, à celui de ne pas se mouiller. Nous savons que la Suisse, c’est autre chose. Mai
2524 la Suisse, c’est autre chose. Mais quoi ? Combien de nos compatriotes interrogés au hasard dans la rue seraient capables d
2525 nterrogés au hasard dans la rue seraient capables de le dire ? Alors on court interviewer des étrangers : quelle est à leu
2526 image ? Ils nous renvoient le plus souvent celle de nos erreurs sur nous-mêmes. Tel ce professeur au Collège de France8 a
2527 eurs sur nous-mêmes. Tel ce professeur au Collège de France8 auquel la Gazette demandait dernièrement s’il pensait que l
2528 sait que l’on devait faire l’Europe sur le modèle de la Suisse, et qui répondait : « Le fédéralisme est pour votre pays un
2529 ais été ni pu être une « solution » aux problèmes de la Suisse, pour la simple raison qu’il l’a faite et que seul il la dé
2530 hors du fédéralisme. Elle n’est rien qu’un régime d’ union. Dans leur très grande majorité — 98 % exactement — les six mill
2531 nde majorité — 98 % exactement — les six millions de Suisses d’aujourd’hui ne descendent en aucune manière des trois Walds
2532 é — 98 % exactement — les six millions de Suisses d’ aujourd’hui ne descendent en aucune manière des trois Waldstätten prim
2533 , si nous fêtons aujourd’hui le 680e anniversaire de la Confédération helvétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire
2534 680e anniversaire de la Confédération helvétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire d’une dynastie — les Zähringen
2535 Confédération helvétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire d’une dynastie — les Zähringen et les Kibourg sont éte
2536 vétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire d’ une dynastie — les Zähringen et les Kibourg sont éteints depuis des si
2537 iècles, les Habsbourg émigrés — ni l’anniversaire de la fondation d’un État ou de la signature d’une Constitution, car ces
2538 bourg émigrés — ni l’anniversaire de la fondation d’ un État ou de la signature d’une Constitution, car ces deux choses ne
2539 — ni l’anniversaire de la fondation d’un État ou de la signature d’une Constitution, car ces deux choses ne datent chez n
2540 aire de la fondation d’un État ou de la signature d’ une Constitution, car ces deux choses ne datent chez nous que de 1848.
2541 tion, car ces deux choses ne datent chez nous que de 1848. Ce que nous célébrons, c’est en fait une idée, qui est l’essenc
2542 ébrons, c’est en fait une idée, qui est l’essence de la Suisse et qui a déterminé son existence : l’idée fédéraliste et la
2543 son existence : l’idée fédéraliste et la formule d’ union qu’illustre le pacte en latin conclu par trois « communes forest
2544 roit trop souvent (et pas seulement à l’étranger) de l’union de vingt-cinq États cantonaux — comme l’Europe de Churchill o
2545 ouvent (et pas seulement à l’étranger) de l’union de vingt-cinq États cantonaux — comme l’Europe de Churchill ou de Gaulle
2546 Churchill ou de Gaulle était censée devoir naître de l’alliance impossible des quelque vingt-cinq États nationaux du conti
2547 ure où elle s’est formée par la libre association de communes rurales et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et
2548 ibre association de communes rurales et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’anciens baillages libérés, soli
2549 ciation de communes rurales et urbaines, de pays, d’ évêchés, de principautés et d’anciens baillages libérés, solidaires da
2550 communes rurales et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’anciens baillages libérés, solidaires dans leur vol
2551 urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’ anciens baillages libérés, solidaires dans leur volonté d’autonomie ;
2552 s baillages libérés, solidaires dans leur volonté d’ autonomie ; et à cette fin, décidant la mise en commun des tâches publ
2553 ourdes pour chacun mais réalisables par tous — et de celles-là seules. Chargé d’exécuter ces tâches communes, le Conseil f
2554 isables par tous — et de celles-là seules. Chargé d’ exécuter ces tâches communes, le Conseil fédéral n’est nullement une é
2555 lement une émanation des cantons, mais le collège de chefs des Agences fédérales spécialisées par leur fonction : finances
2556 sse Dans la mesure où j’adhère à cette formule d’ union je me considère comme Suisse et je le suis, moi, Neuchâtelois pr
2557 isse et je le suis, moi, Neuchâtelois protestant, de langue française, au même titre qu’un Schwyzois catholique de dialect
2558 ançaise, au même titre qu’un Schwyzois catholique de dialecte allemand, qu’un yodleur des Rhodes-Intérieures, qu’un Tessin
2559 réalité proprement suisse : une idée, une formule d’ union qui fut au xiiie siècle celle de trois communes du Gothard et q
2560 ne formule d’union qui fut au xiiie siècle celle de trois communes du Gothard et qui se « généralisa » par la suite aux X
2561 la suite aux XIII cantons ligués, puis à l’union de vingt-cinq États souverains différant par la langue et la race, la co
2562 historiques — on voit très mal ce qui empêcherait de généraliser cette formule à toute l’Europe. Autant il devient clair a
2563 il devient clair aux yeux de tous que la formule de l’État-nation napoléonien s’oppose radicalement à toute union de l’Eu
2564 n napoléonien s’oppose radicalement à toute union de l’Europe, et que sa généralisation ne conduirait qu’à la guerre, auta
2565 ssible pour les Européens qui éprouvent le besoin de s’associer librement par-dessus les frontières, ces « cicatrices de l
2566 ement par-dessus les frontières, ces « cicatrices de l’histoire », bornées par le hasard des armes. Mais alors, me dit-on,
2567 . Mais alors, me dit-on, si la fédération s’étend de proche en proche à l’Europe tout entière, la Suisse ne va-t-elle pas
2568 die, prolongée dans l’espace et le temps, au-delà de ce qu’elle est aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle f
2569 u’elle est aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle fut au Grütli, berceau mythique. Une idée se perd-elle en
2570 e se perd-elle en se généralisant, et une formule d’ union en fécondant des unions toujours plus nombreuses ? Ceux qui ont
2571 estinés à assurer la paix en Europe… Si cet idéal de l’avenir se réalise, la nationalité suisse de caractère international
2572 éal de l’avenir se réalise, la nationalité suisse de caractère international devra s’incorporer à la communauté de la Gran
2573 international devra s’incorporer à la communauté de la Grande Europe. De cette façon, elle n’aura pas vécu en vain, ni sa
2574 s’incorporer à la communauté de la Grande Europe. De cette façon, elle n’aura pas vécu en vain, ni sans gloire. S’évanoui
2575 vain, ni sans gloire. S’évanouir dans le succès de notre idée et d’une formule d’union qui est notre raison d’être, ne s
2576 oire. S’évanouir dans le succès de notre idée et d’ une formule d’union qui est notre raison d’être, ne serait-ce pas le s
2577 uir dans le succès de notre idée et d’une formule d’ union qui est notre raison d’être, ne serait-ce pas le sort le plus be
2578 dée et d’une formule d’union qui est notre raison d’ être, ne serait-ce pas le sort le plus beau que nous puissions souhait
2579 sans frontières, rien ne nous empêchera, Suisses de tous les cantons, de rester ensemble et de continuer à former une com
2580 n ne nous empêchera, Suisses de tous les cantons, de rester ensemble et de continuer à former une communauté : celle des g
2581 uisses de tous les cantons, de rester ensemble et de continuer à former une communauté : celle des gardiens de l’idée mère
2582 nuer à former une communauté : celle des gardiens de l’idée mère. Si nous le désirons vraiment, si nous le voulons. C’est
2583 r, et c’est ce qui nous inquiète. S’il n’y a plus de frontières tangibles, plus de douaniers, où sera la Suisse, gémissent
2584 te. S’il n’y a plus de frontières tangibles, plus de douaniers, où sera la Suisse, gémissent nos « patriotes » désorientés
2585 ent nos « patriotes » désorientés. Or il est sain de se demander, au minimum une fois par an, ce que nous faisons là, et p
2586 naissance de cause et en majorité nous choisirons de continuer la Suisse. Ceux qui le voudront seront alors les vrais Suis
2587 e qu’un… », disait Victor Hugo, reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’agit d’une interview de M. Raymond Aron, publié
2588 , reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’agit d’ une interview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne
2589 ers de Corneille. 8. Il s’agit d’une interview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne des 3-4 juillet.
2590 rview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne des 3-4 juillet. (Réd.) ba. Rougemont Denis de, « Au défi
2591 nne des 3-4 juillet. (Réd.) ba. Rougemont Denis de , « Au défi de l’Europe, la Suisse », Gazette de Lausanne, Lausanne, 3
2592 illet. (Réd.) ba. Rougemont Denis de, « Au défi de l’Europe, la Suisse », Gazette de Lausanne, Lausanne, 31 juillet–1 ao
2593 s de, « Au défi de l’Europe, la Suisse », Gazette de Lausanne, Lausanne, 31 juillet–1 août 1971, p. 1.
37 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une dimension nouvelle (11-12 septembre 1971)
2594 nsion nouvelle (11-12 septembre 1971)bb À plus d’ une reprise, l’occasion d’exprimer mon admiration pour « C. J. B. » me
2595 embre 1971)bb À plus d’une reprise, l’occasion d’ exprimer mon admiration pour « C. J. B. » me fut offerte, toujours sai
2596 un éloge dont tout me faisait craindre qu’il fût de nature — si plus tôt exprimé, sans précaution — à desservir la bonne
2597 sans précaution — à desservir la bonne réputation de notre ami dans un pays égalitaire. Aujourd’hui je ne reculerai plus,
2598 onde du regard, mais la simplicité et la maîtrise de soi, l’élocution aisée et sans éclat, les colères bien tenues en brid
2599 tal, trop pessimiste pour moraliser, et avec trop de distance naturelle pour avoir à jouer la hauteur, affable mais non sa
2600 r, affable mais non sans malice, et ce qu’il faut d’ arbitraire dans les jugements, lucide avec plus de mélancolie que de c
2601 d’arbitraire dans les jugements, lucide avec plus de mélancolie que de cynisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées
2602 les jugements, lucide avec plus de mélancolie que de cynisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées et aux situations
2603 cide avec plus de mélancolie que de cynisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées et aux situations qu’aux systèmes,
2604 s qu’aux idées et aux situations qu’aux systèmes, d’ où son sens politique intuitif et ses vues parfois prophétiques : — Ca
2605 er la dimension princière. bb. Rougemont Denis de , « Une dimension nouvelle : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (s
2606 e dimension nouvelle : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 11–12 septembre 1971, p. 
38 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut dénationaliser l’enseignement [Entretien] (8 décembre 1972)
2607 sponsables. J’ai d’ailleurs reçu d’autres lettres d’ instituteurs qui souffrent d’être paralysés dans le système actuel, et
2608 eçu d’autres lettres d’instituteurs qui souffrent d’ être paralysés dans le système actuel, et qui me disent : « Merci, vou
2609 du ressort des cantons ? Mais en 1929 je parlais de mon expérience. Elle était tout à fait suisse, puisque j’ai fait l’éc
2610 puisque j’ai fait l’école primaire, jusqu’à l’âge de 12 ans, à Couvet, dans le Val-de-Travers, et le Collège latin à Neuch
2611 … L’école publique a été jusqu’à présent le moyen de formation le plus fort. Elle a prétendu à un monopole de l’éducation,
2612 ation le plus fort. Elle a prétendu à un monopole de l’éducation, contre l’Église et contre la famille. Cet état de fait n
2613 n, contre l’Église et contre la famille. Cet état de fait nous vient tout droit de Napoléon, qui a légué au monde entier,
2614 a famille. Cet état de fait nous vient tout droit de Napoléon, qui a légué au monde entier, à peu près, l’école militarisé
2615 ntier, à peu près, l’école militarisée au service de l’État-nation. Dans le système actuel, il serait pratiquement impossi
2616 système actuel, il serait pratiquement impossible de déscolariser la société, comme le réclame Illich. On dresserait contr
2617 ur un enfant l’histoire suisse, s’il ignore celle de sa région ? À Couvet, j’ai tout appris sur les Waldstätten (y compris
2618 ten (y compris, beaucoup de choses fausses), rien de l’histoire de ma propre vallée… La nation est un concept artificiel q
2619 , beaucoup de choses fausses), rien de l’histoire de ma propre vallée… La nation est un concept artificiel qui ne repose s
2620 entale. Il y a la région, réalité tangible, cadre de la vie des élèves ; il y a l’Europe — l’ancienne christianitas — réal
2621 . Il y a la région, réalité tangible, cadre de la vie des élèves ; il y a l’Europe — l’ancienne christianitas — réalité cul
2622 s des programmes — dans ces dimensions-là. Passer de la région à l’Europe et au monde au moment où les élèves sont capable
2623 et au monde au moment où les élèves sont capables de saisir les réalités à ces niveaux-là, et négliger chaque fois que c’e
2624 ionales. En finir avec les fleuves qui s’arrêtent de couler à la frontière sur les croquis de géographie. Une bourde du
2625 arrêtent de couler à la frontière sur les croquis de géographie. Une bourde du général de Gaulle Pourquoi l’économie
2626  : les frontières n’ont rien à voir avec les lois de la nature. Elles n’arrêtent rien de ce qu’il faudrait arrêter : les n
2627 avec les lois de la nature. Elles n’arrêtent rien de ce qu’il faudrait arrêter : les nuages, les tempêtes, l’eau polluée ;
2628 es, l’eau polluée ; et elles empêchent le passage de ce qui devrait circuler : les hommes, les marchandises, quelquefois l
2629 es. On ne fera jamais l’Europe avec les ministres d’ aujourd’hui, parce que toute leur manière de penser est prisonnière de
2630 stres d’aujourd’hui, parce que toute leur manière de penser est prisonnière des schémas nationaux. Souvenez-vous que le gé
2631 énéral de Gaulle aimait à répéter que l’Europe va de Gibraltar à l’Oural. Cette bourde m’a toujours étonné. Pourquoi donc
2632 est tout, sauf une séparation : une petite chaîne de collines, traversée par un affluent de la Volga, et qui est maintenan
2633 ite chaîne de collines, traversée par un affluent de la Volga, et qui est maintenant le cœur du bassin de l’industrie lour
2634 la Volga, et qui est maintenant le cœur du bassin de l’industrie lourde de l’URSS. Exactement ce qu’est la Ruhr pour l’All
2635 aintenant le cœur du bassin de l’industrie lourde de l’URSS. Exactement ce qu’est la Ruhr pour l’Allemagne. Côté « asiatiq
2636 mmes. On y circule dans tous les sens… Cette idée de l’Oural-frontière est si absurde, et si répandue, que j’ai mis deux d
2637 est si absurde, et si répandue, que j’ai mis deux de mes étudiants sur le problème. Ils ont trouvé que les manuels d’histo
2638 s sur le problème. Ils ont trouvé que les manuels d’ histoire et de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scol
2639 ème. Ils ont trouvé que les manuels d’histoire et de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Charl
2640 t de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Charles de Gaulle — définissaient précisément l’Europ
2641 des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Charles de Gaulle — définissaient précisément l’Europe comme allant d
2642 — définissaient précisément l’Europe comme allant de Gibraltar à l’Oural. L’école a rendu les hommes qui sont actuellement
2643 ont actuellement au pouvoir en Europe, incapables de saisir ce que pourrait être une fédération. Or c’est la seule formule
2644 ée du fédéralisme appartiennent plutôt aux partis de gauche. Rocard, Mitterrand. Des exceptions. Mais comment pourrait-il
2645 z le Petit Littré, qui est encore le dictionnaire de référence des Français cultivés, et cherchez sous « fédéralisme » : v
2646 déralisme » : vous trouverez que c’est un système de sauvages, ou bien une utopie attribuée aux girondins — c’est-à-dire u
2647 ribuée aux girondins — c’est-à-dire un instrument de trahison. Vous écrivez, dans la Suite des Méfaits : « On ne changera
2648 onvient, l’école produit des citoyens à la mesure de l’État. C’est un cercle vicieux : chercher l’origine nous ramène au p
2649 ieux : chercher l’origine nous ramène au problème de la poule et de l’œuf… Il faut agir aux deux niveaux à la fois. Que fa
2650 l’origine nous ramène au problème de la poule et de l’œuf… Il faut agir aux deux niveaux à la fois. Que faire au niveau d
2651 nt les affaires courantes. Étudier l’introduction de nouvelles « matières » du programme, la création d’un nouveau bâtimen
2652 nouvelles « matières » du programme, la création d’ un nouveau bâtiment, l’attribution de nouveaux subsides, ce n’est pas
2653 la création d’un nouveau bâtiment, l’attribution de nouveaux subsides, ce n’est pas concevoir une politique, c’est admini
2654 me. Il faudrait qu’ils puissent s’arrêter, sortir de l’urgent et du quotidien, pour pouvoir tout reconsidérer. Pour en sor
2655 n, un changement brusque et radical, qui permette de repartir sur des bases entièrement nouvelles… ce qui est pratiquement
2656 re. Il faudrait, au minimum, une volonté générale de sortir du cercle vicieux dont nous parlions tout à l’heure. Une école
2657 cole nouvelle pourrait exploiter des possibilités d’ apprentissage totalement négligées aujourd’hui. L’enseignement fortuit
2658 ans. Je cite aussi, dans les Méfaits , l’exemple de Benjamin Constant. À 5 ans, il a appris le grec. Sous forme de jeu9.
2659 tend à individualiser l’enseignement au maximum, de manière que chaque élève puisse travailler à son rythme propre, d’aut
2660 e l’élève le plus rapide attende que le plus lent de son groupe le rejoigne. Comment résoudre cette alternative ? D’abord
2661 vent faire la même chose ! » Ça, c’est la formule de base de l’école napoléonienne, par quoi on a fabriqué des peuples mil
2662 re la même chose ! » Ça, c’est la formule de base de l’école napoléonienne, par quoi on a fabriqué des peuples militarisés
2663 contraire. Ça consiste à laisser à chacun autant d’ autonomie que possible, c’est-à-dire le droit de différer. Ceci pour l
2664 t d’autonomie que possible, c’est-à-dire le droit de différer. Ceci pour le premier terme de votre « alternative »… qui n’
2665 le droit de différer. Ceci pour le premier terme de votre « alternative »… qui n’en est pas une. Car le second terme est
2666 nd terme est également nécessaire. Je ne vois pas d’ opposition entre l’enseignement individualisé et le travail collectif,
2667 as que des élèves doués puissent avoir à souffrir de travailler avec des camarades plus faibles. Au contraire : en les aid
2668 . Au contraire : en les aidant, ils apprendraient d’ autant mieux. On ne sait vraiment que ce qu’on a dû enseigner. Je l’ob
2669 h est trop rousseauiste » Seriez-vous partisan d’ une école comme celle des amish, dont vous parlez dans les Méfaits 10,
2670 iste : il suppose chez tous les enfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît
2671 se chez tous les enfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît bon, et l’école
2672 nfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît bon, et l’école le corrompt. Or j
2673 mes, les enfants ne tombent en proie à toutes les modes successives diffusées par les mass médias, ou sous la coupe des chefs
2674 s par les mass médias, ou sous la coupe des chefs de gangs… J’en ai vu des exemples très proches : aux États-Unis. Plus d’
2675 des exemples très proches : aux États-Unis. Plus d’ autorité du maître Il se forme spontanément des groupes, autour d’un c
2676 ître Il se forme spontanément des groupes, autour d’ un chef, fanatiquement obéi, et qui peut ordonner aux membres de son g
2677 atiquement obéi, et qui peut ordonner aux membres de son groupe n’importe quoi… À l’autorité défaillante du maître se subs
2678 autorité défaillante du maître se substitue celle d’ un camarade. Vous ne croyez pas à la « socialisation par le groupe » ?
2679 socialisation par le groupe » ?… Je crains la loi de la jungle, le règne des forts en gueule, voire des sadiques. Revenons
2680 ueule, voire des sadiques. Revenons à l’évolution de l’école, et aux deux pôles dont nous avons parlé : individualisation
2681 ndividualisation… La droite et la gauche ont tort de ne tolérer qu’un des deux termes. Car il faut que l’un existe pour qu
2682 ve, et vice versa. L’éducation sera la résultante d’ une tension dynamique entre les deux. On ne peut nier que l’homme a be
2683 re les deux. On ne peut nier que l’homme a besoin de compagnie, mais aussi besoin d’être seul ; besoin de communiquer avec
2684 l’homme a besoin de compagnie, mais aussi besoin d’ être seul ; besoin de communiquer avec ses semblables, mais aussi de s
2685 compagnie, mais aussi besoin d’être seul ; besoin de communiquer avec ses semblables, mais aussi de se retrouver face à lu
2686 in de communiquer avec ses semblables, mais aussi de se retrouver face à lui-même. Lui imposer la société permanente des a
2687 olitude sont deux tortures équivalentes. Toute la vie est fondée sur une série de couples antinomiques : communication-soli
2688 uivalentes. Toute la vie est fondée sur une série de couples antinomiques : communication-solitude, action-repos, permanen
2689 permanence-changement. Il faut trouver leur point d’ équilibre dynamique. Ainsi pour le fédéralisme, qui est si mal compris
2690 qui est si mal compris, même en Suisse. Il s’agit de mettre en relation des éléments — dans le cas européen, des régions —
2691 qu’il y ait confusion des deux, ni subordination de l’un à l’autre. Ils sont à la fois semblables et différents, séparés
2692 et différents, séparés et unis. C’est la formule de tout fédéralisme. Tension entre deux pôles. Vous retrouvez cela à tou
2693 au des cellules, des molécules, des atomes, toute vie résulte d’une tension permanente entre des forces d’attraction et de
2694 les, des molécules, des atomes, toute vie résulte d’ une tension permanente entre des forces d’attraction et de répulsion.
2695 résulte d’une tension permanente entre des forces d’ attraction et de répulsion. Là encore, supposez qu’un équilibre statiq
2696 nsion permanente entre des forces d’attraction et de répulsion. Là encore, supposez qu’un équilibre statique s’installe :
2697 econnaître que l’existence simultanée du divin et de l’humain dans le même être est difficile, voire impossible à concevoi
2698 terminer : comment changer l’école ? Par le biais de la Campagne d’éducation civique européenne que je préside depuis une
2699 ent changer l’école ? Par le biais de la Campagne d’ éducation civique européenne que je préside depuis une dizaine d’année
2700 ique européenne que je préside depuis une dizaine d’ années, nous essayons de toucher le plus grand nombre possible d’ensei
2701 réside depuis une dizaine d’années, nous essayons de toucher le plus grand nombre possible d’enseignants, du degré seconda
2702 essayons de toucher le plus grand nombre possible d’ enseignants, du degré secondaire surtout : ce sont eux qui feront l’Eu
2703 ondaire surtout : ce sont eux qui feront l’Europe de l’an 2000, comme le dit le titre de mon dernier article dans Civisme
2704 ront l’Europe de l’an 2000, comme le dit le titre de mon dernier article dans Civisme européen 11. Mais il est clair que,
2705 es étant censées sécréter une nouvelle pédagogie, de nouveaux maîtres ? Elles n’entraîneront pas automatiquement une meill
2706 es talents paralysés par les structures actuelles de s’exprimer. On ne peut pas forcer les gens à être bons ou intelligent
2707 t leur intelligence aient au moins la possibilité de s’exercer. La modification des structures ne suffit pas, les efforts
2708 nie, rigueur et fantaisie, etc. Il y a une phrase d’ Héraclite qu’on comprend généralement mal, parce qu’elle est mal tradu
2709 u’elle est mal traduite : « La guerre est la mère de toute chose. » Plutôt que « guerre » il faudrait dire « conflit ». À
2710 ot « tension », car on associe aujourd’hui l’idée de conflit à celle de lutte douloureuse, voire meurtrière. Parfois, effe
2711 on associe aujourd’hui l’idée de conflit à celle de lutte douloureuse, voire meurtrière. Parfois, effectivement, la tensi
2712 peut devenir conflit, dans ce sens-là, par manque d’ harmonie ou d’équilibre. Et c’est parfois inévitable. Mais c’est la co
2713 onflit, dans ce sens-là, par manque d’harmonie ou d’ équilibre. Et c’est parfois inévitable. Mais c’est la condition même d
2714 parfois inévitable. Mais c’est la condition même de la vie. 9. Benjamin Constant, dans le Cahier Rouge, raconte que so
2715 is inévitable. Mais c’est la condition même de la vie . 9. Benjamin Constant, dans le Cahier Rouge, raconte que son premi
2716 mand, avait eu « une idée assez ingénieuse, celle de me faire inventer le grec pour l’apprendre. Il me proposa de nous fai
2717 inventer le grec pour l’apprendre. Il me proposa de nous faire à nous deux une langue qui ne serait connue que de nous ;
2718 e à nous deux une langue qui ne serait connue que de nous ; je me passionnai pour cette idée. Nous formâmes d’abord un alp
2719 ire dans lequel chaque mot français était traduit d’ un mot grec. Tout cela se gravait merveilleusement dans ma tête, parce
2720 rler l’anglais et l’allemand, à observer les lois de l’hygiène et à connaître l’Évangile. La communauté des amish produit
2721 et refuse le tracteur et l’auto. » 11. « Le sort de l’an 2000 se joue dans nos écoles », Civisme européen, Genève, mars 1
2722 2, rue de Lausanne, Genève. bc. Rougemont Denis de , « [Entretien] Il faut dénationaliser l’enseignement », Gazette de La
2723 Il faut dénationaliser l’enseignement », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8 décembre 1972, p. 3. bd. Propos recueillis par
2724 llis par Laurent Rebeaud. L’entretien est précédé de l’introduction suivante : «  Les Méfaits de l’instruction publique ,
2725 écédé de l’introduction suivante : «  Les Méfaits de l’instruction publique , tel était le titre de la première œuvre qu’a
2726 ts de l’instruction publique , tel était le titre de la première œuvre qu’ait publié Denis de Rougemont, en 1929, à l’âge
2727 u’ait publié Denis de Rougemont, en 1929, à l’âge de 22 ans. Dans ce pamphlet d’une soixantaine de pages, l’auteur se livr
2728 ont, en 1929, à l’âge de 22 ans. Dans ce pamphlet d’ une soixantaine de pages, l’auteur se livrait à un éreintement impitoy
2729 âge de 22 ans. Dans ce pamphlet d’une soixantaine de pages, l’auteur se livrait à un éreintement impitoyable du système sc
2730 pitoyable du système scolaire, “vaste distillerie d’ ennuis”, “puissance de crétinisation lente”. La fonction de l’instruct
2731 colaire, “vaste distillerie d’ennuis”, “puissance de crétinisation lente”. La fonction de l’instruction publique, disait-i
2732 , “puissance de crétinisation lente”. La fonction de l’instruction publique, disait-il, était de conditionner les esprits
2733 ction de l’instruction publique, disait-il, était de conditionner les esprits des futurs citoyens dans le sens voulu par l
2734 emment, n’a pas entamé la rancune ni la virulence de Denis de Rougemont contre l’école. Preuve en soit la récente rééditio
2735 it la récente réédition des Méfaits, « aggravés » d’ une Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de
2736 , « aggravés » d’une Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de détail, et fort peu. Quant à l’“ag
2737 its . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de détail, et fort peu. Quant à l’“aggravation”, de 1972, elle commence
2738 de détail, et fort peu. Quant à l’“aggravation”, de 1972, elle commence ainsi : “Écrit d’un jeune homme en colère, aussi
2739 gravation”, de 1972, elle commence ainsi : “Écrit d’ un jeune homme en colère, aussi injuste qu’un pamphlet doit l’être, j’
2740 u’un pamphlet doit l’être, j’ai le triste plaisir de constater que mon texte n’a pas vieilli, parce que l’école n’a pas ch
2741 i, parce que l’école n’a pas changé.” Et l’auteur de retrouver dans une série d’écrits tout récents l’essentiel de ses cri
2742 changé.” Et l’auteur de retrouver dans une série d’ écrits tout récents l’essentiel de ses critiques quadragénaires. Il ci
2743 dans une série d’écrits tout récents l’essentiel de ses critiques quadragénaires. Il cite Ivan Illich, un professeur fran
2744 Ivan Illich, un professeur français, un ministre de l’Éducation nationale, un poète, Pierre Emmanuel, et même un collégie
2745 pour avoir prononcé un discours inconvenant lors d’ une cérémonie de promotions. Le principal grief de Denis de Rougemont
2746 oncé un discours inconvenant lors d’une cérémonie de promotions. Le principal grief de Denis de Rougemont contre l’école r
2747 d’une cérémonie de promotions. Le principal grief de Denis de Rougemont contre l’école reste le même : c’est un crime cont
2748 : c’est un crime contre l’homme, estime-t-il, que d’ aligner les esprits pour la commodité des pouvoirs établis. »
39 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Merveilleux Lavaux (23-24-25 décembre 1972)
2749 bf Le centre du monde est partout, la théorie de la relativité l’a démontré. Mais, que le centre du monde se situe rée
2750 u-dessus du Léman, à mi-hauteur du grand vignoble de Lavaux, cette évidence ne saurait exiger ni d’ailleurs endurer la moi
2751 à un centre et tout ce qui respire dans la grâce de son rayonnement revêt une importance rapidement fabuleuse, et passion
2752 ment fabuleuse, et passionnelle. Il est difficile d’ en parler, fût-ce à sa louange éperdue, sans provoquer l’éclat soudain
2753 oudain, parfois vociférant (la TV l’a fait voir), de la haine la plus injuste — ou l’adhésion d’une ferveur déconcertante.
2754 oir), de la haine la plus injuste — ou l’adhésion d’ une ferveur déconcertante. Je voudrais essayer, pour ma part, d’énumér
2755 déconcertante. Je voudrais essayer, pour ma part, d’ énumérer au sujet de Lavaux quelques faits vrais, dont la discordance
2756 , dont la discordance m’inquiète : elle m’empêche de m’abandonner à l’euphorie d’un lyrisme contemplatif, ou de céder à ce
2757 ète : elle m’empêche de m’abandonner à l’euphorie d’ un lyrisme contemplatif, ou de céder à cette espèce de conscience que
2758 donner à l’euphorie d’un lyrisme contemplatif, ou de céder à cette espèce de conscience que donne l’indignation active. La
2759 lyrisme contemplatif, ou de céder à cette espèce de conscience que donne l’indignation active. Lavaux est beaucoup plus d
2760 t beaucoup plus défiguré que les autres vignobles de La Côte, de Begnins à Vufflens par exemple. On y voit beaucoup plus d
2761 lus défiguré que les autres vignobles de La Côte, de Begnins à Vufflens par exemple. On y voit beaucoup plus de maisons ne
2762 s à Vufflens par exemple. On y voit beaucoup plus de maisons neuves et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’én
2763 p plus de maisons neuves et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’
2764 aisons neuves et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de c
2765 et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’ énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de camions, de gar
2766 s et d’énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’ autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la
2767 ormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la pollution
2768 ées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la pollution universelle
2769 s, beaucoup plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la pollution universelle. Or, les au
2770 plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’ essence au service de la pollution universelle. Or, les autos figurent
2771 ons, de garages, de stations d’essence au service de la pollution universelle. Or, les autos figurent l’emblème du paradox
2772 , les autos figurent l’emblème du paradoxe majeur de notre civilisation. Grâce à elles, l’homme des villes a retrouvé le c
2773 st révélé mortel pour la nature. C’est l’histoire d’ un amour fatal : dès qu’un touriste découvre un endroit solitaire, la
2774 foule s’y jette et le supprime. L’homme a besoin de solitude. Mais la plupart n’osant aimer que ce qui par d’autres est a
2775 gent. Ce paysage sublime est un pays réel, peuplé de vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités
2776 sublime est un pays réel, peuplé de vignerons et d’ artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a beso
2777 un pays réel, peuplé de vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a besoin de commun
2778 vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a besoin de communications, routes, autobus
2779 merçants et de riches retraités. Un pays a besoin de communications, routes, autobus et téléphone, et de stations d’épurat
2780 communications, routes, autobus et téléphone, et de stations d’épuration. Les chemins de fer et l’autoroute y font déjà l
2781 ons, routes, autobus et téléphone, et de stations d’ épuration. Les chemins de fer et l’autoroute y font déjà leurs longues
2782 rien — aux dépens du paysage. Les « nécessités » de la vie tendent à détruire les raisons de vivre. Mais que tient-on pou
2783 — aux dépens du paysage. Les « nécessités » de la vie tendent à détruire les raisons de vivre. Mais que tient-on pour néces
2784 ssités » de la vie tendent à détruire les raisons de vivre. Mais que tient-on pour nécessaire ? Les maxima contradictoires
2785 chose humaine, sont ici comme ailleurs la qualité de la vie et les conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lum
2786 humaine, sont ici comme ailleurs la qualité de la vie et les conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lumière di
2787 e ailleurs la qualité de la vie et les conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lumière divine — une lumière ne
2788 illeurs la qualité de la vie et les conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lumière divine — une lumière neutre
2789 — une lumière neutre comme les dieux, qui ne sont de gauche ni de droite, mais toujours d’en haut, rayonnants. Il y a le p
2790 neutre comme les dieux, qui ne sont de gauche ni de droite, mais toujours d’en haut, rayonnants. Il y a le paysage mais a
2791 qui ne sont de gauche ni de droite, mais toujours d’ en haut, rayonnants. Il y a le paysage mais aussi le paysan. Entre le
2792 eux sereins et la terre labourée, la terre bâtie, d’ utilité publique, que vont faire les hommes et les femmes et les enfan
2793 forment chaque jour par les retouches insensibles de l’usage, usure et patine à la fois. Pour garder le Lavaux que nous ai
2794 Il est d’autres centres du monde où les problèmes de la survie d’un lieu sublime se posent en des termes semblables. Ainsi
2795 es centres du monde où les problèmes de la survie d’ un lieu sublime se posent en des termes semblables. Ainsi, qu’est-ce q
2796 -ce que sauver Venise ? Non pas offrir des étages de palais sur le Grand Canal à des riches. Il faut d’abord que Venise so
2797 s œuvres est morte. Sauver Lavaux ne suppose rien de moins que la prédominance accordée par un peuple à la saveur de vivre
2798 a prédominance accordée par un peuple à la saveur de vivre sur le niveau de vie. Gens de Lavaux, vous habitez un pays ravi
2799 e à la saveur de vivre sur le niveau de vie. Gens de Lavaux, vous habitez un pays ravissant et radieux. Mais vous ne le sa
2800 Lavaux doit faire son salut, ce sera par la grâce de quelques fous associant leur foi poétique aux calculs des vrais réali
2801 bilité, mais ceux qui font passer avant le profit d’ argent — cette chose abstraite — les désirs et les rythmes du corps, l
2802 — les désirs et les rythmes du corps, les valeurs de l’esprit et les élans de l’âme. Juillet 1972. be. Rougemont Denis
2803 es du corps, les valeurs de l’esprit et les élans de l’âme. Juillet 1972. be. Rougemont Denis de, « Merveilleux Lavaux 
2804 ns de l’âme. Juillet 1972. be. Rougemont Denis de , « Merveilleux Lavaux », Gazette de Lausanne (supplément littéraire),
2805 ugemont Denis de, « Merveilleux Lavaux », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 23–25 décembre 1972, p. 1
2806 écédé du chapeau suivant : « C’est à l’initiative de Jean-Pierre Laubscher, auteur de Dixence Cathédrale, que l’on doit un
2807 t à l’initiative de Jean-Pierre Laubscher, auteur de Dixence Cathédrale, que l’on doit un ouvrage qui vient à point nommé 
2808 Sauver cette unique contrée n’est pas le postulat d’ un seul homme. Les artisans du livre, auteurs des textes, qu’ils s’app
2809 lement, les images prennent la parole. L’objectif de Michèle Duperrex, qui donne peut-être le reflet d’un Lavaux épuré, pr
2810 e Michèle Duperrex, qui donne peut-être le reflet d’ un Lavaux épuré, prouve néanmoins qu’un tel coin de pays doit être sau
2811 ’un Lavaux épuré, prouve néanmoins qu’un tel coin de pays doit être sauvegardé au prix de l’intelligence et de sacrifices,
2812 doit être sauvegardé au prix de l’intelligence et de sacrifices, comme le rappelle ici Denis de Rougemont. »
40 1984, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)
2813 juin, M. Ph. Barraud rend compte, très largement, d’ une assemblée générale de la Compagnie vaudoise d’électricité, au cour
2814 compte, très largement, d’une assemblée générale de la Compagnie vaudoise d’électricité, au cours de laquelle M. Desmeule
2815 d’une assemblée générale de la Compagnie vaudoise d’ électricité, au cours de laquelle M. Desmeules, son directeur, aurait
2816 antinucléaires, c’est-à-dire selon lui « les amis de Denis de Rougemont » — « préparent l’avènement du dirigisme marxiste
2817 « une société policière … centralisée, exploitée de façon quasi militaire » avec « intervention de la Confédération jusqu
2818 ée de façon quasi militaire » avec « intervention de la Confédération jusque dans nos cuisines et salles de bains. » Je n’
2819 Confédération jusque dans nos cuisines et salles de bains. » Je n’ai pas à entrer en discussion avec un directeur qui n’a
2820 e ce qu’il devait dire pour défendre les intérêts de sa compagnie ; mais votre rédacteur a jugé bon de mettre en exergue,
2821 de sa compagnie ; mais votre rédacteur a jugé bon de mettre en exergue, à la suite de son compte rendu, deux citations de
2822 e, à la suite de son compte rendu, deux citations de moi faites par M. Desmeules. À l’intention de vos lecteurs, il m’impo
2823 ons de moi faites par M. Desmeules. À l’intention de vos lecteurs, il m’importe de dénoncer l’usage fait de ces deux citat
2824 ules. À l’intention de vos lecteurs, il m’importe de dénoncer l’usage fait de ces deux citations, qui en falsifie le sens
2825 s lecteurs, il m’importe de dénoncer l’usage fait de ces deux citations, qui en falsifie le sens et la portée. 1. La premi
2826 laquelle l’expérience des centrales nucléaires et de leurs problèmes majeurs (comme celui des déchets) était pratiquement
2827 point le 26 janvier 1979, en prononçant au Palais de Beaulieu, pour introduire les « Rencontres internationales d’urbanism
2828 pour introduire les « Rencontres internationales d’ urbanisme »12, une conférence dont voici le début : Dans cette même s
2829 ans cette même salle, à cette même place, au mois de juin 1958, il y a donc un peu plus de vingt ans, devant le premier co
2830 ce, au mois de juin 1958, il y a donc un peu plus de vingt ans, devant le premier congrès de l’Union internationale des pr
2831 peu plus de vingt ans, devant le premier congrès de l’Union internationale des producteurs et distributeurs d’électricité
2832 n internationale des producteurs et distributeurs d’ électricité, un conférencier prononçait les phrases suivantes : « Les
2833 e, non sur la vraisemblance du fait… La situation de notre continent et de l’humanité entière serait apparemment sans espo
2834 lance du fait… La situation de notre continent et de l’humanité entière serait apparemment sans espoir, si la culture élab
2835 t vraiment au dernier moment, une nouvelle source d’ énergie. L’énergie nucléaire est la réponse, inventée par notre génie,
2836 r notre génie, par nos savants européens, au défi d’ une humanité dont notre science, notre hygiène, et nos techniques étai
2837 ourd’hui, comme le font la plupart des survivants de mon auditoire d’alors, devenus PDG pour la plupart et qui n’ont rien
2838 e font la plupart des survivants de mon auditoire d’ alors, devenus PDG pour la plupart et qui n’ont rien appris depuis vin
2839 s vingt ans, alors oui, ces déclarations seraient de nature à me disqualifier radicalement pour traiter le sujet de l’éner
2840 e disqualifier radicalement pour traiter le sujet de l’énergie en général, et de ses rapports avec l’autonomie en particul
2841 pour traiter le sujet de l’énergie en général, et de ses rapports avec l’autonomie en particulier. Mais j’ai changé, qu’on
2842 e on a cru pouvoir me le reprocher dans la presse de cette ville. Et c’est cela, précisément, qui m’autorise à prendre la
2843 à prendre la parole parmi vous. […] Quelques-uns de ceux qui sont ici ce matin, et non des moindres, partageaient à l’épo
2844 s, et je les retrouve aujourd’hui au premier rang de l’opposition au nucléaire. Ils pourront confirmer ma description de l
2845 nucléaire. Ils pourront confirmer ma description de l’état d’innocence générale où nous étions à peu près tous. […] Je ne
2846 . Ils pourront confirmer ma description de l’état d’ innocence générale où nous étions à peu près tous. […] Je ne pense pas
2847 près tous. […] Je ne pense pas avoir à m’excuser d’ avoir appris pas mal de choses depuis, et d’en avoir tiré les conséque
2848 ense pas avoir à m’excuser d’avoir appris pas mal de choses depuis, et d’en avoir tiré les conséquences. 2. La seconde ci
2849 cuser d’avoir appris pas mal de choses depuis, et d’ en avoir tiré les conséquences. 2. La seconde citation, antinucléaire
2850 conde citation, antinucléaire celle-là, est datée de 1984. Je la rappelle : Selon que (notre) choix se portera sur le nuc
2851 us aurons soit une société centralisée, exploitée de façon quasi militaire, soit une fédération de petites communes autono
2852 tée de façon quasi militaire, soit une fédération de petites communes autonomes. Cette seconde citation est censée démont
2853 que les intentions que M. Desmeules nous attribue d’ une manière arbitraire et calomnieuse. Il embrouille tout, décidément,
2854 ’on ne le croirait : car l’expression « exploitée de façon quasi militaire » non seulement n’est pas de moi et ne traduit
2855 e façon quasi militaire » non seulement n’est pas de moi et ne traduit en rien notre idéal, mais formule l’exigence « esse
2856 mars 1975, M. Jean-Claude Leny, directeur général de Framatome, qui assure la maîtrise d’œuvre de tous les réacteurs franç
2857 teur général de Framatome, qui assure la maîtrise d’ œuvre de tous les réacteurs français de type PWR, déclare : Les insta
2858 éral de Framatome, qui assure la maîtrise d’œuvre de tous les réacteurs français de type PWR, déclare : Les installations
2859 a maîtrise d’œuvre de tous les réacteurs français de type PWR, déclare : Les installations nucléaires ne sont pas dangere
2860 ploitées et contrôlées par des équipes organisées de manière rigoureuse… Pour moi, il est essentiel que les centrales nucl
2861 centrales nucléaires soient peu nombreuses, donc de grande taille, implantées dans des sites ad hoc et exploitées de faço
2862 e, implantées dans des sites ad hoc et exploitées de façon quasi militaire 14. M. Desmeules aurait-il mal compris ? Ce n’
2863 ait-il mal compris ? Ce n’est pas nous, mais ceux de son bord qui ont dit cela. Quant à prétendre que mon idéal serait l’É
2864 État marxiste omnipotent, il faut n’avoir rien lu de moi pour oser le répéter à longueur de colonnes. Est-il pensable qu’u
2865 ir rien lu de moi pour oser le répéter à longueur de colonnes. Est-il pensable qu’une cause défendue par de tels procédés
2866 lonnes. Est-il pensable qu’une cause défendue par de tels procédés soit une bonne cause ? 12. Texte complet dans le volu
2867 e, Éditions du Seuil, 1978. bg. Rougemont Denis de , « Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point par Denis de
2868 e mise au point par Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne, 28 juin 1984, p. 2.